En Chantier N° 14, Produire du jus de pommes

La réalisation d’un projet
nécessite la recherche
de nombreuses informations.
 
Des élèves du lycée expérimental de Saint-Nazaire
ont produit du jus de pommes pour la cafétéria de l’établissement
dans le cadre d’une recherche/réflexion/action
sur « l’alimentation et les produits locaux ».
 
Julien ROUGELOT
Membre de l'Equipe Educative (MEE)

Plan de l’article :

            - Sortir de la pédagogie assise
            - Le partage du pouvoir
            - Le rapport au savoir
            - Penser la consommation
            - le bilan d’une élève
            - reportage photographique
 
 
            Dernière quinzaine de septembre 2009, un atelier intitulé « Notre alimentation et les produits locaux » a eu lieu au lycée expérimental de Saint Nazaire. Cet atelier, comme tous les ateliers de ce lycée particulier, se déroulait tous les matins durant deux semaines avec un groupe d'élèves volontaires et deux membres de l'Equipe Educative (MEE). Le thème, les objectifs pédagogiques et les méthodes de l’atelier ont été définis au préalable par ce même groupe, ce qui permet une co-construction de ce qui va être fait. 
            Le thème de cet atelier était le lien entre les besoins énergétiques du corps humain, les habitudes alimentaires et culturelles, la production maraîchère locale et les différents modes de conservation. Ces thèmes recoupent les programmes officiels de lycée (essentiellement l'enseignement scientifique pour les premières L) mais peuvent aussi être perçus comme de la culture générale utile voire indispensable à tout citoyen.  
            C'est dans ce cadre que 5 élèves volontaires, ma collègue MEE et moi-même avions prévu de fabriquer du jus de pommes, depuis le ramassage des pommes jusque la mise en bouteille.
 
 
            Derrière cette action, plusieurs idées nous animaient, chacune faisant ressortir quelques notions fortes en termes d'éducation et d'apprentissage :                     
 
            Les élèves avaient clairement exprimé le souhait de sortir de la pédagogie assise : sortir de la salle de classe, sortir du lycée, être actifs, faire... En effet, la majorité des élèves participant à cet atelier étaient nouveaux au lycée, tous fraîchement débarqués de collèges ou de lycées traditionnels. Ils se réjouissaient donc de pouvoir, dans le cadre de leur formation, sortir de l'école, et plus particulièrement que cette envie puisse être reconnue tant par des enseignants que par une institution scolaire. Volonté toute paradoxale de faire l'école hors de l'école ! 
            Ainsi, l'idée d'aller dans un verger durant toute une matinée ramasser des pommes puis de se rendre dans un pressoir, également toute une matinée, a vite été adoptée par les élèves.
 
            On retrouve ici un fondement du lycée expérimental : le postulat que le partage du pouvoir permet pour les élèves une modification de leur rapport au savoir.  
            Partager le pouvoir signifie, dans ce cas présent, permettre aux élèves d'avoir un rôle actif dans leur formation, d'avoir leur mot à dire quant aux modes de fonctionnement qui régissent leur formation. L'idée est que ceci entraîne de leur part une meilleure appropriation des différents savoirs abordés : on retient mieux ce que l'on a choisi d'apprendre.  
            Une telle posture engage, entre autres choses, que certains choix faits par un groupe puissent sembler être injustifiés au vu de certaines velléités pédagogiques. Ainsi, il peut être considéré comme une perte de temps de passer deux matinées entières à cette action. Cependant, il me semble que c'est là une nécessite en terme d'acquisition de liberté, d'autonomie et de confrontation au réel. C'est donc perdre du temps pour en gagner...
 
            Le bilan de l'activité fait par les élèves exprimait d'ailleurs que, pour eux, le rapport au temps a été quelque chose qui s'est travaillé durant l'ensemble de l'atelier.  
            Il y ainsi cette élève de première L qui s'est particulièrement plongée dans un travail plus scolastique pendant l'atelier. Elle faisait ressortir lors de son bilan qu'il lui a été utile de pouvoir souffler, sortir de la salle de classe afin de faire des pauses et que son travail sur documents n’en a été que plus efficace.  
            Il y a aussi cette autre élève, également en première L qui a été très active pour cette action autour du jus de pommes mais qui a eu plus de difficultés quant au travail à l'écrit. Elle a ainsi déclaré, et a donc pris conscience, que le travail à l'écrit, nécessitait pour elle un réel effort, une grande patience et qu'elle avait à progresser sur ce plan là.
 
            Il y a également là l'idée que les livres ou l'enseignant ne sont pas la seule source de savoirs. Par exemple, lors des sorties, des discussions avec des personnes extérieures ont permis aux élèves de prendre contact avec un savoir non livresque, pragmatique tout aussi noble et instructif. Ils ont ainsi pu se construire une idée de l'intérêt de la pasteurisation en discutant avec le personnel du pressoir, pu se rendre compte de la multiplicité des espèces de pomme et de l'usage spécifique de certaines d'entre elles en discutant avec la personne qui nous a ouvert son verger pour un prix modique. 
            Liée à cette envie de sortir, de faire, est ressortie l'idée d'apprendre à faire, d'apprendre des techniques, des gestes, des usages, découvrir des lieux, des outils. Ceci recoupe évidemment les techniques de pressage, de pasteurisation, de mise en bouteille mais aussi des aspects beaucoup plus pragmatiques comme calculer la quantité de pommes nécessaire, estimer intelligemment le poids des pommes ramassées, évaluer la consommation de jus de pomme au lycée expérimental...
            Ainsi, se confronter à la complexité d'une situation concrète permet d'engager un apprentissage global et général. Ceci concerne bien sûr l'idée qu'apprendre ne se limite pas à construire une tête (qu'elle soit bien pleine ou bien faite...) mais aussi un corps. C'est-à-dire, qu'il est tout aussi important de savoir lire, compter, écrire des dissertations, résoudre des équations du second degré que de savoir faire, manipuler, connaître des techniques, des gestes. Par exemple, comment faire un jus de pommes qui pourra se conserver ?
 
            J'avoue avoir souri en voyant une élève arriver dans le verger en ballerines... et réaliser tout à coup que les bottes sont un outil qui peut s'avérer très utile... ou encore, cet autre élève demander tout à coup, lors de la mise en bouteille, pourquoi le jus de pomme est chaud. 
            Mais aussi, que la réalité (celle du savoir comme celles plus quotidiennes et plus pragmatiques) a ceci de particulier qu'elle a tendance à résister à la volonté. C'est là d'ailleurs que la notion de travail prend toute sa dimension. Et se confronter à cette question fait bien partie de l'apprentissage global et général d'un individu.  
            Ainsi, au début de l'atelier, beaucoup d'élèves étaient dans le « Il n'y a qu'à... », « Il faut qu'on... ». Par exemple, « Oui, il n'y a qu'à aller ramasser des pommes, on les presse et voilà... » …Évidemment, lorsque s'est posée la question de savoir combien il nous fallait de sacs pour ranger les pommes que nous allions ramasser, cette réalité qui paraissait si simple s'est tout à coup complexifiée : combien de litres de jus de pommes devons-nous faire ? Combien de kilos de pommes pour un litre de jus ? Combien contient un sac ? Où trouver des sacs ? Un élève a exprimé ainsi, lors de son bilan, qu'il s'était posé la question de savoir comment ne pas se décourager face à ce genre de situation, et que du coup, il était fier que le groupe ait réussi à surmonter ces difficultés et qu'il ait pu participer à cette action. Il y a bien là, un apprentissage global et général de l'individu.
 
            En tant que membre de l'équipe éducative, il y a un axe du savoir qui me paraissait important dans la formation d'un élève : la prise de conscience du parcours de vie d'un produit de consommation courante. depuis les lieux de production des matières premières jusqu'à sa consommation et même jusqu'au recyclage des bouteilles. Construire cette démarche permet aux élèves de prendre conscience tant du travail humain que de l'énergie utilisée pour que nous puissions simplement boire un verre de jus de pommes. 
            Il y a là un enjeu important pour tout citoyen de notre société moderne. C'est une des façons de penser la consommation, de repenser cet acte qui nous est quotidien et qui structure en grande partie notre société actuelle.  
            Il est essentiel pour l'école de rester en lien avec les enjeux de son temps. Bien sûr, l'idée n'est pas là de fabriquer de petits révolutionnaire écologistes, mais de donner des outils d'analyse et de compréhension en phase avec le monde actuel, ce qui est également, me semble-t-il, un rôle fondamental de l'école.
 
            Le groupe dans son entier voulait mener une action pour l'ensemble du lycée. Le jus de pommes que nous allions produire serait revendu à prix coûtant à notre cafétéria, la ´« casbah ». Le lycée aurait ainsi du jus de pommes bio, à prix tout à fait correct (1 euro le litre) et nous, nous aurions la fierté d'avoir fait pour d'autres.  
            Cette action a d'autant plus de sens qu'elle se fait en début d'année, permettant ainsi à des nouveaux élèves (mais aussi aux anciens élèves qui reviennent de deux mois de vacances) de construire ou de se reconstruire une appartenance à un collectif. 
            Lorsque le jus a été ramené au lycée, on a pu noter un sentiment de fierté de la part de beaucoup d'élèves, même de la part d'élèves n'ayant pas participé à ce chantier. Les élèves de Casbah nous interpellaient pour dire : « C'est trop bien, ce jus de pommes ! » On a d'ailleurs pu les entendre dire « notre jus de pommes », faisant ressortir une appropriation de ce travail. De la même façon, nous (et moi, plus particulièrement, étant reconnu comme MEE) avons eu beaucoup de retours positifs, demandant souvent si cette opération allait être réitérée.  
            Il se joue ici la question de l'appartenance à une collectivité scolaire, à un groupe autre que la famille. Dans les paroles des élèves, il se disait souvent « pour le lycée... », le lycée décrivant ici, l'ensemble des humains participant à cette institution.  
            Il me semble qu'il y a là un rôle essentiel que l'école a à jouer : travailler la transition entre le cercle familial et l'ensemble de la société, voire à l'ensemble de l'humanité. C'est une de mes façons de comprendre l'idée de former des citoyens éclairés. Ceci se joue entre autre chose, au niveau du sentiment d'appartenance à des collectifs. Comme tout apprentissage, celui-ci n'est pas linéaire et il ne s'agit pas forcément de construire une gradation : de l'individu, à la famille, puis à l'école, puis à la ville, la région, le pays, la Terre... mais il est important que certains de ces groupes soient clairement marqués et reconnus. C'est un des rôles de l'école. 
            Et en l'occurrence, cette question de l'appartenance se construisait dans l'idée de don, de faire pour d'autres que soi. Ainsi, nous sommes allés voir la Casbah leur demander une estimation de combien de litres de jus de fruits se vendaient par semaine. L'idée est de constater qu'il y a là des besoins au niveau du collectif lycée expérimental, et certains, au nom de cette appartenance vont aller produire ce jus de fruits pour d'autres. C'est une forme d'altruisme et c'est quelque chose qui s'apprend et se cultive et c'est là, il me semble, un des rôles de l'école.
 
Pour conclure, je me dois de nuancer la démarche dans son ensemble.  
            Il est vrai que cette action a pu avoir lieu dans toute sa dimension, en grande partie grâce au fonctionnement particulier du lycée expérimental. L'ensemble de la structure permet un rapport au temps différent au sein des activités pédagogiques et ainsi de travailler différemment. 
            Il me semble ainsi compliqué de la transposer telle quelle avec une classe au sein d'un établissement traditionnel. L'engagement des élèves, leur volonté de faire et d'apprendre sont des données indispensables à tous les niveaux de cette action et ne sont pas simples à construire a priori avec un groupe préétabli et non choisi par l'élève comme peut l'être une classe traditionnelle. 
            Ceci étant dit, les objectifs décrits ci-dessus peuvent prendre forme à travers d'autres types d'actions éducatives. Il me semble que les objectifs formulés par les élèves de cet atelier donnent une base pour construire un travail avec les élèves. Les paroles d'élèves sont toujours un bien précieux, quelle que soit la structure dans laquelle nous travaillons.
 
 
Le bilan d’atelier par une lycéenne 
            J’ai trouvé cet atelier très enrichissant. On a d’abord appris à organiser un projet, « faire du jus de pommes ». On a dû se confronter à des problèmes d’organisation et à les surmonter (pas de moyen de transport, où aller ? besoin d’argent…) Cette expérience est très enrichissante pour la vie future.
            Ensuite on est allé cueillir des pommes et en faire du jus. J’ai trouvé ça vraiment très agréable et intéressant, d’abord c’est la concrétisation d’un travail de plusieurs jours mais aussi car je n’avais aucune idée précise sur la manière de faire du jus de pommes. De plus, j’ai trouvé le fait de sortir du cadre scolaire pour apprendre vraiment super. J’ai beaucoup appris et été très surprise.
            Pour finir l’atelier, on a divisé le groupe en deux. Certains ont travaillé sur les produits locaux, d’autres ont travaillé le programme de première L. J’ai travaillé le programme pour mon projet bac. J’ai trouvé le travail intéressant et beaucoup apprécié d'étudier en autonomie tout en posant des questions et en mettant en commun avec le groupe.[…]
            Pour l’année prochaine, je pense qu’il serait bien de renouveler l’opération «j us de pommes ». Faire nous-mêmes, pour nous et pour les autres, est quelque chose de vraiment chouette. En plus, c’est quelque chose qu’on n’a pas l’habitude de faire, on apprend beaucoup !
            Si on refait ça l’année prochaine, il faudrait que l’on fasse un classeur avec les adresses de vergers et de pressoirs, les astuces (prendre des bottes aussi pour le pressoir !…) et toutes les infos pratiques pour monter le projet. 
            Enfin, j'espère que cet article contient des idées qui peuvent donner lieu à réfléchir sur les enjeux de notre métier d'enseignants et sur le rôle de l'école. Dans un contexte politique de réforme (autant du secondaire, que de primaire ou de l'université), il est essentiel pour tous les acteurs de cette école de réfléchir et d’ échanger sur cette question : quel est le rôle de l'école ?
 
Julien ROUGELOT, janvier 2010

 

Reportage photographique

 
1. Ramassage des pommes


2. Lavage des pommes

 
3. Empilement avant le pressage


4. Préparation du pressage


5. Le jus coule


6. Remplissage des bouteilles

 
6. Encapsulage

 

 

 
7. Fierté du travail accompli

 

 

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