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La grammaire en quatre pages

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Texte écrit par Célestin Freinet dès 1937

La technique de travail traditionnelle est tout entière basée sur la leçon faite par le maître, étudiée ensuite dans le manuel, avec la plupart du temps des résumés appris par cœur et des devoirs d'application.
C'est une méthode de travail. Elle a aujourd'hui fait ses preuves. On connaît les quelques avantages qu'elle présente : avec un minimum d'initiative et de don de soi, mécaniquement, en suivant les manuels, n'importe quel instituteur peut l'administrer, même sans faire le long apprentissage de l'Ecole Normale.
Mais on a toujours hésité à en divulguer les inconvénients et les dangers parce que critiquer ce que l'on ne peut ou ne sait remplacer, c'est dénigrer et que dénigrer est toujours une position difficile et dangereuse.

Nous qui savons où nous allons, nous pouvons nous payer l'audace de dire que la technique traditionnelle des devoirs et des leçons, que nous critiquerons en détail dans une autre opuscule, présente, parmi tant d'autres tares, celle de n'avoir qu'une efficience extraordinairement réduite.

L'instituteur fait une leçon, la plupart du temps sans conviction ni chaleur, car il n'y a rien qui use plus et qui déforme comme de pontifier sans cesse. Il est prouvé aujourd'hui que, à de très rares exceptions près, et sur quelques sujets seulement, l'enfant écoute rarement avec tout son être. La passivité n'est pas son fait. Il se donne à l'éducateur tout juste assez pour éviter la punition ou l'échec à l'examen pendant que le meilleur de son être continue à suivre la ligne vitale de ses intérêts profonds et de ses besoins. Avant même que la psychologie ait dévoilé ce dédoublement mortel pour l'école, les pédagogues avaient senti l'insuffisance des leçons doctorales puisqu'ils avaient vu la nécessité de les doubler et de les prolonger par l'étude sur le manuel de cette même leçon. Rabâchage plus fastidieux encore et qui ne donnait quelque rendement que si on en contrôlait scrupuleusement l'exécution par les résumés à apprendre par cœur et les innombrables devoirs d'application.

On peut tricher quand le maître parle ou quand on lit la leçon. Mais un résumé est su ou n'est pas su ; un devoir est fait juste ou faux... Terrible obligation qui empoisonne la vie des écoliers, de ceux surtout, et ils sont l'immense masse, à qui coûte exagérément l'effort de mémoire et de compréhension qui leur est ainsi demandé.

Et c'est ce travail anormal et excédant qui use les générations d'écoliers, les dégoûte du travail et, parfois, hélas ! les fait haïr l'école. Devoirs et leçons sont aussi à la base de tout le système de coercition imaginé par les règlements ou les pédagogues. Il est impossible de travailler avec les enfants dans l'atmosphère de confiance et de collaboration indispensable à toute œuvre d'éducation quand tout au long du jour le maître, livre en mains (car il n'a pas besoin, lui, de savoir par cœur, et ce n'est pas là la moins criante des injustices), contrôle leçons et devoirs. Les punitions sont le complément nécessaire de cette méthode de travail. Ah ! si nous pouvions supprimer dans nos classes toutes les leçons faites ex-cathédra par l'éducateur ; si nous pouvions supprimer toutes les leçons à apprendre, tous les devoirs à faire ! Comme l'école paraîtrait alors, aux enfants et aux adultes, lumineuse et claire ; comme on y travaillerait avec joie, sans aucune hypocrisie, comme la collaboration y serait agréable et combien changerait le rôle de l'éducateur qui vivrait enfin, au milieu d'enfants vivants, au sein de la vraie vie !

Et si l'éducateur ainsi libéré se donnait avec un complet amour de sa tâche ; si les enfants s'épanouissaient enfin dans une école à leur mesure ; si les activités des uns et des autres se donnaient à 100 %, comment le rendement scolaire ne serait-il pas décuplé lui aussi ! Utopie ! Naguère oui, et c'est pourquoi on ne savait alors pousser avec cette acuité la critique du système traditionnel. Notre technique est justement le triomphe de l'activité libre de l'enfant, mais d'une activité à laquelle on a donné un aliment et des possibilités d'expression avec un matériel nouveau, par des formules de travail mieux adaptées aux nécessités de l'heure. C'est ce matériel, ce sont ces formules de travail que nous présentons dans nos brochures. Matériel et formules ont été éprouvés dans des centaines d'écoles populaires ; ils sont fondés pédagogiquement et psychologiquement ; ils ont donné des résultats qui leur ont valu la faveur croissante de tous ceux - éducateurs et inspecteurs - qui les ont examinés.

Un jour prochain, l'école populaire sera vraiment libérée parce que des techniques de vie, d'effort joyeux et de travail efficient auront remplacé triomphalement des méthodes scolastiques qui n'ont plus guère pour elles que l'imposante tradition, accompagnée et soutenue par une foule d'intérêts matériels que nous ne devons pas sous-estimer mais que nous devons moins craindre encore de dénoncer et de combattre.

Nous dirons, dans d'autres opuscules, comment, par notre technique, nous supprimons les leçons de lecture expliquée, les devoirs d'application et autres obligations rebutantes pour faire s'épanouir enfin la véritable initiation française.

Aujourd'hui, nous vous disons :

PLUS DE LEÇONS DE GRAMMAIRE ! 

La rédaction vivante et joyeuse, chemin royal vers la perfection grammaticale  

Ce n'est pas une gageure ; nous n'avons fait aucun pari de condenser en quatre - peut-être sera - ce même en trois ! - le contenu de tous les manuels de grammaire. Notre entreprise est d'une portée pédagogique autrement considérable puisqu’elle vise à simplifier vraiment notre expérience pratique de la langue grâce aux techniques nouvelles que nous avons introduites dans nos classes.

Personnellement, je ne suis pas grammairien, loin de là ! L'avouerai-je même, lorsque après la guerre, je repris, à demi - convalescent, une classe préparatoire, je constatai avec un peu de surprise que j'avais presque totalement oublié toutes les règles de grammaire. C'est à peine si je distinguais encore dans les temps quelques formes simples : indicatif présent, l'imparfait, le futur, le conditionnel. Je ne savais plus si le passé simple devait oui ou non s'appeler passé défini, je me le demande encore en écrivant ces lignes, et la chaîne : bijou, caillou, chou..., revenait péniblement sans hésitation.

Ne parlons pas de toute la foule de pronoms, d'adjectifs, d'adverbes, de prépositions, etc., dont je savais l'emploi sans pouvoir les distinguer avec précision. Et pourtant, je venais d'écrire un petit livre qui ne manquait pas d'émotion, et je savais, d'une plume assez vive, défendre mes droits, ou écrire pour mes élèves des contes et des poèmes que, à ma grande surprise, ils préféraient aux œuvres classiques qui leur étaient offertes.

Je ne me suis pas ému. Je savais écrire d'une façon convenable ; je sentais bien que c'était l'essentiel, que tout le reste, que toutes les chinoiseries grammaticales étaient surtout inventions scolastiques et que si, moi qui avais eu jusqu'à 18 ans le crâne bourré par maîtres et manuels, pouvais sans grand dommage oublier les neuf dixièmes de la grammaire, c'est que celle-ci, telle qu’on me l'avait enseignée, n'était ni vitale, ni indispensable et que la voie suivie jusqu’à ce jour ne répondait pas aux besoins d'élèves qui, dans la vie, n’ont que faire de terminologie.

Je n'ai, depuis, tenté aucun effort pour apprendre à nouveau cette grammaire des manuels. Et je me hâte de condenser ici, avant qu'il ne soit trop tard, ce que je crois suffisant et profitable pour notre école primaire. Car la déformation professionnelle nous marque dangereusement : à force de revoir tous les ans les mêmes principes, les mêmes règles avec leurs exceptions, nous les incorporons à notre fonction et à notre vie, jusqu'à ne plus comprendre que ceux dont la profession n'est pas de rabâcher ces éléments puissent avec tant de désinvolture en négliger complètement la contestable valeur.

N'écoutons point ceux qui prétendent qu’on ne peut écrire tant qu'on ne connaît pas à la perfection les règles de la grammaire et de la syntaxe. Dénonçons les prescriptions ridicules des programmes qui stipulent : une phrase d'abord pour les enfants du C.P., puis un paragraphe, et enfin, vers le Certificat d'études seulement, un texte complet.

Pensez à ce qu'il adviendrait de ces mêmes enfants si, lorsque, tout petits, ils veulent extérioriser dans leur langage à peine compréhensible ce qui les agite, une maman pédagogue venait leur imposer silence : - Tais-toi, tais-toi... Prononce seulement avec moi une phrase... plus tard tu pourras prononcer un paragraphe ; et dans quelques années ,seulement tu pourras raconter une histoire complète... Comme si ce n'était pas une histoire complète que mime l'enfant qui s'agite et gesticule et crie dans son berceau ; et si réprimer ainsi le besoin d'expression de l'enfant n'amènerait pas avec certitude le dégoût d'un langage imposé et inutile, et sans doute le mutisme complet...

Les pédagogues n'ont vu que la règle , et la règle a tué la vie...

Ils écrivent bien, certes, ces académiciens pour qui écrire est une sorte de devoir de style où la forme masque presque toujours l'absence de pensée et de sentiment. Mais qui lit leurs œuvres ? Et pensez-vous que ce sont elles qui passeront à la postérité ou bien plutôt les pages vibrantes d'émotion et de vie de ces jeunes écrivains qui, sans se soucier outre mesure de la grammaire ont su exprimer ce qui vous agite ou vous remue. Et je pense à tel écrivain à succès, avec ses phrases osées et ses mots à peine francisés... on dira plus tard, comme nos professeurs en arrêt devant des tournures peu académiques de nos classiques : hardiesse de style... Parce que la vie, véritablement, aura triomphé de la forme morte comme triomphera un jour prochain, à l'école, la rédaction vivante et joyeuse, chemin royal qui mène vers la perfection grammaticale.

Toutes ces précautions pour bien prévenir nos camarades - et les spécialistes qui nous liront - que je ne prétends pas à l'érudition grammaticale. Je puis commettre des oublis qui méritent d’être réparés et des erreurs que je rectifierai avec plaisir, heureux justement si ces lignes peuvent susciter encore une fois entre nos camarades une collaboration profitable.  

C'est en écrivant qu'on apprend à écrire

De mes observations personnelles, je déduirai déjà ceci : qu'on peut fort bien écrire correctement sinon académiquement, sans connaître les règles de grammaire. Il suffit pour cela d'avoir senti la nécessité de quelques principes essentiels et surtout d'avoir, par de nombreux exercices, assoupli notre plume comme nous avons, au cours de nos premières années, assoupli notre langue au contact familial.

Mais en fait d'exercices, nous n'avons que faire de ces "devoirs" dont sont bourrés nos manuels. Les seuls exercices que nous préconisions et que nous acceptions, sont ceux que suscite et motive la vie, ceux qui répondent aux besoins d'activité, d'expansion et de perfectionnement des enfants.

Et, comme préface au cours le grammaire annoncé, nous poserons seulement aujourd'hui le premier, le grand principe : le principal devoir de grammaire française et le plus profitable est la rédaction : individuelle, par groupes, ou en collaboration avec le maître, pourvu que cette rédaction ne soit pas un devoir, mais bien l'expression d’une pensée qui a besoin de jaillir.

C'est en écrivant et en lisant qu'on apprend à écrire et à lire (écrire signifie ici rédiger). Qu’importe si le jeune enfant ne distingue pas le nom du verbe, si les grands élèves confondent article, proposition, adverbe. Rien ne presse...

En ce début d'année vivez avec vos élèves, aidez-les à s'exprimer et à s'épanouir, en vous appuyant sur les motivations que nous avons suscitées : imprimerie, échanges scolaires, manuscrits ou imprimés, vie sociale de la classe. Ce travail sera cent fois plus profitable que tous les exercices de grammaire.

Au Cours Élémentaire et au Cours Moyen cependant, si vous voulez faire un peu de grammaire formelle, car il faut penser aussi, nous le savons, aux inspections et aux examens, donnez à conjuguer aux temps usuels (indicatif présent, imparfait, passé composé. futur, conditionnel, impératif) quelques verbes et expressions tirés du texte journalier. Le verbe, surtout en français, a des formes tellement variables et baroques qu’il n'est pas inutile pour l'orthographe en particulier, d'en montrer toute l'année les difficultés. Mais que ce travail n'ait jamais la forme d'une conjugaison morte : qu'il soit toujours basé sur l'intérêt du jour et se présente à l'esprit de l'enfant comme une nécessité.

A tous les cours, et dès le début de l'année, il est naturel pendant la mise au point des textes à imprimer, d'attirer l'attention des enfants sur les formes grammaticales qui s’apprendront sans ennui ni dogmatisme. Il sera facile déjà de montrer ainsi activement à différencier le nom, le verbe et les adjectifs.

Les exercices de vocabulaire, que nous appelons chasse aux mots, seront avec profit, pendant ce temps, employés à approfondir l'orthographe de certains mots à structure difficile, qu'on sent mal précisés dans l'esprit des enfants : noms en ou, oin, an, ent, ert, air, er, etc. selon les classes. On laissera à cette chasse aux mots son caractère de recherche collective et active, sans l'éprouver ni le sanctionner par quelque devoir traditionnel (1).

Les véritables exercices de vocabulaire doivent rester, à notre avis, le constant travail de recherche, de construction et de rédaction qui doit être une des activités vitales de notre classe.

Ne croyez pas que ce soient là conseils donnés à la légère, après des constatations discutables. Nous montrerons, tout en continuant notre cours, comment des grammairiens, Ferdinand Brunot, A. Fontaine, Ch. Bally, etc. partis de la science linguistique, aboutissent à peu près aux mêmes recommandations si ce n'est que, ignorant encore la technique d'imprimerie à l'école, ils ont cherché en vain une méthode qui, sans se perdre dans le labyrinthe scolastique, sauvegarde cependant l'avenir et la pureté de la langue.

Monsieur A. Fontaine, du moins, sentait que nous apporterions à ce problème une solution nouvelle et il nous y encourageait personnellement au début de nos recherches en souhaitant que nous établissions sous peu les quelques règles simples qui, reliées à la pratique de la langue, constitueraient le véritable enseignement grammatical à l'école primaire.

C’est ce que nous essayons de faire.

Le nom et le verbe

Deux mots sont particulièrement importants dans la langue et nous en mènerons tout de suite l'étude de front : le nom sans lequel il est impossible de se faire comprendre. (Demandez à quelque enfant de raconter une histoire sans employer le nom) et le verbe qui donne la vie à la phrase (essayez de parler sans employer le verbe, puis parlez le langage petit nègre sans déclinaison de ces mêmes verbes et comparez la nuance et la précision de la pensée ainsi rendue à celles d'une phrase correcte).

Comme nous l’avons dit déjà, nous continuerons l'étude des verbes pendant toute l'année, en partant des textes composés et des idées intéressant les enfants. Cela, pour l'instant, sans donner aucune explication sur les conjugaisons et en s'en tenant aux temps usuels : indicatif présent, imparfait, passé composé, futur simple, conditionnel présent, impératif (faire déjà distinguer et préciser dans leur emploi ces deux formes, si fréquentes en français et qui tiennent souvent d'ailleurs plus de l'adjectif que du verbe le participe présent et le participe passé.

L'étude du nom arrête très longtemps les enfants dans les classes ordinaires. Nous passerons, nous, le plus vite possible. Pas de définition du nom : on donne un nom aux choses, cela suffit. Même s'ils ne connaissent aucune définition, les enfants vont très vite à distinguer tous les noms.

Noms communs et noms propres : il suffit de faire, journellement au début, cette distinction lorsque l’occasion se présente dans les textes. Ne compliquons pas par des définitions qui ne seraient que des mots.

Le pluriel des noms ! C'est ordinairement là l'objet de " devoirs " interminables. Disons seulement

- que la marque du pluriel est ordinairement S.

- que les noms en eu, au, eau, prennent X au pluriel

- que les noms en al, ail, s'écrivent en aux au pluriel. Jamais E.

(Inutile de dire les exceptions. L'habitude de la rédaction, le pouvoir globalisant de l’enfant feront le nécessaire).

Je me demande s'il est nécessaire même de faire apprendre la liste des 7 noms en ou qui s'écrivent avec X au pluriel. J'ai remarqué que cette distinction brouille au contraire l'esprit des enfants, qui font plus d’erreurs encore lorsqu'on les a mis en garde contre cet X qui les hypnotise.

Aucune des autres exceptions.

Au féminin, E est en général la marque du féminin.

Pour chacun de ces divers points, outre que nous attirons l'attention sur ces règles chaque fois que l'occasion se présente, nous cherchons en commun, au cours des leçons, les noms se rapportant à chaque catégorie et nous les écrivons au singulier et au pluriel, sans oublier les exceptions que nous signalerons au passage.

Les leçons de chasse aux mots concourent aussi dans une certaine mesure à cet apprentissage. Nous continuerons quelque temps encore la structure du mot français. Nous ne donnons pas même ici la liste de ces exercices et encore moins l'ordre dans lequel nous les pratiquons.

Tout instituteur, surtout avec notre technique connaît sa classe. Il sait sans préparation spéciale, quels sont les mots qui rebutent les enfants ou qui sont du moins l'occasion d'erreurs plus fréquentes. On examine donc le texte journalier et, en partant de ces deux réalités, on amorce la chasse aux mots. Nous avons ainsi recherché les mots contenant sc, ce, ei, ge, gi, gea, geo, en, tien, ph, mb, mp, ant, ent, ai, ain, ê, et, ille, etc.

Nous poursuivrons encore quelque temps cette besogne avant de passer à une autre, plus méthodique, dont nous parlerons dans notre prochain chapitre : la structure de la formation des mots.

L'adjectif qualificatif

L'adjectif qualificatif est tellement lié au nom, il est d'un emploi tellement courant, que son étude vient naturellement après celle du nom, ou même est faite si possible simultanément.

Ici aussi, aucune définition, aucune règle : l'examen des textes et la recherche collective suffiront à faire reconnaître définitivement les adjectifs qualificatifs, l'étude des autres adjectifs étant bien moins urgente.

Plus de règles scolastiques : La grammaire vivante

On nous dira peut-être, vous condensez, vous abrégez, mais vous passez cependant en revue, nous semble-t-il, les éléments des manuels ordinaires ?

Oui, et nous savons aussi que des concentrés de grammaire avaient déjà été publiés. Mais ils étaient des concentrés. Nous donnons une technique nouvelle d'apprentissage de la langue.

Nous n’avons pas dit que nous allons réduire considérablement le travail que nécessite cet apprentissage, nous ne disons pas apprenez ces formules, retenez ces exceptions et vous connaîtrez l’essentiel de la grammaire.

Nous avons la prétention de réduire considérablement toute la grammaire formelle, de ramener peut-être à rien l'objet des leçons spéciales de grammaire parce que nous avons à notre disposition une technique de rédaction, d'expression et de recherche qu'il nous suffit d’exploiter pédagogiquement pour lui faire rendre, sans dogmatisme, ce qu’on a demandé en vain aux manuels de grammaire.

" Il y a des règles - dit A. Fontaine, - qui répondent aux rapports essentiels des idées ; celles-là, il faut les connaître et les respecter. Il y en a d’autres qui ne sont guère que des modes passagères et un peu vaines, celles-là, il ne faut pas leur donner plus d'importance qu'il ne convient. Les premières seules devraient être considérées comme faisant partie du domaine propre de la grammaire ; les secondes devraient s'apprendre par la pratique de la même façon qu'on apprend l'orthographe du son in dans les mots comme éteindre ou craindre, à force d'écrire et de lire ".

Nous verrons ultérieurement comment les grammairiens qui se sont penchés sur ce problème capital de l'apprentissage de la langue, ont appelé et souhaité une technique que nous avons mise debout et dont nous renforçons chaque jour le rayonnement.

" Il faut prendre la grammaire pour ce qu’elle est - dit A. Fontaine, - l'adapter à une connaissance simple, précise, intelligente des faits du langage, l'isoler de la lecture expliquée proprement dite, et en faire pour les élèves, selon leur âge, un objet de discussion sans pédantisme ".

Tel est véritablement notre but ici : non pas comprimer ou supprimer, comme on pourrait le croire, l’apprentissage de la grammaire, mais dégager celui-ci des mots et des rites inutiles pour le vivifier et le rendre au maximum éducatif et profitable.

" Le meilleur grammairien n'est pas celui qui sait beaucoup de règles, mais celui qui démêle le mieux cet écheveau compliqué de l'emploi des formes, celui qui comprend et explique le mieux les rapports de ces formes, avec la marche, non avec l'objet de la pensée ".

Article - Pronom - Conjugaisons

Nous avons, d'une façon suffisamment approfondie, étudié le nom et ses diverses formes.

Nous avons dit que, grâce à notre technique de travail, il nous suffisait d'attirer l'attention de nos élèves sur l'adjectif qualificatif et ses règles d'accord, sans même donner de définition. Ce sont des choses que les enfants sentent et comprennent instinctivement lorsqu'ils ont à leur service la pratique journalière de la rédaction et surtout de la construction définitive et parfaite d'un texte destiné à la composition et à l'impression.

Nous ne nous arrêterons pas même l’instant d'une leçon sur l'article, c'est un mot tellement courant et auquel les explications ajoutent si peu, qu'il est vraiment inutile de s'attarder à une étude systématique. Les enfants n'apprennent-ils pas naturellement l'emploi de la, le, les, du, des, etc., etc.

Insistons plus particulièrement sur la reconnaissance de le, la, me, se, où, de, te, pronoms dans tous les cas difficiles ou douteux. Mais cela, nous le répétons, sans imposer aucun de ces exercices qui, d'avance, paralysent la pensée enfantine, qui sont peut-être pour l’éducateur des sortes de tests bien superficiels d'ailleurs mais qui ne sauraient apporter dans l'effort éducatif et constructif des enfants que trouble et désharmonie.

C'est à même le travail vivant que nous voulons faire sentir aux enfants la vie et la construction de la langue. Il sera facile de montrer ensuite la règle d'accord des pronoms, quand nous aurons bien donné l'intuition - plus parfois que la connaissance véritable - du rôle et. de la forme de ces pronoms.

Nous continuons en même temps nos nombreux exercices sur les verbes : verbes comme mener, qui changent parfois leur e en é, verbes comme changer, verbes irréguliers courants : partir, rendre, sortir, etc., tous verbes usuels dont la connaissance est absolument nécessaire - verbes comme appeler qui doublent parfois l, forme plus compliquée du verbe avec intervention du pronom pour commencer à expliquer les règles d'accord du participe passé.

Nous ferons en même temps apparaître, lorsque l'occasion s'en présentera les temps plus difficiles et pourtant usuels, notamment le conditionnel présent, l'impératif, sans oublier la forme interrogative et le subjonctif présent. Préciser également la notion du participe présent et du participe passé.

Les camarades habitués aux leçons méthodiques et claires - pour eux - des manuels scolaires penseront peut-être que nous poursuivons ici, en nous attaquant partout à la fois, une étude dispersée, superficielle, antiscientifique.

Nous avons été très heureux de nous trouver sur ce point aussi en parfaite communion d'idées avec Monsieur Atzenviller, directeur de l’Enseignement Primaire à Genève, qui se passionne tout spécialement, et avec une autre compétence théorique que la nôtre, bien sûr, au problème de l'enseignement grammatical.

" La vie présente tout à la fois noms, adjectifs, pronoms, verbes, etc., il nous est impossible d'interdire aux pronoms de faire leur apparition avant que nous ayons, au cours de x leçons, réglé leur affaire aux noms et aux adjectifs. Et les manuels - qui ont tenté de véritables tours de force pédagogiques, n'ont abouti qu'à la publication de ces phrases fades et vides, de ces exercices émasculés qui déforment l'esprit des enfants. "

Le nouvel enseignement de la Grammaire devrait être, en effet, quelque chose de concentrique, précisant d'abord les règles et les formes dont la connaissance est la plus utile, approfondissant chaque semaine davantage cette connaissance initiale pour arriver vers 12, 13 ans à une étude peut-être plus méthodique et plus logique et cela sans aucun dogmatisme, la vie et l'activité devant être les motifs uniques de la recherche grammaticale.

Chasse aux mots

Le travail que nous avons fait jusqu’à ce jour en chasse aux mots, a été une sorte de papillotement vers les formes les plus difficiles aux yeux des enfants, faisant déjà, découvrir de nombreuses analogies préparant une étude plus méthodique que nous allons amorcer.

Les camarades qui, grâce à l’effort de notre groupe ont commencé dans leur classe l'étude de l'espéranto, pourront puiser dans la grammaire de cette langue scientifiquement construite, des directives précieuses pour l’enseignement rationnel du vocabulaire : la formation des mots est, en effet, dans la grammaire espéranto, essentiellement logique, cette logique se rapproche étrangement la logique enfantine qui préside à la formation des mots nouveaux.

Nous rappelons donc, qu'il existe en français, comme en espéranto, un fonds important de mots simples, avec lesquels, à l'aide de préfixes, on forme des mots nouveaux. En partant de cette base et par l'étude systématique des affixes, nous allons partir à la recherche de ces mots nouveaux en commençant toujours par les affixes les plus fréquemment employés : et, ette, on, oir, pré, di.

Les enfants ne manquent pas d'imagination dans la construction de ces mots nouveaux. A nous de rester les guides bienveillants et pour ainsi dire les gardiens de la vérité grammaticale.

Si nos élèves ont longuement pratiqué la rédaction libre, si la mise au point des textes a été l'occasion d'observations précieuses, sur la valeur, l'emploi et la fonction des mots ; si au lieu de tenir la grammaire au-dessus des élèves comme une science majestueuse et fermée, nous l'avons ainsi mise vraiment à la portée des enfants, si nous l'avons fait jaillir de leur vie, les trois quarts de notre besogne sont maintenant accomplis. Nos élèves sont capables de reconnaître dans un texte, et de faire accorder, les noms, les articles, les adjectifs, les pronoms, les verbes, et de les distinguer non pas par un simple souvenir scolaire de pure mémoire, mais parce qu'ils ont intimement saisi les règles du jeu - la vie du mot et de la phrase. La preuve en est qu’ils s'arrêtent parfois, s'ils ne disent pas juste, sur des formes voisines qui se préciseront encore à l'avenir.

Temps du verbe - Conjonctions - Adverbes

Il est temps de nous arrêter plus spécialement aux verbes.

On aura déjà, quoique nous ayons omis de le signaler, montré pratiquement le rôle du verbe dans la phrase avec son sujet et ses compléments. Cette connaissance peut d’ailleurs rester assez longtemps à l'état d'intuition sans nuire à l'évolution de notre enseignement grammatical.

Nous avons, pendant trois mois, conjugué oralement ou par écrit de nombreuses formes des verbes les plus usuels sans distinguer ni conjugaison ni régularité. Les enfants eux-mêmes ont été amenés à faire des comparaisons utiles qui leur font sentir les avantages de la classification.

Nous allons leur donner maintenant le schéma de cette classification que nous reprendrons point par point pour l'exemple, le modèle nécessaire. Les verbes auxiliaires d'abord. Il faut expliquer ce que c'est qu'un auxiliaire.... un facteur auxiliaire va travailler lorsqu'on a besoin de lui. Les verbes auxiliaires viennent aider à conjuguer les verbes lorsqu'on a besoin d'un second verbe. Les enfants disent eux-mêmes à quel temps on a ainsi besoin d'un auxiliaire.

On peut s'arrêter l'espace d'une ou deux leçons à la conjugaison modèle de ces auxiliaires, comme nous nous arrêtons à la conjugaison de chaque verbe type. C'est du travail facile, mais qui n'est pas, à notre avis, inutile. On peut faire recopier - ou par exemple, tirer à la polycopie - les verbes auxiliaires être et avoir, puis les verbes chanter, finir, recevoir, à tous les temps usuels.

Quels sont ces temps ? L'indicatif présent, l'imparfait, le passé simple - en faisant remarquer que, pour la plupart des verbes, seules les troisièmes personnes de ce temps sont couramment employées - le passé composé, le plus-que-parfait - très fréquemment employé malgré son nom barbare ; (nous pourrions plus utilement le nommer, pour le fixer dans l'esprit des élèves, un passé ancien, le passé composé était un passé récent) - (les autres formes du subjonctif disparaissant peu à peu de la conversation courante, nous nous arrêterons plus tard seulement aux quelques formes qu'on trouve encore dans les textes d'auteurs et qui sont les pièges classiques des dictées du C.E.P.E.) - les participes - avec lesquels nous aurons déjà familiarisé pratiquement nos élèves.

Présentons enfin aux élèves trois sortes de mots qu'on rencontre aussi fréquemment et auxquels nous avons déjà eu certainement l’occasion de nous intéresser.

La conjonction (expliquer pratiquement sur les textes le sens de ce mot) qui sert à joindre, à réunir, à lier des mots ou des membres de phrases, (à distinguer de ou,. ni, mais, or, donc, que (distinguer du pronom relatif) si, comme, lorsque, quoique, puisque, et locutions conjonctives à citer pour mémoire sans insister beaucoup, cette distinction étant déjà une chinoiserie grammaticale à notre avis inutile.

L'adverbe, dont il est inutile et peut-être dangereux de donner la définition classique. Il y a peu de mots dans notre langue plus facilement distingués à l'usage. Un exercice spécial commun serait peut-être nécessaire pour classer ces adverbes, en adverbe de temps, de lieu, de quantité, de manière et locutions adverbiales.

L'examen de ces adverbes suffira à faire entrer dans l'esprit de l'enfant le sens du rôle joué par ces mots dans la phrase, et cela vaudra mieux qu'une définition extraordinairement abstraite.

Signaler au passage également les prépositions dont nous reparlerons.

Lorsque nous disons par exemple : distinguer ou de où, cela ne veut pas dire que nous allons nous livrer à un long verbiage sur l'emploi de ces mots, verbiage qui amène le plus souvent une confusion plus grande encore dans l'esprit de l'enfant. C’est à l'usage dans la fonction active de ces mots, que doit se faire de façon subconsciente presque la distinction désirée.

Comme tout au long de ce cours original de grammaire française nous nous abstenons, à dessein, de tout verbalisme dussent nos inspecteurs nous en tenir rigueur, cherchant avant tout la formation grammaticale intime et personnelle, définitive et éducative.

Formation des mots nouveaux

Pour la chasse aux mots, nous continuerons la recherche amorcée et commencée dans notre précédent numéro, l’étude des affixes. Nous ne présenterons pas d'ordre strict, puisque nous n'en suivons pas. Quel avantage y aurait-il d'ailleurs à cela, sinon pour la routinière préparation de classe. Nous essayerons de montrer que ces affixes ajoutent ordinairement un sens à peu près permanent aux mots auxquels ils sont accolés. Cette règle n'est malheureusement pas toujours vraie dans notre français - langue vieille que l'usage a profondément marqué - comme elle l'est en Espéranto. Mais enfin nous ne manquerons pas de signaler que re signifie : une seconde fois ; de marque le contraire ; bi, la 2e fois, etc.

Nous donnons, à, titre indicatif seulement, une liste d'affixes dont l'étude peut être entreprise alors selon le contenu du texte : re, dès, bi, mi, sur, à (signaler les consonnes doubles dans certains cas) en, in, é, oui, onal, ard, etc.

La recherche et la construction de mots nouveaux faites par les enfants eux-mêmes selon ces directives sont toujours très vivantes et très profitables.

Les exercices grammaticaux

Les manuels scolaires actuellement en usage dans les classes accordent, on le sait, une très large place aux exercices de grammaire qui suivent et complètent nécessairement tout chapitre du livre.

Les instituteurs ne se font pas d'illusion sur la portée pédagogique de ces exercices qui sont surtout là comme occupation traditionnelle de classes passives pratiquant exclusivement la technique des devoirs et des leçons. Ils savent le peu d'intérêt qu'y prennent les enfants et nous n’avons qu’à, nous remémorer nos années d'écoles pour les trouver à l'origine de notre aversion pour l’étude systématique de la langue.

L'essentiel de la grammaire, l'esprit grammatical ne peuvent être acquis que par la pratique vivante de l’écriture et de la lecture ; et la supériorité de nos techniques est justement de montrer comment on peut, pratiquement y accéder par des moyens naturels et rationnels, qui ont aujourd'hui fait leurs preuves.

Il est cependant quelques notions qui, comme pour les autres disciplines, nécessitent des exercices répétés et méthodiques, surtout dans nos milieux ruraux où les enfants entendent rarement le langage châtié et pur qui pourrait leur servir de modèles.

Nous admettons alors que, provisoirement, des exercices soient proposés pour l'acquisition de la pratique pour ainsi dire automatique de l'orthographe et de la syntaxes. Nous disons bien : provisoirement, parce que, dans une classe bien entraînée selon nos techniques, dans des milieux éducatifs pratiquant un langage correct, ces exercices mêmes deviennent inutiles.

Nous prévoyons donc à cet effet un fichier autocorrectif de grammaire dont nous employons dans notre classe, depuis de nombreuses années, les éléments essentiels.

Nous avons prévu quelques exercices simples, destinés à automatiser la pratique du singulier et du pluriel, de l'emploi des pronoms, de l'accord des adjectifs, en partant de textes enfantins caractéristiques. Mais nous accordons surtout une grande importance à la mécanique de la conjugaison des verbes.

Si cette conjugaison était rationnelle et méthodique comme dans certaines langues,

l'espéranto notamment, de tels exercices seraient superflus parce que quiconque sait conjuguer un verbe, conjugue avec sûreté tous les autres.

Il n'en est pas de même, malheureusement en Français.

A côté de quelques formes simples habituellement connues et sur lesquelles nous n'insisterons pas outre mesure, il y a une masse considérable de verbes plus ou moins irréguliers et dont les irrégularités d’ailleurs sont plus ou moins baroques.

Nous ne croyons pas que la fiche autocorrective soit le plus sûr moyen de parvenir à un emploi et une écriture corrects de ces verbes. Seul le verbe vivant, en pleine action dans une phrase intelligente qui est l'expression d'une pensée liée à la vie de l'enfant, s'imprime dans l'esprit des élèves, même avec ses anormalités. C'est pourquoi nous accordons toujours la première place, pour cette acquisition au travail vivant, au langage naturel, à l'expression libre manuscrite et imprimée, recommandée par nos techniques.

Mais dans nos classes populaires, où on ne parle le français correct qu'en classe, ce travail vivant et méthodique reste insuffisant. L'exercice que nous préconisons peut lui apporter un utile complément.

En attendant que nous publiions ce fichier autocorrectif de grammaire, chaque éducateur peut très facilement établir lui-même ces fiches, surtout pour ce qui concerne la pratique des conjugaisons de verbes plus ou moins réguliers, pour lesquels il suffit de consulter un manuel de grammaire.

Nous pouvons affirmer que les enfants aiment le travail avec ce fichier autocorrectif et en tirent certainement quelque profit.

Nous mettrons cependant nos camarades en garde contre la tendance qui pourrait se manifester de mettre ainsi, sous forme de fiches autocorrectives, tous les devoirs traditionnels des manuels.

Nous avons suffisamment établi le champ de possibilités du fichier autocorrectif : il peut être utilisé chaque fois qu'il faut tourner la manivelle, acquérir un certain automatisme. Aller au-delà c'est mettre au service de l'abrutissement scolastique une technique que nous voulons garder jalousement libératrice.

Désankyloser la grammaire - Opinions de linguistes

Nous avons déjà cité, pour montrer la nécessité et l'opportunité de ce cours, l’opinion de quelques grammairiens officiels. Ferdinand Brunot, une des autorités grammaticales françaises, nous encourage pleinement dans la poursuite de notre essai. " Il faut désankyloser la grammaire, dit-il (2); il faut introduire dans l'enseignement grammatical une souplesse de doctrine qui n’existe pas et qu’exigent cependant la diversité extrême et la mobilité incessante du langage…

...Tout enseignement de la langue doit se faire sur un texte partout et toujours

...Il ne faut se dissimuler toutefois que, pendant longtemps, si on veut être compris, il faut prendre à l'enfant lui-même ses exemples de façon à lui faire analyser son propre usage et non le nôtre. Or, il n'existe pas de littérature française vraiment enfantine écrite avec la pensée et les phrases des enfants. De toute façon, la lecture des écrivains ne convient pas au début, elle ne peut commencer que plus tard ".

(Tous les mots soulignés le sont dans l'original par l’auteur lui-même ).

Textes d’enfants ! Nous avons donc manifestement comblé un vide avec nos journaux scolaires, avec LA GERBE et ENFANTINES. La vraie littérature enfantine, le vrai langage d'enfant sont là. Il est naturel, il est logique, que nous exploitions grammaticalement cette nouveauté. Il faudra bien, qu'on reconnaisse bientôt la supériorité de la technique que nous préconisons.

F. Brunot est ennemi aussi des définitions

" La préposition est un mot invariable...

" L'adverbe est un mot qui se place...

" Je n'ai pas besoin - dit Brunot d'insister sur le premier vice de ces définitions qui est de n'avoir aucune valeur pédagogique puisqu'elles sont à peu près incompréhensibles pour l'enfant... Tous ces grands mots ne correspondent à aucune idée... "

Pareils procédés d'enseignement qui déconcertent l'enfant, qui le conduisent de contradiction en contradiction et qui ruinent aujourd'hui ce qu'ils édifiaient hier, sont jugés par tous les pédagogues. Ils sont la négation même de la pédagogie.

Ainsi enseignée, la grammaire perd le caractère mystérieusement dogmatique qu'elle a aux yeux de bien des gens. Car, aujourd'hui, de la meilleure foi du monde, certaines personnes s'imaginent qu'il existe quelque part des savants et des écrivains qui détiennent une vérité absolue, une règle immanente qu'ils promulguent souverainement. Substituer à cette vaine imagination le sentiment exact des choses montre qu'en grammaire Il n'existe point de dogme qu'on doive recevoir sans comprendre et accepter comme des vérités surnaturelles ou une nécessité.

" Mais alors, m'objectera-t-on, le sentiment de la règle va disparaître.

Il s'agit de savoir si l'obéissance raisonnée à un ordre dont on comprend la nécessité n'est pas supérieure moralement et pratiquement à la soumission imposée par force à une loi qu'on reçoit sans essayer même de la comprendre. Depuis plus d'un siècle, les écrivains ont secoué le joug des grammairiens, la masse seule doit-elle rester aveuglément soumise ? "

Ne sommes-nous pas vraiment en bonne compagnie grammaticale ?

Vers l'analyse

Voilà notre cours fini. ET PAS SEULEMENT sur le papier, mais dans notre classe, où nous n'avons jamais fait aucune leçon véritable de grammaire.

Nous considérons notre cours fini parce que nos grands élèves et la moyenne de notre C.E. sont capables de reconnaître tous les mots d'un texte, d'en dire en même temps la fonction et d'appliquer ces observations dans la dictée, et dans la rédaction de leurs textes.

Ils possèdent la grammaire. " Ils pensent dans une certaine mesure, grammaticalement " comme le demande Ch. Bailly. Qu'attend-on de plus de nous ?

Si nous ajoutons que nos élèves sont dès lors capables de répondre avec un minimum d’erreurs, aux questions des dictées du C.E.P., il me semble que notre rôle peut être considéré comme terminé. Peut-être approfondirons-nous encore avec profit, lorsque l'occasion s'en présentera, quelques notions sur lesquelles nous n'avons pas insisté longtemps parce que nous pensons d'abord qu'elles ne sont essentielles et que nous croyons aussi que c'est seulement si nous les examinons dans leur dynamisme réel que nos observations seront profitables.

Telles sont les notions d'adjectif démonstratif et de pronom démonstratif direct ou bien celles de pronom relatif dans leurs formes complexes : lequel, duquel, desquels, etc., ces derniers sont d'ailleurs dans une faible mesure du langage de l'enfant. Au cours de la mise au point d'une rédaction précise, simplifiez une phrase par l'introduction d'un de ces pronoms ; les enfants comprendront mieux que par des heures de sèches explications.

Avec notre technique, on sent très bien les faiblesses d'une classe. Il suffira d'en tenir compte et d'appuyer tout le reste de l'année sur l'examen de tel ou tel cas selon les nécessités des richesses de l'imprimé.

Car il va sans dire que si nous considérons comme terminée notre besogne, d'étude formelle de la grammaire, nous ne pensons pas devoir supprimer toute grammaire. Il sera bon d'examiner sans cesse le texte au point de vue grammatical, de procéder journellement à la reconnaissance rapide des mots divers en s'arrêtant plus longuement sur les difficultés nouvelles ou non encore parfaitement senties par les enfants.

Nous ne cesserons d'ailleurs pas de conjuguer, aux divers temps usuels, en leurs diverses formes, des verbes difficiles toujours puisés dans des textes étudiés.

Nous sommes en mesure maintenant de procéder à l'analyse grammaticale qui, sous sa forme sèche et mécanique, disparaît peu à peu des questions d'examen, donc de notre programme. Mais peu importe : il suffit d'indiquer le mécanisme et ce travail, qui n'est que la transposition sur le papier de ce que nous faisons journellement, sera réalisé sans peine.

Resterait apparemment comme un gros morceau l'analyse logique. Il est naturel que cette question d'analyse vienne en fin de notre travail. Et nous sommes ici encore en complet accord avec les grammairiens.

" L’analyse grammaticale - dit Ferdinand Brunot - doit être un moyen de contrôle, non un procédé d'enseignement. "

Quant à l'analyse logique, ce même auteur, cite ce mot... " Il n'y a rien de plus illogique que l'analyse logique ", et, ajoute-t-il, " Je proposerais volontiers; une formule aussi nette... n'enseigner la grammaire ni pour l'analyse, ni par l'analyse." (3).

Nous voici donc à l'aise pour indiquer les procédés vivants et simples qui nous servent à l'analyse logique élémentaire dépouillée de toutes chinoiseries, sur lesquelles les grammairiens eux-mêmes, on le voit, ne sont pas d'accord.

L'essentiel, à mon avis, pour répondre aux exigences du programme, car je noircis déjà pas mal de pages et je ne me suis jamais vu dans la nécessité de découper mes phrases en propositions, l'essentiel est de distinguer avec sûreté la proposition principale des propositions subordonnées ; voici le moyen :

Il y a autant de propositions qu'il y a de verbes à un mode personnel,
c'est-à-dire de verbes conjugués. Parmi ces propositions, la proposition principale
est celle qu'on ne peut pas supprimer sans détruire tout le sens de la phrase.

Si Je dis : " A Nice, j'ai vu Carnaval qui brûlait ", supprimons " Carnaval qui brûlait ", la phrase a encore un sens, il y manque seulement le complément. Supprimons " A Nice j'ai vu ", la phrase n'a plus aucun sens. Ce membre de phrase est donc la proposition principale.

Les autres sont des propositions subordonnées. Leur fonction est analogue à la fonction de tous les mots compléments. Il suffit de faire la question, qui, que, quoi, etc...

Il arrive parfois que deux propositions soient également indispensables sans que l'une ait plus d'importance que l'autre. Dans ce cas, les deux propositions sont coordonnées.

Avec ce raisonnement simple, les enfants parviennent sans effort à comprendre et à résoudre les questions ordinaires d'analyse logique.

Décortiquer la langue

Nos exercices de chasse aux mots se poursuivront toute l'année.

La recherche et la construction de mots nouveaux par les affixes nous occuperont plusieurs mois encore. C'est là une étude passionnante pour les enfants qui y exercent leur logique, éminemment utile pour la compréhension des mots nouveaux, pour leur définition ainsi que pour l'orthographe.

La liste de ces affixes n'a pas à être publiée ; les enfants eux-mêmes la constituent. Quand nous aurons fini avec ces recherches, nous recommandons les exercices suivants :

- recherche d'homonymes et de synonymes ;

- familles de mots dont l'étude sera rendue facile par les travaux sur les affixes

- étude, écriture, emploie des expressions courantes du langage enfantin notées au gré des associations d'idées et dans le seul but d'en préciser le sens et l'orthographe.

Au terme de ce travail, nous avons conscience d'avoir accompli un effort sans précédent de clarification pratique de l'étude grammaticale à l'école primaire. Nous n'avons eu pour cela, il est vrai, qu'à utiliser méthodiquement notre nouvelle technique de travail, ainsi que les nombreuses constatations qu'elle nous avait permises.

Plus de leçons de grammaire : le sens grammatical par la construction vivante

Si, comme nous en sommes certains, nous avons ainsi délivré nos élèves, et leurs maîtres, du carcan grammatical, si nous avons remplacé la technique des leçons fastidieuses et inefficaces par une technique qui, tout en encourageant l'enfant à s'exprimer sans cesse, lui donne un sens grammatical infaillible et indéniable. Si, par les succès de nos élèves dans les examens du C.E.P.E., où les écoles imprimant conquièrent d'ordinaire les meilleures places, nous prouvons, de plus, l'excellence de nos réalisations, nous sommes certains que seront nombreux ceux qui, jeunes et vieux, diront, avec nous : plus de leçons de grammaire !

Vers la conquête naturelle de la langue par la vie, par l'expression libre, grâce à l’Imprimerie à l'École.

C. FREINET

(Brochures d'Education Nouvelle Populaire N°2 Octobre 1937)

1 Ne pas confondre la Chasse aux Mots avec les habituels exercices de vocabulaire. Ici, c'est l'enfant qui part à la recherche des mots et non vous qui allez lui présenter les mots du vocabulaire, sur le ton chantant qui caractérise l’ancienne école.

2 Ferdinand Brunot : L'enseignement de la grammaire française. A. Colin - Éditeur

3 F. Brunot fait cette confession qui nous est précieuse : " S’il fallait donner en exercice à une classe quelconque, une colonne d'un journal du jour, personne ne serait sûr d’en sortir, ni élève, ni maître, ni inspecteur ! J'ajoute que moi-même je serais peut-être incapable d'expliquer les raisons historiques qui ont amené la formation de telle ou telle locution, de telle ou telle forme de langage. Je me déclare tout à fait impuissant à lui mettre une des étiquettes en service ou à fournir un jeu d'étiquettes pour une nouvelle classification ". - L'enseignement de la grammaire française. A. Colin - Éditeur