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Au Brésil, l'escola Recanto

Septembre 2000

Depuis quatre ans, les contacts réguliers avec des enseignants du Brésil m'ont permis d'observer la vie des différentes couches sociales et la vie politique de ce pays. J'ai aussi découvert « l'éducation » dans les écoles en pédagogie traditionnelle et surtout participé activement au travail effectué à « l’Escola Recanto » qui, depuis trente ans, a intégré la Pédagogie Freinet.

Etant intervenu dans plusieurs « séminaires Freinet », je me suis rendu compte que les professeurs, du primaire à l'université, étaient bien informés sur la philosophie de la pédagogie Freinet, surtout pour le rôle qu'elle peut jouer dans l'accès pour tous à l'école dans un pays à fort analphabétisme et pour une formation à la citoyenneté.
Pourtant beaucoup de professeurs, sont en difficulté dans leur pratique quotidienne à l'intérieur de la classe. Ce qui suit voudrait montrer l'intérêt d'un travail réfléchi, collectif qui permet une auto-formation au sein même d'une école qui s'est donnée des buts précis.
André Lefeuvre
 
Quelques chiffres :
Il est estimé que 2 à 3% de la population représentent la classe riche, très riche, 30 à 35% la classe moyenne à l'intérieur de laquelle on pourrait trouver les « moyens-riches » et des « moyens-pauvres » ! Près de 70% de la population est en difficulté à des niveaux différents, des niveaux qui atteignent parfois l'impossibilité de se nourrir. Il est estimé que dans certaines régions les analphabètes représentent 30% de la population.
 
 
Dans leur pratique pédagogique, Paulo Freire au Brésil avec des adultes, Freinet en France avec des enfants, ont montré la richesse d'une éducation en prise avec les réalités de son environnement naturel et social.
En 1969, convaincue par les écrits de Freinet, Fatima Morais (1) ouvre à Récife la première classe de l'école qui va devenir: « L'ESCOLA RECANTO ». Son but : utiliser tous les principes fondamentaux de la pédagogie Freinet en la prolongeant par la formation à la citoyenneté. Cette école privée (non confessionnelle) a des effectifs imposants qui peuvent varier d'une année à l'autre de 650 à 900 élèves. C'est un lieu exceptionnel pour observer en vraie grandeur un système éducatif en coopération allant de la maternelle à la classe terminale de lycée.
L'Escola Récanto accueille aussi des élèves en grande difficulté motrice ou psychique. Ce type de classes est très rare au Brésil, aussi bien dans l'enseignement public que dans l'enseignement privé.
Cette école qui présente un cursus complet de la maternelle au lycée, a dû résoudre toutes les difficultés que cela représente au niveau de sa gestion matérielle et de son organisation pédagogique. Plus de 40 professeurs participent à la vie de l'école, à des niveaux différents ; il faut y adjoindre un corps de l'éducation qui n'existe pas en France : la coordination. Cinq coordinatrices sont chargées des tâches d'organisation générale (prévoir, animer les réunions, etc.), du suivi des élèves, de l'aide aux professeurs et de l'organisation des fêtes. Ce sont elles aussi, qui reçoivent les parents.
Trois psychologues se répartissent le suivi d'élèves en difficulté et participent à l'observation des professeurs. Un psychologue généraliste assure un suivi de cas plus spécifique d'enfants en grande difficulté pour fournir des éléments susceptibles d'aider les professeurs. En sciences, une « ascesseur », professeur de Faculté, apporte son soutien aux élèves et aux professeurs dans le domaine scientifique et des travaux (projets).
Une spécialiste universitaire en informatique guide les élèves pour une meilleure adaptation de l'informatique à des types de travaux en cours.
Enfin, une directrice pédagogique coordonne l'ensemble des réunions par niveaux et les réunions générales.
A ce personnel pédagogique, il faut ajouter le personnel administratif et le personnel chargé de l'entretien. Comme dans la grande majorité des cas, au Brésil, le « local classe » sert au moins deux fois dans la journée à des professeurs souvent différents, les élèves étant inscrits, soit pour la matinée, soit pour l'après-midi. D'ailleurs, dans certaines écoles, la même classe est aussi utilisée le soir pour d'autres cours. Les élèves sont au nombre de 15 à 25 dans les classes enfantines et élémentaires et ne dépassent pas trente dans les classes du collège et au lycée. Elles sont composées d'une manière hétérogène.
L'origine sociale des élèves se situe dans les différents niveaux de la classe moyenne brésilienne, facteur positif pour l'école mais qui ne gomme pas les traumatismes psychologiques de certains élèves dus à des situations familiales mal vécues: les séparations parentales sont fréquentes au Brésil. Les nombreuses fluctuations monétaires avec dévaluations du « Rais » entraînent une baisse des revenus dans les familles.
Le choix pédagogique et la vie de cette école prennent encore plus de valeur si on connût la situation économique, sociale et scolaire du Brésil.
 
L'éducation prend toute sa valeur dans un pays qui veut évoluer vers une organisation sociale soucieuse de prendre en charge tous les citoyens. Pourtant, comme dans beaucoup d'autres domaines, l'état de l'école publique est souvent désastreux. Dans certaines villes, les parents passent des heures à attendre devant la porte d'une école dans l'espoir d'y faire inscrire leurs enfants.
 
 Les professeurs qui participent à des avancées pédagogiques ont d'autant plus de mérite que leur situation matérielle est précaire. Enfin, le fondement même de la culture brésilienne conditionne le fonctionnement de la société à travers des relations humaines très marquées par l'individu (3). Prendre parti pour une formation à la citoyenneté représente donc un acte important pour la démocratie.
André Lefeuvre
l) Fatima Morais. Freinet : a escola do futuro (org) Ed. Bargaço
2) Son nom brésilien : « vestibular » .
(3) Lire « Racines du Brésil » de Sergio Buarque de Holanda Arcades Gallimard Editeur.