Conférence Serge Boimare

 

mercredi 26 mars 2008 -salon Freinet de Nantes
 
Serge Boimare est directeur pédagogique du Centre Claude Bernard à Paris. Instituteur spécialisé, rééducateur, psychologue clinicien. Depuis plus de trente ans il met en pratique une démarche psychopédagogique auprès d'enfants et d'adolescents qui ont pour point commun de refuser avec force les apprentissages scolaires. Auteur de « l’enfant et la peur d’apprendre ».
Les notes qui suivent ont été prises par un membre du GD44.
 
Serge Boimare :
Instituteur spécialisé depuis 1967. A rencontré des adolescents en situation difficile ou en échec scolaire.
 
Pourquoi des enfants intelligents et curieux n’arrivent pas à intégrer les savoirs fondamentaux ?
 
Qu’est-ce que les savoirs fondamentaux ?
 
Réflexion sur ses savoirs mais non sur les pratiques et principes pédagogiques.
 
I – Les grands points qui signalent les enfants en difficulté
 
Comment repérer les enfants ?
 
A – environ 15 % sortent du système sans maîtriser les savoirs fondamentaux.
 
Ø Fait du soutien psycho-pédagogique avec ados de 15-16 ans, qui ne maîtrisent pas les savoirs fondamentaux. Leur demande de lire un conte (10-12 lignes), et de raconter l’histoire. Mais ils n’arrivent pas à dégager l’idée principale de ce début de conte.
Ø Leur demande d’écrire une phrase : beaucoup de ces ados n’accordent pas le verbe avec le sujet.
Ø Ces ados ne peuvent pas enchaîner deux arguments pour défendre une idée. Ils ont une sorte de déficit dans l’utilisation du langage. Quelles recettes appliquer à l’intérieur de notre école.
Ces 15 % d’élèves ont un point en commun : ils sont empêchés de penser, ce qui amène à des enf qui seront très difficiles d’accès.
 
B - Qu’est-ce que l’empêchement de penser ?
 
Difficulté à s’appuyer sur capacités réflexives (faire du lien, faire appel à des représentations personnelles pour imager les situations…) sans ouvrir la porte à des sentiments parasites (peurs, vécu de frustration trop intense pour poursuivre). Cela dérègle les capacités à penser.
Ces enfants recherchent un équilibre personnel dans l’évitement de penser.
Quand ils ont trouvé cet équilibre, la pédagogie traditionnelle ne peut plus accéder à ces ados.
Il faudrait reconnaître qu’il existe un noyau dur d’élèves non accessibles (à la reprise des bases, au travail en petit groupe…). Ils ne vont pas céder à nos propositions.
 
Continuer à décrire ces élèves pour trouver le mode de fonctionnement de l’élève.
Cinq points qui permettent de repérer les enfants dans l’empêchement de penser :
Ø Enfants qui en restent à une curiosité primaire : curiosité qui ne se sublime pas pour aller vers les apprentissages, mais tournée vers l’individualité, le sexe, la violence. Reste fixée à un stade.
Ø Difficulté particulière à entrer dans les temps de suspension qu’il faut pour apprendre : phobie du temps du doute. Ces enfants, pour éviter ce temps, transforment leur fonctionnement intellectuel. Etre toujours en terrain connu. Rapides dans l’association immédiate. Vont vite vers le sens de la lecture par exemple. La vitesse vient empêcher le parasitage par l’émotion.
Ø Relais passé rapidement au corps (enfants « agités », « instables », qui bougent beaucoup). Attention aussi à ceux qui vont ralentir cette activité corporelle, diminuer le tonus (temps proche de la rêverie). Malaise (maux de tête, maux de ventre, laver les mains, sensations de froid, de faim).
Ø L’évitement de penser : marqué par l’arrivée brutale d’auto-dévalorisation, retrait immédiat (« J’y arriverai pas… »), sentiment de persécution (exercice bidon, travail pour les gonzesses, collège pourri, professeurs qui manquent de respect…).
Ø Langage signalé par son insécurité et sa pauvreté. Capacité à accéder au langage argumentaire très limitée.
Ce qui est mis en place actuellement (mettre des heures en plus pour s’entraîner, pour répéter…) n’a aucune validité et provoque un rejet encore plus grand. Amélioration des stratégies anti-apprentissages, au contraire donc de l’objectif visé.
 
C – Comment il a commencé…
A commencé à lire des contes à ses élèves en difficultés (élèves de 11 à 13 ans, qui ne savaient pas lire du tout), contes normalement lus à des 5-6 ans.
Les autres, qui jouaient dehors, ont commencé à rentrer et il a réussi à rassembler tout le monde à l’intérieur, de la classe + discussion à l’issue de cette lecture.
Discussion bizarre d’après lui… (non basée sur des réflexions « d’élèves », telles qu’on nous l’enseigne à l’IUFM) mais cela a permis de mettre en place une communauté d’idées.
A continué à lire des histoires, pendant plusieurs semaines. Puis, il s’est dit : pourquoi ne pas sortir les mots des contes lus pour la leçon de lecture ?
Lecture des titres des contes. Les enfants se sont mobilisés sur ce type de lecture.
Puis Serge Boimare a décidé de continuer en travaillant sur les maths (toujours à partir des contes).
 
II – Quelles propositions pédagogiques, quels principes pour le spécialisé et le milieu ordinaire ?
 
Ø Le premier principe repose sur le nourrissage culturel : lecture de mythes et de contes, en ce qui le concerne. Ce nourrissage traite de préoccupations capitales pour ces enfants, donne une forme, une image à leur pensée. Ils peuvent alors s’appuyer sur leur monde interne pour commencer à penser. On trouve donc le moyen de les intéresser en répondant à leur curiosité primaire.
Ø Proposer un support pour cet entraînement langagier, faire parler les élèves (attention aux difficultés : nombre, faire parler enfants qui ne se regardent pas…). Quoi de neuf a peu d’intérêt pour les enfants qui ont un problème langagier. D’où l’intérêt d’un apport-support culturel.
Ø Créer une communauté, quelque chose qui relie les enfants les uns aux autres.
Ø Donner du sens aux savoirs proposés. Notion nouvelle à relier à un autre savoir (lien).
Ø Ce travail pédagogique doit être prolongé par un travail en équipe des enseignants. L’empêchement de penser est contagieux, il est difficile à combattre, il peut toucher l’enseignant, d’où l’intérêt de travailler en équipe.
 
 
 
Questions :
 
Pourquoi avoir tenté expérience d’instituteur spécialisé ?
 
Il a été encouragé à tenter cette expérience, par une inspectrice, après un an d’enseignement ordinaire.
Mais il n’avait aucune idée avant de ce travail avec les enfants en difficulté, peut-être à relier avec un vécu personnel.
 
Est-ce que l’on peut rêver un jour d’une école sans instituteur spécialisé, avec une pédagogie adaptée à tous ?
 
Comment dans la classe ordinaire avec appui culture et langage, on peut aider les enfants en difficulté. Ces enfants en difficulté sont beaucoup plus que ce que l’on ne pense.
Quand on acceptera d’utiliser ces deux outils dans l’école ordinaire, on arrivera à diminuer l’empêchement de penser.
Après, certains ont des problèmes un peu plus particuliers, mais le nombre n’est pas de 15 %.
 
Peut-on se passer de rééducateurs actuellement ?
 
Les rééducateurs sont menacés actuellement, s’en passer non, mais trouver une autre forme de travail que, par exemple le travail avec enfant en individuel). Ils ont tout à fait leur place à l’école.
 
La formation à l’IUFM ne va-t-elle pas à l’encontre de ce qui vient d’être dit ?
 
Humaniser la pédagogie et non individualiser la pédagogie. Tant qu’on gardera cette idée qu’en faisant de la répétition, on aidera les enfants en difficulté, on n’avancera à rien.
Ce n’est pas en personnalisant le travail que l’on fait avec eux que l’on va y arriver.
Ce n’est pas par l’entraînement et la répétition que l’on passera par dessus les difficultés.
 
En écoutant les évènements qu’apportent les enfants, on peut aussi s’occuper de leur monde interne (quoi de neuf, moments d’expression dans la classe…). 
 
Question importante. Puis-je partir de ce que m’amènent mes élèves ?
Serge Boimare insiste sur enfants empêcher de penser, monde interne trop chaotique pour être récupéré, doit être remis en place avant, et donc s’appuyer sur nourrissage culturel. Pendant deux ans environ, reconstruire le monde interne avant de pouvoir s’exprimer.
Thèmes utilisés par nourrissage culturel plus forts que ce que peuvent apporter les enfants. La culture donne un filet, donne un plus.
 
Est-ce que l’EN ne gagnerait à prendre en compte dans les équipes pédagogiques la participation de psychologues (pour les ados) ?
Règles délimitées ce matin sont les mêmes pour les prof de collège. Principes qui permettent de s’en sortir :
-          travailler en équipe, avec un psychologue extérieur à l’équipe qui viendrait réguler. Echanger sur le règlement et trouver un thème commun qui permet à chacun de développer son programme. Mise en place difficile (un an environ) avec une classe expérimentale, sur un niveau…
 
Pour les migrants, n’y a-t-il pas une part due à l’occultation de la langue de départ chez l’enfant ?
 
Causes qui mène à l’empêchement de penser :
-          enfants qui n’ont pas été assez sollicité au niveau langagier pendant les premiers mois, premières années de leur vie. Ca a donc à voir avec la langue, ou plutôt le langage. Touche plutôt milieux défavorisés culturellement.
-          Manque d’initiation à l’épreuve normale de la frustration (touche tous les milieux). Car : on a envie de protéger ses enfants, et il y a de plus en plus de nouvelles familles (avec autorité diluée).
Certains ont ces deux causes, c’est chez eux que l’on trouve les échecs les plus retentissants.
 
Depuis 67, succession de lois, autour des savoirs fondamentaux, dans ce qu’on attend dans ces lois, on privilégie une approche mono-disciplinaire, idée que les apprentissages sont une empilement de savoirs, en vue de remplir un entonnoir…Ne devrait-on pas explorer des auteurs ayant effectué des recherches en psychologie de l’enfant…
 
Présentation des savoirs qui s’empilent, s’emboîtent. Comment peut-on faire passer cela aux enfants les plus en difficulté ? Cela ne semble pas possible.

 

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