James, deux ans de création-recherche en maths

 

Revue en ligne CréAtions n°184 "ART ET MATHS"
annoncée dans le Nouvel Educateur n°184 - Publication : octobre 2007

Cycle 3, école de Toreille, Vence (Alpes Maritimes) - Enseignant : Jean-Charles Huver

 James, deux ans de création-recherche en maths

James a effectué son cycle 3 dans deux classes Freinet de l’école Toreille de Vence : la première année dans la classe d’Éliane Hérinx et les deux autres dans la classe de Jean-Charles Huver.


Organisation de l’atelier créations-recherches

Les enfants travaillent en créations-recherches mathématiques tout au long de l’année. Chaque enfant réalise des créations ou des recherches qu’il peut présenter à la classe et qui deviennent donc « objet d’étude collectif ». Il n’y a pas de limite donnée à ces travaux : il s’agit simplement de travailler en mathématiques et tous les aspects du programme sont abordés (calcul et nombre, mesures, géométrie, résolution de problèmes, etc.). Chaque enfant chemine à son rythme, selon ses capacités, ses difficultés, ses envies, et ses créations/recherches ou celles présentées par ses pairs. Chacun peut présenter ses travaux à la classe, qui s’en saisira pour l’aider à aller plus loin, expliciter, corriger d’éventuelles erreurs, progresser, etc. Il n’y a pas de notion d’échec, mais plutôt le respect des rythmes individuels.
 

La première année

Au tout début de l’année, nous avions travaillé ensemble (le groupe classe) sur une recherche relative à un quadrilatère que les enfants connaissaient plutôt bien : le carré.

Au départ, il ne s’agissait pas d’une recherche sur la symétrie, mais plutôt d’une recherche sur le carré et ses propriétés. James a tout de suite été intéressé par les différents axes de symétrie.

Pendant l’échange qui a suivi les présentations des diverses réalisations, James a présenté son point de vue. Les enfants ont recherché les différents axes de symétrie. Ils avaient tous naturellement déjà travaillé les années précédentes sur la symétrie orthogonale. Il s’agissait donc d’un moment de réinvestissement de leurs connaissances. Chacun a cherché dans ses propres dessins les éventuels axes de symétrie.

Quelques jours plus tard, James présente à la classe cette création et pose la question suivante : « Cette figure a-t-elle des axes de symétrie ? » La réaction de la plupart des enfants a été de dire non. James lui même était d’accord avec cette réponse négative. En effet, les parties colorées ne peuvent se superposer par pliage. Il fait toutefois remarquer que si on enlevait ces couleurs, la figure avait même plusieurs axes de symétrie.

En fait au départ, il avait tracé une figure avec plusieurs axes de symétrie puis il s’était donné comme consigne de « colorier certaines parties sans qu’elles se touchent autrement que par une pointe ». Dès cette deuxième création, James va se fixer un objet de recherche : travailler sur la symétrie orthogonale. Il se lance alors essentiellement sur des feuilles quadrillées dans des recherches assez complexes qu’il présente régulièrement à la classe. Certaines ont quelques erreurs, qu’il découvre lui même (avec ou sans l’aide de l’enseignant) ou que le groupe classe fait ressortir.

Les vérifications se font ainsi :
- photocopies d’une recherche,
- pliage,
- superposition,
- mesure, etc.

Des enfants s’essaient de leurs côtés à réaliser diverses symétries orthogonales qu’ils présentent également à la classe ou qu’ils vont montrer à James. Parfois, nous nous penchons tous plus particulièrement sur une recherche pour l’approfondir ensemble.

Un changement s’impose.

Petit à petit, les recherches de James se détachent de caractères figuratifs : (yeux, visages, personnages plus ou moins étranges, vaisseaux spatiaux, etc.) Il est, malgré l’investissement dans ses propres recherches, attentif et intéressé par ce que d’autres enfants produisent : il expérimente les « trouvailles » d’autres enfants en y ajoutant toujours sa touche personnelle, à savoir la recherche de symétries orthogonales. Il n’utilise plus seulement la règle ou l’équerre mais aussi le compas, compas qu’il se met aussi à employer pour vérifier l’exactitude de ses tracés. Les recherches se complexifient d’avantage.
Lors d’une présentation, un enfant dit : « Là, ce n’est plus des maths, c’est de l’art! ». Nous suivons ensemble (le groupe classe) cette piste pendant un moment : les enfants cherchent des oeuvres d’artistes qui font penser aux travaux de James. L’artiste qui a fait l’unanimité est Vasarely.
James, interrogé, explique que lui, quand il se lance dans une recherche, ne cherche pas au départ à faire quelque chose de beau mais plutôt à faire un travail compliqué sur la symétrie. Il explique aussi qu’il aime bien les « choses symétriques », l’ordre.

Quelques enfants ont aussi ramené des tableaux en fil. Ils les ont regardés mais cela n’a pas été plus loin. Ils ont continué à travailler sur des feuilles.

 


A la fin de la première année, James était devenu une « référence » en matière de symétrie orthogonale. Les enfants allaient le voir pour lui demander une explication, de l’aide, un avis ou même pour lui demander de préparer une symétrie à compléter. A chaque fois, James répondait positivement à toutes ces demandes. Sauf à une, celle du maître : toute la première année, de temps en temps, et sans trop insister, je lui avais proposé de travailler sur autre chose qu’une feuille quadrillée, sur une feuille blanche et il avait refusé. En y réfléchissant, ce refus était certainement lié au fait qu’il était toujours dans une phase active de recherche personnelle, d’exploration du quadrillage et de ses possibilités, de dépassement de ses propres limites. Il n’était tout simplement pas encore prêt et disponible pour les demandes du maître.

James découvre le papier millimétré qu’un groupe d’enfants de dernière année du cycle 3 utilisait pour réaliser des graphiques. Pendant un moment, il l’utilisera pour réaliser ses recherches de symétries orthogonales. Il reviendra ensuite rapidement au quadrillage « simple » de ses feuilles de classeur format Seyes.
 

La deuxième année

Au retour des vacances d’été, James reprend le fil de ses recherches. Interrogé, il dira que, pendant les vacances, il en a réalisé beaucoup ; qu’il en a aussi beaucoup données autour de lui car ses amis ainsi que des membres de sa famille les trouvaient très belles. Là-aussi, je note un réinvestissement de ses connaissances. Il nous dit également avoir parlé de Vasarely… tout content et fier de lui !

De nouveau la question de l’art et des mathématiques a été posée par un des enfants de la classe. Les « anciens » évoquent donc Vasarely et un « nouveau » parle aussi de Kandinsky. Le groupe classe repart dans de nouvelles recherches sur les artistes utilisant des symétries axiales. De nombreux noms d’artistes contemporains vont alors surgir, ainsi que d’autres remarques comme : « Il y a la symétrie mais aussi l’utilisation de nombreux polygones ». Les recherches s’orientent notamment vers le cubisme. Une question est alors posée par James : « Pourquoi dans le monde, sommes-nous nombreux à aimer la symétrie ? » Vaste débat !!!

De nouveau, de très nombreuses explorations personnelles et/ou de groupes, toujours présentées, prennent naissance autour de cette thématique : ce qui est symétrique dans le monde, dans la vie de tous les jours, etc.
Les recherches de James continuent de se complexifier et il est parfois difficile de les vérifier. Pour cela, on décide d’acheter une règle graduée avec zéro central. James se met à travailler sur des feuilles blanches et fait également varier la position des axes de symétrie.

Après avoir longuement exploré, expérimenté, il est prêt à réinvestir ses connaissances. Il n’a plus forcément besoin du support de la feuille quadrillée.

 

Résumé de la démarche

Le cheminement naturel suivi par James peut se résumer ainsi (et il se retrouve dans la grande majorité des cheminements suivis par les enfants de la classe).
1) Phase de sensibilisation au phénomène
Un événement de la vie de l’enfant, de la vie de la classe a
 été rapporté. Il a suscité l’intérêt. Il est devenu, dans l’exemple décrit ici, un événement mathématique. Une première emprise sur l’événement a lieu : essai de reproduction, recherche sauvage, etc.
2) Phase de reproduction du phénomène
Avec une « machine », une aide (dans le cas de James : le pliage, l’utilisation du quadrillage), on collecte les données, on les conserve. Les premières caractéristiques du phénomène émergent lentement.
3) Phase d’exploration du phénomène
L’activité du chercheur devient plus « méthodique ». L’objet de la recherche est maintenant défini. Les données sont organisées, des variants et des invariants découverts, une technique opératoire du phénomène construite (ici savoir faire une symétrie axiale).
4) Phase de reproduction du phénomène sans « machine »
La nouvelle technique opératoire est utilisée : on mesure l’étendue de son nouveau savoir, de sa puissance.
5) Phase de réinvestissement
Avec ce nouveau savoir, on peut traiter d’autres événements de la vie, classer et créer des équivalences d’événements.
6) Prolongements (non développés ici)
autres symétries et transformations : translations, rotations et homothéties.
7) Et surtout… la phase d’analyse
Une phase présente pendant et à la fin de la recherche, une phase primordiale dans la construction du savoir, à savoir l’analyse par tous les acteurs (enfants, groupe, adulte) des démarches :
- celles qui ont été abandonnées ou rejetées,
- celles qui ont réussi,
- et leur réinvestissement ultérieur possible pour des événements similaires (ou considérés comme tels et pour lesquels de nouvelles recherches s’imposent).

(*) pour aller plus loin voir le Nouvel Éducateur n°96.

 

 

 

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