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"Têtes rondes et têtes pointues"

Janvier 2003

"Têtes rondes et têtes pointues" (1)

La stigmatisation d’une partie de la jeunesse ne sert qu’à cacher les violences sociales dont souffre une part de plus en plus importante de la population. Rechercher les causes du comportement violent de certains jeunes prendrait certes du temps mais surtout replacerait les véritables responsabilités sur ceux qui détiennent les pouvoirs, le politique se diluant de plus en plus dans la sphère du capitalisme libéral.
Chaque incident, chaque agression est suffisamment médiatisée pour justifier les régressions éducatives. L’école serait malade de son esprit d’ouverture, de sa prise en compte de l’enfant en tant que personne, de ses projets de compréhension du monde.
La réponse tombe, inévitable, l’école sera un sanctuaire où l’enfant apprendra les choses de la vie distillées, filtrées, simplifiées selon ses capacités enfantines. Et pour qu’il soit sage, qu’il ingurgite les droits et surtout les devoirs écrits pour lui !
L’autorité du maître pourra renaître puisque les enfants perturbateurs seront exclus de la classe, de l’établissement et du quartier. Certains enseignants croiront peut être se rapprocher des cours magistraux de leurs rêves, mais les écoliers et les collégiens écrasés d’interdits et de méfiance n’auront plus d’autre choix que de sombrer dans l’indifférence ou dans le mépris. Et pour ceux qui n’y arriveront
pas, les exclus de l’école, les délinquants ? Enfermons-les dans les prisons, dans les centres fermés et les quartiers retrouveront sérénité !
Construisons des prisons pour faire de l’éducation !
Réprimons préventivement ! Sanctionnons ! Pénalisons !
Responsabilisons et culpabilisons les familles !
« Mais c’est bien sûr ! répond l’écho public »
La société n’avait pas attendu cette révélation pour enfermer l’enfant dès son plus jeune âge : dans sa différence sociale, culturelle ; dans ses barres d’immeubles, son quartier, sa banlieue ; dans des catégories : défavorisés, étrangers, jeunes, immigrés,délinquants,sans-papiers… ;dans des filières,des remédiations scolaires ; dans un présent sans possible, sans futur.
L’économie libérale pour s’imposer doit détruire toutes velléités de solidarité, de projets de société, de réflexions philosophiques et politiques ; même les solidarités familiales, parce qu’elles sont non marchandes semblent maintenant constituer une inacceptable poche de résistance. Si ses projets à court terme flattent une grande partie de nos concitoyens, c’est pour mieux  leur laisser croire que la répression des uns donnera de la liberté aux autres. Il échappe à beaucoup que la recherche à tout prix de la réussite individuelle ne peut laisser les individus que nus et sans défense, face à la violence économique et politique, face à la violence du système éducatif.
L’école que nous construisons ne peut que désobéir.
Puisqu’elle formerait des individus désireux d’appréhender le monde dans sa complexité et conscients d’appartenir à l’Humanité.
Puisqu’elle donnerait à l’enfant et à l’adulte qui y vivraient le temps de construire des relations, des connaissances.
Puisqu’elle offrirait à l’enfant des situations de coopération mettant en oeuvre des capacités d’entraide, de partage, d’apprentissage par et avec l’autre.
Puisqu’elle permettrait à l’enfant d’exercer ses libertés en les articulant avec celles des autres, d’élaborer des règles collectivement, d’y obéir sans être soumis.
Puisqu’elle permettrait à l’enfant de transformer aussi, en retour, la société qui prétend le changer.

(1) Pièce de théâtre de Bertolt Brecht, écrite en 1934 sur la stigmatisation d’une partie de la population
ou comment détourner une éventuelle opposition au système, en sentiment d’appartenance et de
défense d’une catégorie de la population contre une autre.