Par François Perdrial le 09/09/09 - 09:28
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Pionnier du mouvement Freinet en Amérique Latine et surtout à Cuba.
François Perdrial
Le texte suivant est la traduction de la présentation du livre « La Escuela moderna. Reaccion o progreso ? écrit par H Almendros. Cette présentation est faite par sa fille Rosa Maria qui reçut le manuscrit des mains de son père quelques jours avant sa mort en 1974. Ce livre est paru, seulement, en août 1985 aux Editions des Sciences Sociales à la Havane Le directeur des publications (non nommé, mais sans doute Norma Suárez Suárez) a ajouté une préface.
Ce livre défend Freinet contre les attaques politiques qu’il a eues, de la part des communistes français et reconnaît le poids important des techniques Freinet dans l’éducation. Il est en soi intéressant car il paraît dans un pays du bloc soviétique, alors que Gorbatchev vient de prendre le pouvoir en URSS.
Présentation de Herminio Amendros par sa fille
Mon père, Herminio Almendros, auteur de ce livre, est espagnol de naissance et cubain par adoption etvocation. Il est né à Almansa, en Castille (1), en 1898. Il fait ses études de professeur à Madrid et travaille comme professeur et inspecteur à Lérida et Barcelone. Après la prise de cette dernière ville aux mains des troupes franquistes, durant la Guerre Civile espagnole, il se réfugie en France et très vite, grâce aux démarches de son inestimable ami Alejandro Casona, peut passer à Cuba, comme exilé , en 1939. Ici, il renoue avec ses travaux pédagogiques au travers de son magistère et la publication de nombreux textes scolaires. En 1951 il entre à l’Université de Oriente (2) comme professeur de Didactique et de Philosophie de l’Education, et à l’Ecole Annexe de la diteUniversité pour mettre en pratique les concepts pédagogiques les plus avancés de l’époque.
J’étais encore une enfant quand la guerre nous a séparés. Au final nous pûmes nous retrouver avec lui à Cuba, dans notre nouvelle patrie. Je me souviens que, la première fois, qu’il m’emmena en promenade à La Havane, il m’emmena au Parc Central et me montra – comme le monument le plus prestigieux de la ville, la statue de Martí. Depuis j’ai su que mon père avait découvert en Martí-lui aussi- une nouvelle dimension du magistère, du patriotisme et de la dignité humaine.
Mon père était un homme bon, dans le bon sens du mot, comme disait Antonio Machado. Il était aussi un homme triste : les fascistes, en Espagne, avaient fusillé des membres de sa famille et ses amis, et cela jamais il ne put l’oublier. Plus d’une fois, il me dit. « N’oublie pas le fascisme ; n’oublie jamais les crimes du fascisme ». Je crois que mon père était seulement heureux quand il travaillait, quand il enseignait. Pour lui il n’y avait ni samedis ni dimanches.
Je m’étais habituée à le voir comme un homme disposé à donner tout ce qu’il possédait, et comme il ne possédait que son intelligence et sa passion pour l’enseignement, il les donnait à pleines mains, comme s’il donnait du pain. Cette image me vient peut-être d’un proverbe qui circulait souvent dans ma famille, une phrase d’Alejandro Casona qui remarquait « ce n’est pas la même chose de prêcher que de donner du blé ». Mon père, à sa manière, donnait du blé : il le semait, le récoltait, le pétrissait, le cuisait en pensant toujours aux autres. Peut-être qu’il ne l’aurait pas fait s’il était né ailleurs que dans un village de la Manche. (3)
Lors du triomphe de la Révolution, le Ministre de l’Education de l’époque, le docteur Armando Hart, l’appela pour collaborer à la vaste entreprise éducative qui commençait. Dirigeant pendant plusieurs années le département des Publications du Ministère de l’Education – dans le secteur destiné à l’enseignement rural- et lançant aussi la publication de témoignages d’enfants de la montagne, des adaptations des classiques, des œuvres de Martí et Makarenko, et une petite encyclopédie scolaire sur les thèmes les plus divers.
Il travaillait, en même temps, dans la cité scolaire « Camilo Cienfuegos » en pleine Sierra Maestra.(4) En 1962 il prend la direction des Editions de la Jeunesse, dépendant des Editions Nationales, où il poursuit la vulgarisation massive des classiques en général, (Martí Quiroga, Andersen, London, Verne et tant d’autres) et depuis 1963 assure l’édition la plus complète des œuvres de Martí réalisés jusqu’alors (Obras completas, 28 tomes, 1963-1973). En 1967 il passe à la Direction de l’Enseignement du Ministère des forces Armées Révolutionnaires, et depuis 1970 jusqu’à sa mort- qui survint le 13 octobre 1974, préside la Commission d’Espagnol de la direction Générale de la Formation du Personnel Enseignant.
Le jour où je l’ai emmené à l’hôpital où il devait être admis, il me remit une copie de ce livre pour que je le garde et, si j’en voyais l’utilité, pour le publier, car il pourrait s’avérer intéressant pour les spécialistes, aussi, quand l’Edition des Sciences Sociales me demanda quelque matériel inédit de mon père, je n’ai pas hésité à le remettre pour sa publication.
L’œuvre écrite de mon père était destinée, en sa totalité, aux professeurs, maîtres et écoliers. Ses deux premiers livres, Pueblos y leyendas Peuples et légendes (Barcelone 1929) et La Imprenta en la escuela l’imprimerie à l’école (Madrid 1932) préfigurent les lignes centrales de son travail intellectuel : l’investigation et l’analyse des courants pédagogiques et des textes de lectures pour les écoles primaires. Parmi ces derniers se détachent Oros Viejos Les vieux yeux (1949), Había una vez Il était une fois (1945), Lecturas ejemplares lectures exemplaires (1955), Cuentos de animales contes animaliers (1963), et Leer Lire (1971). Parmi les premiers sont particulièrement intéressants La inspeccion escolar (l’inspection scolaire 1952) et El idioma y su enseñanza l’idiome et son enseignement (1972). Un troisième axe de travail , surgi de son admiration et de son enthousiasme, est constitué, sans doute, par l’analyse et la diffusion de l’œuvre «martíenne » que les spécialistes considèrent comme importante A proposito de la « Edad de Oro » A propos de « l’Age d’Or » (1956) et Nuestro Martí Notre Martí ( 1965).
Quand mon père mourut, le Ministère de l’Education voulut que nous l’inhumions au Panthéon des Martyrs de la Campagne d’Alphabétisation ; dans lequel se trouvent les restes de Conrado Benitez, Manuel Ascunce et autres jeunes martyrs de la Campagne d’Alphabétisation. Nous l’y avons enterré. Nous savions qu’il serait heureux de penser qu’il serait, pour toujours, à côté de ces enfants qui avaient défendu leur droit et leur devoir d’enseigner aux autres, de partager avec eux ses morceaux de pain. Et plus encore, parce que cela avait cessé d’être un mérite pour devenir un principe inaltérable pour tout révolutionnaire.
Durant ces années magnifiques de la Révolution, j’ai fait beaucoup de choses que jamais je n’aurais pensé faire- couper des cannes à sucre lors des mobilisations aux champs, tirer au fusil au cours des stages pratiques des Milices…_ mais le moins que je pouvais imaginer était qu’un jour une maison d’ Edition me demanderait de présenter à ses lecteurs un livre de mon père.
C’est chose faite, sachant que j’ai peu à ajouter à ce qui a déjà été dit sur sa nomination au magistère, à l’édition de textes et à ses propres œuvres pédagogiques et critiques
Maria Rosa Almendros, La Havane juin 1985
1 : Almansa est une ville de Castille du Sud (auj. 22 000 hab., célèbre pour sa bataille en 1707 lors de la guerre de Succession d’Espagne) assez proche de la côte méditerranéenne
2 Oriente région du sud-est autour de Santiago de Cuba
3- Almansa est dans la région d’Albacete, donc dans la Manche (en arabe manxa veut dire terre sèche qui donne le nom à Almansa et à la Manche)
4 Montagnes côtières du sud de l’île dont le sommet culmine à 1974 m Camilo Cienfuegos est un Cubain ne le 6 février 1932. Ses parents étaient des réfugiés anarchistes espagnols. Il renversa la dictature de Battista ave Fidel Castro
Texte traduit en français grâce à la complicité de Colette Le Goff, professeur d’espagnol à Nantes.