Congrès d'Angers : Grand témoignage de Claire Aubert

Journal du congrès d'Angers 2019

================

 

Cher ICEM,
Je tenais d’abord à te remercier de nous avoir invités. Je dis « nous » parce que je viens, davantage qu’en mon nom propre, au nom de l’association et du réseau d’associations avec lesquels j’agis aujourd’hui. On ne se connaît pas vraiment, mais je dois avoir un peu plus d’éléments et d’imaginaire à ton sujet que tu n’en as au nôtre. Voici donc pour commencer quelques éléments pour nous situer…

Nous avons d’abord en commun le terrain de l’éducation, et me retrouver depuis hier dans un endroit qui réunit plusieurs centaines de personnes consacrant du temps et de l’attention à « comment éduquer » en le pensant avec d’autres est suffisamment rare et précieux aujourd’hui, en France, pour qu’on prenne le temps de s’en réjouir. Ton éducation à toi est nationale - c’est dans ce cadre (et avec, et contre lui) que tu es né et que tu continues d’évoluer. La nôtre est dite « populaire » : nous nous retrouvons dans l’esprit de l’Union Peuple et Culture, et travaillons à des espaces éducatifs multiples pour jeunes adultes et adultes. Pour le dire de façon courte et rapide, notre action éducative ne vise pas à améliorer les performances des individus pour qu’ils et elles soient de meilleurs salariés (ou travailleurs), mais à créer et soutenir des espaces où « ça » éduque en cherchant à réduire les inégalités, habitudes et injustices (plutôt qu’en poursuivant la quête éperdue de l’illusion du bonheur individuel ?).

Tout au long de cette journée, j’ai eu le sentiment de découvrir ta « langue ICEM », que je comprends en partie et qui me demande aussi un effort de traduction et de déplacement par rapport à la langue partagée dans nos associations. Ce sont les questionnements qui germent grâce à cet exercice permanent de traduction que j’aimerais partager avec toi cette semaine.

Nos actions se situent dans l’éducation en dehors de l’école et vont de la formation professionnelle continue à l’analyse de pratiques professionnelles et sociales, en passant par des interventions en formations diplômantes, des tutorats de jeunes volontaires, des ateliers-philo dans des bars, des stages pour des bénévoles et responsables associatifs, des accompagnements à la création d’activités et d’initiatives en milieu rural, des chantiers et groupes autour de l’habitat ou des propriétés collectives, du soutien aux responsables associatifs, etc. Tu me diras que tu ne comprends pas très bien ce qu’on fabrique : je te répondrai qu’en soi, ce n’est pas très grave, et que c’est justement une bonne raison de se rencontrer. Au regard de ton cadre institutionnel (relativement) défini, nous traversons des terrains et des secteurs d’activités très variés, ce qui nous impose de travailler à la fois ce qui s’adapte et varie (d’un endroit à l’autre, selon les personnes et les situations) et ce que nous tenons en termes de principes, de postures ou de démarches.

Ce que tu nommes « méthode naturelle » résonne donc pour moi avec notre souhait d’exercer dans tous ces espaces « de l’attention sans intention », autrement dit de porter de la considération à ce qui se manifeste plutôt que de plaquer nos propres intentions (de formateurs, de structures) sur les espaces où nous travaillons. Ce qui ne signifie pas que nous n’avons pas d’intentions : je te rassure, nous sommes des êtres humains ! En revanche, nous essayons de les identifier et de les voir agir plutôt que de les laisser faire en toute inconscience. Nous choisissons aussi de nous appuyer sur les expériences des personnes, enfants comme adultes, et donc de leur accorder de la valeur a priori : là encore, cette posture éthique demande de situer un tant soit peu sa propre expérience et ses valeurs, pour ne pas les ériger en catégories d’analyse ou de jugement. « Privilégier le vécu au prévu » fait aussi partie de nos bagages, tu me diras si cette expression est passée chez toi ?

Je passe pour ce soir sur le travail que nous menons autour de l’éducation à l’écrit en dehors de l’école, nous aurons l’occasion d’en échanger dans les jours qui viennent !
Au plaisir donc de poursuivre découvertes et échanges,

Claire Aubert