Congrès d'Angers : Témoignage de fin de congrès des Grands Témoins - Claire Aubert

Journal du congrès d'Angers 2019

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Je ne peux pas rivaliser dans la catégorie costume avec Henry, j’ai donc choisi la catégorie  « texte libre » pour m’adresser à vous : je me suis dit que c’était le moindre des remerciements, après ces journées passées avec vous à apprendre un peu votre langue.
Donc.

Cher ICEM,

Merci encore de m’avoir accueillie. Passée l’impression de langue étrangère, je te confirme qu’au début elle est froide et après elle est bonne : je me suis sentie bien, chez toi. J’ai circulé, appris, échangé, écouté, bricolé, et je repars avec une belle collecte de questions et d’idées et de possibles. J’accorde beaucoup de valeur à des rassemblements comme celui-ci, où quelques dizaines ou centaines de personnes partagent des actes et des idées pour agir sur leur monde, y consacrent du temps et de l’énergie.
Dans ma langue, on parle souvent de nos façons d’habiter : habiter nos métiers, nos engagements, nos associations… Habiter ce qu’on fait. J’ai pu explorer ta maison en complice associative et éducative. Je vais essayer de t’en dresser un portrait maintenant.

D’abord, de quoi elle est faite… C’est plutôt une vieille maison : ça se voit à ses greniers bien remplis, à ses fondations solides qui se laissent voir par endroits, et aux nombreuses couches de papier peint qui se superposent. Dans le jardin, des tas de choses ont été semées, certaines sont cultivées et d’autres poussent comme elles veulent, et c’est très bien comme ça. On devine la patte  de ceux et celles qui sont passés par là, tu as l’air d’aimer garder des traces et des mémoires. Il y a sûrement quelques fantômes dans le grenier, à la fois sympathiques et encombrants. En bons fantômes, ils en dérangent certains et en rassurent d’autres. Dans toutes les pièces, des outils. Certains vieux, d’autres moins, tous en tout cas assez vivants puisqu’ils servent toujours, en passant de génération en génération, et surtout parce que les gens qui passent par là prennent le temps d’apprendre à s’en servir : ce ne sont pas les outils qui font le travail, on est d’accord. Bon, comme toutes les vieilles maisons, c’est un peu difficile à chauffer et ça demande de l’entretien, mais on s’y trouve plutôt bien, pour aménager un coin, y passer quelque temps ou y piocher de quoi se faire une cabane ailleurs.
Je me suis sentie bien chez toi cette semaine. Parce que j’aime bien les vieilles maisons, en partie, mais surtout parce que c’est une maison bien vivante, où ça circule de partout. Bien sûr je n’ai pas tout visité : c’est une grande maison, j’espère que tu t’en rends compte, on ne l’explore pas en quelques jours. Elle est agréable aussi grâce à ses nombreuses portes et à ses couloirs, qui permettent d’entrer par où on veut et de circuler à sa guise, voire de se laisser surprendre par des trajets qu’on n’avait pas imaginé. Et cette cuisine assez vaste pour que tout le monde mette la main à la pâte, ça te va bien, ça rend les repas encore meilleurs je t’avoue. C’est vrai qu’avec une grande famille, tu as intérêt à être bien organisée sur quelques points. Mais quand je regarde ce qui t’a fait tourner cette semaine, je crois que tu peux te détendre un peu : les gens qui vivaient là semblaient tous et toutes suffisamment autonomes et responsables pour que tu comptes sur leur intelligence et leurs raisons respectives d’être là. Ils sont grands tu sais, et ne viennent pas par hasard.
Mais tu ne m’auras pas : même si ça a l’air de rouler tout seul, je sais bien que c’est grâce à ton grenier, à tes vieux classeurs et à ton histoire que ça se passe comme ça. Et peut-être surtout grâce à l’intérêt que tes habitants leur portent année après année, qui ne se dément pas. Alors je te propose quelques idées de réaménagements, pour que tu gardes encore un bon moment ta capacité d’accueil et de circulation et que tu continues à accueillir comme tu le fais.
Laisse tomber la façade. Ou bien un de ces jours, si tu deviens miraculeusement riche, repeins-la si tu veux, mais pour le moment, c’est vraiment pas le plus important. Par contre, soigne les ouvertures et les huisseries, c’est important que chacun choisisse la porte qui lui va pour venir chez toi. Et pas besoin de clés : tu t’embêterais pour rien à savoir qui va les garder et qui en aura des doubles. Tu as autre chose à faire. Pour les couloirs, il y a quelques cloisons qui pourraient sauter ou bien être percées pour que des pièces voisines communiquent mieux. Finalement, ce qui fait qu’on se croise et qu’on se se sent bien, ce sont plutôt les endroits de passage et les espaces de circulation. Pour la déco et l’aménagement, je te laisse voir selon les usages, ça ne me semble pas être le plus compliqué. En revanche, est-ce que tu as pensé au raccordement ? Ces réseaux souterrains invisibles qui amènent l’énergie et font circuler l’eau. Ca ne dépend pas que de toi, mais ça facilite la vie, et un peu de confort ce n’est pas du luxe. Ca vaut la peine que quelques-uns s’y penchent pour que tout le monde en profite. Et rappelle-toi, selon les travaux, tu peux choisir de faire toi-même, parce que tu sais faire plein de choses, ou aller chercher des artisans qui t’iront bien, pour gagner un peu de temps et de fatigue -tu as l’air quand même pas mal occupée, ces temps-ci. Ne le prends pas mal, je ne te trouve pas croulante, je te dis ça pour que tu ne t’épuises pas et que tu passes plutôt du temps à aménager tes pièces et profiter de la présence de ceux et celles qui y passent.
C’est un peu pareil dans le quartier, ces temps-ci : par les temps qui courent, avoir des relations de voisinage sympa, c’est plutôt bienvenu. Est-ce que ça passe par un salon de jardin, des chemins piétons, un trou dans la haie, l’aménagement du parking, des invitations à l’apéro ou des coups de main pour s’aménager, je n’en sais rien, mais les nouveaux voisins seront sûrement contents de te croiser et les anciens d’avoir de tes nouvelles.
Bon. Je te laisse voir comment tu vas procéder de toute façon, puisqu’on sait bien toi comme moi que tu n’aimes pas trop faire sur plan, mais plutôt voir sur pièce ce qui peut se faire en partant de l’intelligence des mains et des matériaux disponibles. La pensée qui se construit par les gestes, Catherine va t’en parler mieux que moi. Moi je pense les curieux et curieuses qui pourraient faire un tour chez toi et méritent que tu leur fasses une place, que tu leur aménages des passages rien que pour eux…
Bons travaux alors, je tâcherai de t’envoyer des confitures que je vais faire avec les mûres du jardin ramassées cette semaine !