Raccourci vers le contenu principal de la page

Ce qui les gêne, c'est le plaisir !

Février 2003

Au fond, ce qui dérange tout le monde dans la pédagogie en général (on croule littéralement sous les articles ou les prises de position qui s’en prennent aux pédagogues) et dans la pédagogie Freinet, en particulier, c’est le plaisir d’éduquer que nous cachons si mal ! Pire, ce plaisir de travailler avec nos élèves, il s’exprime, et transpire en dehors même de nos classes.
On pardonne beaucoup de choses aux enseignants ; ceux qui sont malades tout le temps, ceux qui sont particulièrement tatillons, ceux qui sont sévères mais justes, (c’est-à-dire ceux qui sont juste sévères). C’est fou ce que les enfants et les parents peuvent pardonner aux profs et aux instits… Mais par contre ce qui dérange nos collègues, ce qui fait peur dans les écoles et les collèges, ce qui constitue un scandale insupportable, à la limite du trouble à l’ordre du public, c’est la joie à l’école !
Des enfants qui viennent avec plaisir le matin dans leur classe, qui apportent avec eux le résultat de leur travail volontaire et personnel du soir !
Des enfants qui amènent des textes qu’ils ont écrits spontanément, des documents qu’ils ont triés, des exposés et des « conférences » qu’ils ont préparés tout seuls. Des enfants qui ne se rangent pas à l’entrée des  cours  car  ils  sont  trop  pressés  de « monter » en classe. Des enfants qui refusent de partir le soir, ou à la récré, qui reviennent travailler pendant le temps de cantine. Des enfants qui écrivent ou qui reviennent  les  années  suivantes  pour donner de leurs nouvelles ou pour demander à emprunter des documents auprès de leur ancien enseignant, ça fait peur, non ?
Mais, vous vous rendez compte de ce que ça fait subir aux collègues ? Allez, nous sommes égoïstes nous autres à Freinet, je vous le dis et il ne faut pas s’étonner qu’on soit si souvent soupçonnés et critiqués !
Quoi ? Vos élèves travaillent avec plaisir ?
Alors ça veut dire que ce n’est pas du travail (CQFD) !
Imaginez les discours ou la chronique des « coeurs brisés » des collègues malheureux des classes Freinet : « Et en plus leurs élèves rigolent ! Ils font du bruit dans la journée ! Ils ne sortent même pas jouer ! Ça rend malades mes élèves ; ils se mettent par contagion, à me demander à moi des choses insensées comme de faire du théâtre ou de faire un film. Ils ne veulent plus venir dans ma classe en septembre ! Ils pleurent quand ils voient leur nom sur ma liste… »
Et oui ! Même si c’est parfois difficile de survivre à l’école en tant que pédago, on peut tout de même se dire, qu’au fond, on ne nous déteste pas la moitié de ce qu’on mérite !
… Tant mieux, comme ça on peut continuer !

Laurent Ott
Enseignant et éducateur à Longjumeau (91)

Auteur :