L’artothèque à roulettes

 

 Revue en ligne CréAtions n°185 "Artothèques"
annoncée dans le Nouvel Éducateur n°185 - Publication : décembre 2007
Article déjà publié dans la revue CréAtions n° 112
"Travailler ensemble" - Parution : mai/juin 2004

Groupe départemental de l’ICEM 95 (Val-d’Oise)

 

 

 

L'artothèque à roulettes

Coopération et enrichissement mutuel à la portée de tous

 

 

Naissance du projet et règles du jeu

 

Au congrès de Rennes, l’école Louis Buton d’Aizenay avait présenté des œuvres d’enfants encadrées, accrochées à des cimaises comme dans un musée ou une galerie. Ces tableaux faisaient partie d’une artothèque que l’équipe d’Aizenay avait mise en place auprès des familles. CréAtions en a rendu compte dans son numéro 99.


Ce projet nous a séduit et nous avons envisagé de l’adapter à nos classes.

Dans un premier temps, chaque classe ou chaque enseignant a fourni une production d’enfant mise en valeur dans un cadre. Une petite dizaine d’œuvres très diverses ont ainsi été réunies. Elles ont été emballées dans du plastique à bulles et rassemblées dans une caisse en bois munie de roulettes et de poignées pour en faciliter le transport ; les frais d’achat des cadres et de fabrication de la caisse ont été pris en charge par le groupe départemental de l’ICEM.

Un circuit de prêt interclasse a été programmé, permettant à chaque classe d’exposer, pendant une semaine, l’ensemble de l’artothèque soit, selon les cas, dans la classe même qui participe au circuit, soit dans l’école de cette classe (hall d’entrée, couloir, etc.).

A l’issue de cette période, les enfants choisissent une œuvre qu’ils conservent jusqu’à la fin de l’année scolaire. En échange, une œuvre de la classe, encadrée, est jointe à l’artothèque.

 

Dans chaque classe, dans chaque école, l’artothèque est l’occasion de découvertes et d’échanges. 

 

 

Un statut d’œuvre
pour les travaux d’enfants

Les enfants, qu’ils soient spectateurs actifs ou producteurs sont sensibles à la valorisation de leur travail par la mise en cadre. Une peinture ordinaire acquiert une nouvelle valeur grâce au regard particulier que l’on porte sur elle.
D’ailleurs, certains enfants, conscients de cela, choisissent de « signer » ou de coller leur étiquette de façon visible sur leur travail.

 

 

Une grande diversité

 

L’exposition propose des techniques très variées : pastels, encres soufflées, collages, monotypes, etc. Cette richesse suscite l’envie de les expérimenter à son tour et relance dans les classes les ateliers d’arts plastiques.
Les réalisations proviennent de classes de tous les cycles. Les enfants accueillent avec le même enthousiasme et la même curiosité tous les travaux, quel que soit l’âge de leur auteur. Dans un CM1/CM2, les enfants choisissent de conserver une œuvre d’un enfant de la maternelle. Ils proposent en échange une autre œuvre qui renvoie par sa composition à celle d’un autre élève.

 

Le foisonnement des échanges


Le fonctionnement même de l’artothèque provoque de nombreuses occasions de discussions, lors de la découverte de l’exposition elle-même, lors du choix de l’œuvre à garder ou lors du choix de l’œuvre à proposer.

Nous avons choisi l’œuvre de Loïc, sans titre.
Les enfants y voient « plein de choses », beaucoup de couleurs, des formes qui ressemblent à… un chapeau de fou, un oiseau (en prenant plusieurs parties), un paysage vu de loin, etc.
Nous avons l’idée d’expliquer tout ça sur notre site internet .
Rémi, enseignant en classe de CM1/CM2.

 

Pour ouvrir l’artothèque à la troisième dimension, je les incite à choisir une des sculptures en bois que certains ont fait en octobre. Très attachés à leur réalisation, les enfants hésitent à s’en séparer, même provisoirement. Je dois bien expliquer de nouveau que personne n’emportera sa sculpture dans l’immédiat puisqu’elles seront exposées dans la bibliothèque et que tout le monde la récupérera en fin d’année. Huit enfants sur quinze acceptent de proposer la leur.
Le choix définitif, par vote, se portera sur le « château fort » réalisé par Alice qui est en moyenne section. Cela donne l’occasion aux enfants qui avaient préféré l’atelier mosaïque en octobre de réaliser à leur tour une sculpture en bois.
Maud, enseignante de Grande Section.

Chez nous, à Bernes–sur-Oise, l’artothèque est exposée dans le hall de l’école. La sculpture du « château fort » fait grosse impression. Mais comme il n’y a qu’une seule sculpture, nous n’osons pas la garder. Nous retenons « Les portes ». De retour en classe, nous avons essayé d’ouvrir les portes de l’imaginaire ainsi que les fenêtres, les entrées de la mémoire… Nous avons raconté les œuvres, mais après avoir quitté l’expo. J’en ai profité pour relancer certaines techniques et redynamiser le coin peinture. A suivre…
Dominique, enseignant de classe de Moyens.

 

 

Des ouvertures facilitées


Lorsque les œuvres sont exposées, dans un hall par exemple, tous les enfants peuvent en profiter et Dominique note que ses collègues sont impressionnés par la mise en exposition.
Rémi remarque un accueil intéressé et curieux de tous les enfants du cycle 3 qui fréquentent cet espace, même de ceux qui ne sont pas impliqués dans le projet.
Dans l’école de Maud, cette approche a motivé l’équipe pour imaginer un projet d’exposition évolutive au sein des trois classes et en direction des familles. Dans toutes les classes, on est maintenant attentif à la présentation des travaux des enfants.
Afin de choisir l’œuvre à prêter à l’artothèque, Dominique a choisi de faire participer au vote non seulement les enfants de sa classe, mais aussi tous les adultes qui viennent à l’école : parents, collègues, accompagnateurs, etc.


Conclusions


Dans les classes, après deux années de fonctionnement, nous sommes globalement satisfaits de cette tentative de changer le regard porté sur la création des enfants. Nous en avons affiné les règles du jeu dans la durée et la fréquence. Cette année, nous garderons l’artothèque une dizaine de jours et nous la retrouverons deux fois dans l’année.
Nous constatons que l’artothèque déclenche des envies de faire, des découvertes de techniques, des réactivations des ateliers déjà mis en place. Dans le Groupe Départemental, l’élaboration et le suivi de ce projet multi-niveaux ont permis aux membres du groupe de tâtonner ensemble, de coopérer, de communiquer l’état de leurs recherches. Ils leur permettront bientôt aussi de s’exprimer…
En effet, nous avons petit à petit transformé, affiné, ajusté les règles du jeu. Nous avons pris confiance et nous osons maintenant davantage proposer des travaux en trois dimensions malgré les difficultés pratiques de stockage, de transport et de mise en espace.
Nous avons ressenti le besoin de garder des traces de ces tâtonnements et un cahier circule avec nos notes et nos photos. Il rend compte des diverses installations dans les écoles et des mouvements d’œuvres.
Si l’idée de départ était vendéenne, nous l’avons adaptée à la réalité val d’oisienne et nous souhaitons maintenant l’enrichir grâce à un outil en cours d’élaboration dans la région Nord-Pas-de-Calais : « le passeur de culture » (voir encadré ci-dessous).
Cette action dynamise l’ICEM 95 et quel que soit le niveau de classe et les préoccupations de chaque enseignant, il occasionne des rencontres régulières et des échanges qui débordent le cadre de l’artothèque et qui n’auraient pas lieu sans elle.

 
Et l’expression ?


Valoriser l’expression artistique des enfants certes, mais aussi veiller à ne pas les enfermer dans un ghetto infantilisant. Nous proposons donc d’élargir l’artothèque à des travaux d’adultes. Ce sera l’occasion pour les enfants de désacraliser les productions des adultes en leur demandant de choisir, parmi plusieurs, celle qui sera encadrée. Pour les enseignants, ce sera une opportunité de mettre les mains dans l’encre et à nouveau de coopérer, tâtonner et de communiquer leurs expériences artistiques. Pour tous, l’artothèque deviendra prétexte à échanger points de vue et savoir-faire, culture et expression. 

 

 

  

Notre travail d’enseignant(e) est un travail d’éducateur pour peu que l’on se préoccupe de l’enfant, être global, être vivant dont la nature est la même que celle de l’homme. Cette « évidence » nous conduit, dans les classes coopératives, dans notre choix de militant(e) de la pédagogie Freinet, à permettre les impulsions créatrices, à laisser se creuser les sillons où vont germer les créations et expressions des enfants. Les communications, la coopération dans les apprentissages nous conduisent petit à petit à prendre , construire des points d’appui, par l’intermédiaire de techniques et d’outils. Dans cette « montée » vers les savoirs, lois trouvées, techniques de vie, vont apparaître des métissages de cultures au gré des rencontres entre les enfants, entre les enfants et l’enseignant, entre la classe et les cultures socialement déjà existantes. Les productions des enfants vont au fur et à mesure s’interpénétrer et « s’entrechoquer » avec des œuvres extérieures à la classe, que ce soit des livres, des textes, d’écrivains adultes, des peintures, des sculptures, musiques de « grands maîtres »… Révéler aux enfants, dans tous les domaines, les richesses de leur patrimoine culturel relève d’une nécessité qui incombe tout naturellement à un éducateur soucieux d’élargir au maximum le champ d’investigations culturelles des enfants : les mettre en rapport avec le monde passé et le monde à venir, avec le « déjà là » historique, social, culturel. Il nous appartient, à nous éducateurs, de bâtir des ponts entre savoirs personnels, privés, d’une part et savoirs coopérativement construits au sein d’une communauté que chacun sert et qui sert chacun, savoirs « publics », d’autre part. C’est là certainement la part essentielle que tout(e) enseignant(e) doit apporter.


Extrait du dossier « Le passeur de culture », in Le Nouvel Educateur n° 95 , Ed PEMF, Coordination : Sylvain Hannebique
(*1): paru aussi dans CréAtions n° 112 (Travailler ensemble)

  

 

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