Congrès d'Angers : Premier grand témoignage de Catherine Hurtig-Delattre

Journal du congrès d'Angers 2019

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Lundi 19 aout 2019

Me voilà dans le train vers Angers.. 54ème congrès de l’ICEM pédagogie Freinet, et le 5ème auquel je participerai. J’ai lu hier le numéro zéro de « Topette » et je me suis totalement reconnue dans l’ « ouverture » proposée par Thierry Perou. Comme il le dit si bien, je vais comme chaque congressiste vider et emplir ma besace pédagogique : j’espère pouvoir donner un peu et je sais que je vais beaucoup recevoir.

Mais voilà que je suis dans un nouveau manteau, inconnu : j’ai accepté d’être « grand témoin ». ça met un peu la pression !

Qu’est-ce qu’un « grand témoin » ?

En droit, un témoin est celui qui « a vu » et qui peut « attester un fait ». Sa parole peut avoir un poids concret lorsqu’elle va infléchir une décision de justice, sa signature et sa présence vont avoir une portée symbolique lorsqu’elles attestent de la validité d’un mariage ou de tout acte officiel. La place du témoin semble donc être une place « objective », au-dessus de la mêlée et des interprétations de chaque situation. Et pourtant, quoi de plus subjectif qu’un « témoignage » en journalisme ou en sociologie ? Le témoin aurait donc une parole singulière, dont il atteste une « objectivité subjective » : celle du regard d’un sujet.

Dans le monde universitaire et associatif, il est d’usage d’inviter des « grands témoins ». J’ai trouvé cette définition sur le site wordreference forum (traduit de l’anglais) « une personnalité qui écoute tous les débats et les conférences, à qui on demande de faire une synthèse supposée « sage » (wise)  , et de donner son opinion sur comment il-elle a « digéré »(digest) l’ensemble de l’évènement. » Ce site précise qu’en anglais  on emploie les termes  « great witness »  « impartial observer » ou encore « grand arbiter ».

Lorsque j’ai été sollicitée par l’équipe organisatrice du congrès, j’ai bien sûr été honorée mais j’ai d’abord refusé ce rôle : pourquoi solliciter une personne intérieure au mouvement Freinet ? Comment pourrais-je avoir un regard  de « témoin » alors que je suis impliquée dans le congrès en tant qu’organisatrice d’ateliers, que membre de mon GD et de plusieurs secteurs de travail ? Cette posture ne va-t-elle pas me mettre en porte-à-faux avec mes camardes du GD ou des secteurs, n’est-elle pas contradictoire avec l’horizontalité et la coopération pratiquées dans notre mouvement ?

Insistance de mon interlocuteur : une pratique régulière de l’écriture, une posture « dedans et dehors à la fois » de par mes engagements multiples et revendiqués comme tels, justifieraient l’idée d’un regard affuté et spécifique. Horizontalité ne signifie pas abandon des singularités. Les 4 « grands témoins » sont choisis avec un équilibre réfléchi ; deux hommes/ deux femmes ; deux militants du mouvement/ deux personnalités extérieures. Alors voilà que j’accepte, je considère la chose comme un challenge personnel, une aventure intellectuelle. Je mets de côté ma peur d’être jugée « grosse tête ». Maintenant, il va falloir assurer ! J’espère être à la hauteur de la confiance qui m’est accordée.

Je vais donc tâcher de remplir ma besace de mes observations, de cultiver ce regard « dedans-dehors » de faire des liens entre le formel et l’informel, entre les entrées pratiques, théoriques et politiques, en usant de mes multiples casquettes.  Quelle part de moi sera convoquée : la militante  pédagogique, associative et politique, bien sûr. L’enseignante et la formatrice au quotidien, aussi. Mais aussi l’ex parent d’élève, l’ex directrice d’école, l’ex coordinatrice d’éducation prioritaire. Et encore l’apprentie « passeuse » qui s’emploie à tisser des liens entre le monde de la recherche en sciences de l’éducation et le monde des praticiens et des formateurs, en mettant provisoirement de côté mes propres options pédagogiques.

Je vais tâcher d’articuler tous les étages qui sont en moi et qui parfois me submergent : la vision locale (quoi de plus fort que l’engagement auprès des familles sans logement dans mon quartier),   départementale et  régionale (quoi de plus chouette qu’un GD qui fonctionne et qui construit  une dynamique de région) , nationale (quoi de plus complexe que ce passage au fédéralisme que nous vivons, ce laborieux laboratoire de démocratie que nous expérimentons), international (quoi de plus précieux que les amitiés nouées lors des Ridef et retrouvées au congrès, que les traces d’un atelier regroupant 25 personnes de 10 pays différents)…

Je vais aller à la rencontre de ce concept de  méthode naturelle  choisi comme central par les organisateurs. Je dois confesser ici que cet oxymore m’a toujours déroutée. Une méthode  n’est par définition pas naturelle, et c’est bien ce paradoxe qui est la base même du concept. Mais pour ma part j’ai tendance à me méfier des méthodes pour leur préférer le tâtonnement, et à m’écarter des prétentions au naturel pour leur préférer les références au culturel. La méthode naturelle semble  précisément être  la systématisation du  tâtonnement et la prise en compte du culturel articulé au naturel, dans le sens de respectueux des singularités. L’exploration du concept demandera donc à chaque fois un effort de définition des deux termes si étrangement associés : « méthode » que veut-on dire ? Et « naturel» qu’entend-on par-là ?

Je vais aussi aborder cette aventure sans oublier le contexte qui est le nôtre : celui de la menace d’un hyper contrôle par le pouvoir politique, celui de l’injonction de « réussite scolaire » pour tous les élèves, celui d’un délitement de l‘école publique dans un monde hyper libéral. Notre mouvement nous donne la force de tenir debout, l’optimisme de la résistance, le culot de savoir que nous ne sommes pas seul.es même lorsque nous sommes isolé.es. Mais les notions mêmes de « liberté pédagogique » et de « réussite scolaire » doivent être interrogées dans ce contexte. Plus que jamais nous devons affûter nos arguments pédagogiques, revendiquer nos choix et nos diversités,  dans un contexte ni favorable ni bienveillant pour les pratiques alternatives à l’intérieur de l’école publique.

Alors oui je vais tenter cette posture de « grand témoin ».. mais en toute subjectivité.

« Graet witness » semble me convenir… « impartial observer »  sûrement pas, et « grand arbitrer » encore moins.

Bon congrès à tous !

Catherine Hurtig-Delattre