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Refus de renouvellement d'un poste de formateur

En Loire-Atlantique, François Le Ménahèze, directeur d’école, qui était détaché auprès des IUFM des Pays de la Loire en tant que formateur en temps partagé, s’est vu refuser le renouvellement de ce poste dans « l’intérêt du service », mais surtout « compte tenu de sa manière de servir et notamment son refus d’appliquer les instructions nationales. »

Après une première audience le 29 septembre, puis le 9 octobre, François Le Ménahèze  s'est vu demander la rédaction d'un courrier pour assurer l'IA qu'il "agirait de manière éthique et responsable" à l'avenir.

Il a reçu le 24 novembre la réponse de l'IA lui notifiant son refus définitif pour le détachement demandé pour l'IUFM

 

Pour le lire le texte de François Le Ménahèze : Un métier de la responsabilité et de l’éthique est encore possible. La résistance se poursuit.

Pour lire le courrier de François et la réponse de l'IA


Le CR de l'audience du 29 septembre

Le message post audience

Courrier pour refuser l'inspection

Le compte-rendu de l'inspection (mars 2011)

 
Les arguments présentés à l'audience du 29 septembre par François Le Ménahèze
Je suis entré dans un service public qu’est l’Éducation nationale pour la primauté que je pense toujours être sienne de la consacrer à l’éducation des jeunes de ce pays. J’ai traversé dans ma carrière nombre de ministres (et donc de courroies intermédiaires, …) qui  ont défendu ces valeurs ; mais je suis obligé de dire que depuis l’arrivée de nos derniers ministres, les valeurs éducatives et constructives qui nous permettent, à nous enseignants, de travailler sereinement au quotidien ont disparu.
Nous sommes assommés de réformes qui ne représentent plus aucune cohérence éducative (« nouveaux » programmes 2008, « réhabilitation » des rased, diminution du temps scolaire pour tous, deux heures supplémentaires pour les élèves en difficulté, disparition de la formation IUFM, classes de plus en plus surchargées, remises en question de la maternelle, évaluations nationales comparatives, …)
 C’est la raison pour laquelle, en toute conscience, j’ai décidé de rejoindre dès l’apparition des nouveaux programmes 2008 le mouvement de « résistance pédagogique ». L’enjeu est de taille aujourd’hui à ce que les profs de base disent ce qu’ils pensent, montrent ce qu’ils font. Et pourtant, jamais encore je n’avais connu une telle infantilisation du corps enseignant, une obligation d’obéissance qui va totalement à l’encontre de ce que j’ai appris dans ce métier et de l’éthique professionnelle même de ce métier.
Notre institution parle aujourd’hui de réduction de postes, de libéralisation, de gisements d’efficience, de contrats d’objectifs, de contrats précaires, …  Que deviennent les missions dévolues au service public d’éducation ? Nous sommes censés, en tant que fonctionnaire de l’Etat, agir de manière éthique et responsable (compétence 1 du référentiel de professeur d’école). Et bien, il est temps d’agir !
Nous savons qu’aujourd’hui l’action est brimée, menacée, sanctionnée…mais notre éthique et notre responsabilité est en jeu. Nous devons tout au moins réagir et ne pas poursuivre l’infantilisation dans laquelle on veut nous confondre. C’est pourquoi aujourd’hui, je décide de dénoncer encore une nouvelle injustice qui me touche cette fois-ci directement par l’intermédiaire de ce courrier que je viens de recevoir de l’inspecteur d’académie (par recommandé avec accusé réception !) et qui bafoue les valeurs que j’ai toujours défendues au sein de notre Ecole républicaine. C’est pourquoi je ne reconnais aucun argument avancé par cet I.A. et dénonce cette décision. En voici les raisons…
 
Un temps partagé en tant que directeur placerait l’école Lucie Aubrac en situation difficile ?
Cette affirmation montre une méconnaissance complète de la situation. Dès ma nomination à la rentrée 2008, j’étais déjà en temps partagé, travaillant depuis 2002 comme formateur associé à mi temps (poste obtenu par une commission de sélection de l’IUFM pour 2 postes de formateur associé à l’IUFM – postes obtenus par une collègue et moi-même, titulaires du  cafipemf). Ce poste correspond à un travail de formateur reconnu IUFM (prises en charge et coordination de formations PE1, PE2, T1, capsash, continue…). Parallèlement, j’ai continué à travailler à mi temps comme enseignant et/ou directeur dans une école primaire.
Nomination de directeur à l’école Lucie Aubrac à la rentrée 2008 avec un statut de directeur à mi temps (en gardant mon poste de formateur à mi temps à l’IUFM). Ouverture donc d’école  publique dans le département (après 80 ans de disparition de l’école publique sur cette commune). Démarrage à 3 classes qui s’est modifiée dès la première rentrée (passage à 4 classes). Passage à 5 classes dès la 2ème année (120 élèves). Passage à 134 élèves pour la 3ème année, cette présente année scolaire.
Peut-on alors parler de situation difficile pour l’école lorsque celle-ci a fonctionné depuis sa réouverture avec un directeur à mi temps et des enseignants qui ont tourné chaque année (non titulaires) mais qui se sont impliqués de manière pleine et responsable dans leur rôle ? Une organisation coopérative de l’équipe a permis à cette école de fonctionner immédiatement et de manière efficace (cf relations avec les parents, les associations partenaires et la municipalité – voir  courriers de la municipalité et des parents d’élèves).
L’organisation de l’école, et de l’équipe, en cette rentrée 2010 est exactement la même, avec de plus dorénavant des enseignants titulaires qui stabilisent l’équipe et de poursuivre cette organisation coopérative de l’équipe. Comment peut-on alors oser affirmer que l’école serait en situation difficile alors que celle-ci est aujourd’hui connue, et reconnue, dans le paysage pédagogique du sud Loire et connaît une expansion importante depuis sa création ?
 
Refus d’un poste de formateur compte tenu de ma « manière de servir » et notamment mon refus d’appliquer les instructions nationales (évaluations…) ?
Une telle affirmation montre là aussi une méconnaissance voulue de la situation et une non reconnaissance de mon action dans le service public depuis le début de ma carrière.
Comment affirmer que je n’ai pas « la bonne manière de servir » …alors que j’ai toujours œuvré dans l’intérêt d’un service public soutenu par des valeurs et une éthique en tentant quotidiennement d’améliorer ce service (voir cursus de carrière). Et là encore, je m’appuierai sur les textes officiels et la compétence 1 du référentiel de professeur d’école « Agir en fonctionnaire de l’Etat de manière éthique et responsable ».
« J’ai contribué à la formation sociale et civique de mes élèves. En tant qu’agent de l’État, j’ai fait preuve de conscience professionnelle et suivi des principes déontologiques : j’ai respecté et fait respecter la personne de chaque élève, j’ai été attentif au projet de chacun ; j’ai respecté et fait respecter la liberté d’opinion ; j’ai été attentif à développer une attitude d’objectivité ; je connais et je fais respecter les principes de la laïcité, notamment la neutralité ; je veille à la confidentialité de certaines informations concernant les élèves et leurs familles. J’ai exercé ma liberté et ma responsabilité pédagogique dans le cadre des obligations réglementaires et des textes officiels ; je connais les droits des fonctionnaires et en respecte les devoirs. … »
J’ai pendant de nombreuses années « servi » ma fonction de formateur en apportant aux étudiants et stagiaires les éléments fondamentaux de professionnalisation et la connaissance du système éducatif actuel… et passé. Mon expérience professionnelle m’y a évidemment beaucoup aidé (enseignant et directeur  dans des milieux divers, travaux et recherches universitaires, investissement dans un mouvement pédagogique, …). Dans ce rôle de formateur, j’ai à chaque fois distingué mes apports de connaissances, capacités et attitudes dont les jeunes enseignants pouvaient avoir besoin et mon rôle par ailleurs de militant pédagogique qui lutte pour  une Autre Ecole. (cf courriers joints des formateurs IUFM ) qui m’ont côtoyé durant toutes ces années.
Sur mon refus d’appliquer certaines instructions, elles sont volontaires, responsables et pleinement assumées… Autant, j’ai accepté sans problèmes les derniers outils d’évaluation (évaluations CE2 et 6ème) issus de la loi d’orientation de 1989 (cohérence et pertinence pour les apprentissages des élèves et pour notre l’enseignement) ; autant je ne peux accepter l’évolution actuelle de notre système éducatif, via les évaluations nationales (voir à ce sujet l’argumentaire du réseau national de résistance pédagogique). Cette culture de l’évaluation qui semble vouloir se mettre en place dans notre pays va encore une fois à l’encontre d’une démocratisation qualitative qui reste le grand écueil de notre système éducatif. Nous savons depuis longtemps que la recherche de performances et la culture de la statistique mènent à l'exclusion d’une certaine population.
On nous parle aujourd’hui de « comportement professionnel » non-conforme (voir courrier également reçu il y a quelques jours avec 80 enseignants du département au sujet de la non-remontée des évaluations…voici d’ailleurs un extrait de la réponse collective adressée à l’IA depuis    
« L'évaluation fait partie de notre pratique de classe et a une valeur  diagnostique et/ou formatrice pour les élèves.  Elle donne également lieu à une information régulière des familles sur les progrès de leurs enfants. Elle est un outil au service des apprentissages de nos élèves et de notre enseignement. Comme l’ensemble de notre travail, elle relève de la liberté pédagogique inscrite dans la loi et réaffirmée en introduction aux Instructions Officielles de 2008, liberté qui nous permet d'envisager des évaluations en fonction et en rapport avec les situations d'apprentissages auxquelles nos élèves peuvent donner du sens.
Nous refusons les évaluations nationales actuelles qui participent à la mise en concurrence des établissements scolaires et des enseignants et permettent les rapprochements et la mise en relation des fichiers, d'ailleurs jugée illégale par le Conseil d'État le 19 juillet 2010. Nous mettons à disposition nos outils d'évaluation qui démentent une quelconque carence professionnelle. »
Quelles sont, quelles ont été les sanctions pour les nombreux enseignants qui n’ont pas appliqué la Loi d’orientation de 1989 ? Quelles ont été les sanctions au comportement professionnel pour les enseignants qui ont continué à utiliser les notes comme moyen d’évaluation sans jamais utiliser les livrets d’évaluation inscrits dans cette loi? Quelles ont été les sanctions pour ceux qui ont bafoué les cycles en poursuivant les redoublements à l’intérieur des cycles et notamment les scandaleux redoublements de CP ? … Aucune !!
Le service d’un fonctionnaire cadre A, et plus encore un enseignant, n’est pas seulement de « fonctionner » mais de servir avec intelligence et de manière responsable et lucide son métier, animé d’un sens éthique et critique ; il est de permettre à chaque enfant d’apprendre, de progresser, de réussir. Là est le sens de mon métier et de mon éthique professionnelle. Voilà le sens de mon service…pas celui d’appliquer avec obéissance et servitude et de contribuer à trouver des « gisements d’efficience ».
La situation est aujourd’hui tellement grave que même les syndicats d’inspecteurs dénoncent les risques de dégradation du service public d’éducation (SIA). Certains d’entre eux ont même annoncé qu’ils ne voulaient pas être « les fossoyeurs » de l’Education Nationale (SNPI-FSU)…. D’où les contacts demandés aujourd’hui par les syndicats inspecteurs avec le réseau des enseignants « Résistance pédagogique ».
La résistance collective à la destruction de l’école publique est donc plus que jamais d’actualité. La résistance pédagogique, démarche éthique et responsable, est un levier qui porte l’exigence d’une école respectueuse des droits de l’enfant, une école au service du progrès de tous, une école qui préfigure une société plus juste et plus solidaire. Elle s’appuie directement sur la liberté pédagogique inscrite dans la loi, mais bafouée dans les faits.
C’est pourquoi je considère la décision prise par Mr Javaudin, inspecteur d’académie de Loire-Atlantique, est une insulte à mon éthique professionnelle et à mon sens du service public.
 FLM
 

 

soutien

Salut François,

J'enrage à la lecture de ton argumentaire. Le problème est que la rage ne fait pas avancer le schmilblick.
Jusqu'à quand va-t-on supporter de telles agissements de la part de soit disant responsables?
j'ai des idées terroristes qui me montent à la tête.
Mais ne nous laissons pas aller. Quand on entend parler d'incivilité des jeunes, je crois que l'incivilité est pratiquée par ceux qui la dénoncent,ils détruisent de la pensée et des hommes qui disent publiquement ce que c'est que penser.

Pour te donner un peu plus de courage mais en as-tu besoin, je citerai une phrase de Aain Jugnon, tirée d'un de ces articles:
"Il va de soi en effet que le seul lieu pour prendre soin qui a été inventé par les démocraties se nomme le service public; le problème n'est pas que le public ne serve plus, mais que le soin ne soit plus public,...

A méditer par les temps qui courent. Soit sûr de mon soutien.

Youenn Tempéreau