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Autonomie : la double méprise

Dans :  Techniques pédagogiques › 
Avril 2004

L’éducation à l’autonomie repose souvent sur une double méprise.
La première est ce que D. Hameline nomme un « enthymème », c’est-à-dire un discours qui semble faire consensus (1). En effet, tous les enseignants, militants ou non, anciens ou nouveaux dans la profession, parlent de l’autonomie comme faisant « de toute évidence » partie de leurs objectifs premiers. Outre le fait que le terme figure depuis belle lurette parmi les plus utilisés des Instructions officielles, l’autonomie, en soi, est à la fois concept et valeur, ce qui rend plus grande encore la difficulté d’une définition. En d’autres termes, pourquoi se donner la peine d’une réflexion – définition et moyens d’accès – sur quelque chose qui fait l’unanimité au plan axiologique et dont personne ne conteste la nécessité ?
La seconde méprise s’origine davantage dans une perception erronée du processus d’apprentissage, dans une sorte de conviction «naturelle » (je veux dire par là que nos sens nous donnent à percevoir, à entendre, à saisir, à sentir, à voir, et j’emploie à dessein des verbes à la signification ambiguë, à la fois sensitive et cognitive) : le savoir doit nécessairement emprunter un double canal, le premier
constitué de la convergence absolue et obligatoire de tous les regards – regards d’élèves vers le magister – et d’un second qui conduit la parole unique et incontestée de ce magister vers son public, masse informe et donc supposée homogène. Ces deux canaux parallèles se soutiennent et se conditionnent l’un l’autre.
C’est le principe de la pédagogie frontale,y compris et surtout de celle qui se donne l’illusion d’être active, facilement reconnaissable dans le jeu permanent du questions/réponses, questions de maître/réponses d’élèves, jeu pervers quand on sait que « l’école devrait être le lieu où l’élève reçoit des réponses aux questions qu’il se pose » (Meirieu).
Cette posture-là est dangereuse parce qu’elle nous guette sans cesse. Sans cesse, nous sommes victimes de notre perception sensorielle et erronée des choses : ce qui existe, c’est ce que je vois, ce que j’entends.
Or ce qui existe, dans l’apprentissage en général, dans l’éducation à l’autonomie en particulier – apprentissage qui se distingue du dressage en ceci qu’il autorise une relation distanciée, réfléchie et émancipatrice au savoir – c’est ce que je ne vois pas, ce que je n’entends pas, ce qui se passe in petto, dans le secret de l’individu, dans la manière dont il tire profit de ce qui est en train de se jouer sur cette scène permanente qu’est la salle de classe.
L’accès à l’autonomie de l’élève se situe précisément là :dans la prise de conscience par le maître du lieu même où tout se joue, ce lieu qui échappe à son contrôle, qui échappe aux regards et à la parole, ces deux canaux « obligatoires », lieu, espace de liberté,moment de pause où le savoir se pose,se décante,s’acquiert ou se délite.
L’éducation à l’autonomie réside non pas dans la profession de foi de l’enseignant mais dans les moyens qu’il se donne pour résister à la tentation d’une gestion permanente de la classe, c’est-à-dire, au bout du compte, dans une organisation matérielle et conceptuelle offrant à l’élève des zones d’engagement, d’implication ou de mises à distance personnelles.
En bref, l’autonomie à l’école n’existe pas hors la pédagogie qui y conduit. C’est cette pédagogie-là que nous, praticiens Freinet, avons la prétention de mettre en oeuvre.
(1) Voir Daniel Hameline, Autonomie, in Questions pédagogiques, encyclopédie historique, sous la direction de Jean Houssaye, Paris, Hachette Education, 1999.