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Coopération et apprentissage

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Octobre 2001

 L'individualisation des apprentissages dans la classe Freinet ne peut se concevoir sans perspective de socialisation. Les interactions entre pairs et la coopération sont indispensables et inhérentes à ce type de pratiques. Cette entrée, par les apprentissages individualisés, s'inscrit dans un ensemble de pratiques cohérentes, que ce soient à travers les activités d'expression, de recherches collectives, de projets personnels et ceci à travers une démarche de tâtonnement expérimental au sein d'une organisation coopérative de la classe.

Il nous faut dorénavant penser les pratiques pédagogiques sous un angle différent, et ceci à plusieurs titres :  

-organisation de classe basée sur la coopération : reconnaissance de l'hétérogénéité (classe de cycle ...) ;

-évaluation formative continue ;

-rôles de l'enfant et de l'adulte permettant une co-construction des "liens" cognitifs et sociaux à l'école ;

-rôle des pairs dans la construction des savoirs : entraide, co-opération, échange de savoirs ... ;

-organisation des apprentissages, prenant appui sur les "évènements" apportés par les enfants, sur une mobilisation de tous les "apprenants"...

 

Coopération et apprentissages

 

Des années durant, l’institution scolaire n’a pu concevoir d’autres types d’organisations que celle articulée autour du triptyque : maître (le « magister ») - élève (à instruire) et savoir (à « emplir »). Mais le « public scolaire » s’est transformé, les conditions sociales ont changé, ... et l’École a dû faire face à de nouveaux phénomènes, difficiles à gérer en son sein : échec scolaire - public « de masse » de plus en plus hétérogène - attente des familles ...

L’idée que l’élève peut ne plus être seul face au savoir et au maître, mais qu’il s’inscrit dans un processus de construction avec d’autres (enfants et adultes) a t-elle fait son chemin pour autant ?

L’idée que « la connaissance, le savoir, les compétences, les apprentissages ... » puissent se construire et s’élaborer chez les élèves autrement que par le pouvoir et le savoir de l’enseignant, reste sans doute encore à conquérir dans la pratique, ceci malgré des avancées certaines de la réflexion sur l’importance des interactions sociales dans la classe.

En effet, il semble aujourd’hui admis par les Instructions Officielles et les chercheurs que des conditions d’écoute, de respect, de «citoyenneté», de parole donnée à l’enfant, d’entraide ... soient plus propices à l’enseignement, surtout quand apparaissent les phénomènes liés au groupe et aux perturbations au sein de celui-ci.

La coopération est une étape essentielle de l'apprentissage. Il ne suffit pas d'individualiser, il faut aussi tout mettre en place pour qu’un échange dynamique puisse se réaliser. C’est dans ce va-et-vient qu’on apprend : en aidant l’autre à avancer tout en avançant soi-même.

 

Cet échange qui définit la coopération se joue à plusieurs niveaux :

-mise en commun des savoirs,

-organisation des groupes de travail qui fait que cette coopération prend sa pleine mesure éducative

-échanges réflexifs entre les enfants permettant d’analyser le travail et les savoirs acquis.

 

Il s’agit alors de faciliter le mécanisme de la compréhension, autant que le savoir lui-même. “Je t’aide à comprendre, tu m'aides à apprendre”.

Quand on parle d'individualiser, d'individualisation, de personnalisation, on oppose ces pratiques à un apprentissage collectif, c'est comme s'il y avait d'un côté la socialisation (le fait de vivre avec d'autres enfants du même âge et si possible coopérativement) et de l'autre côté l'individualisation et la personnalité, comme si la personnalité était enfermée en elle-même, dans son individualité. Or toutes les études ont montré que les interactions entre pairs étaient un formidable levier des apprentissages, y compris devant un ordinateur qui fait tourner un logiciel : on s'est rendu compte que les interactions entre deux ou trois enfants étaient aussi déclenchantes que l'appareil, que le programme lui-même. Il existe une incitation à l’apprentissage individuel par la vie en petit groupe, par la vie sociale. Il nous faut bien comprendre que la réussite scolaire, la réussite sociale ne font qu'un pour aider à la construction d'une personnalité. Il n'y a donc pas des éléments qui seraient entièrement personnels et d'autres entièrement sociaux et civiques. Les deux sont en constantes interactions. La communication avec les pairs produit un effet sur les apprentissages cognitifs. Cette découverte importante montre qu'il y a une relation très forte entre les apprentissages cognitifs et les dialogues avec les autres”.

Francine Best

Salon des apprentissages individualisés et personnalisés, Nantes, 1989.

Apprendre est un acte individuel, à la condition de le penser dans une communauté d'apprenants qui s'épaulent, coopèrent, et construisent ensemble du sens. Apprendre est un acte individuel, à la condition de le replacer dans un contexte coopératif. La meilleure façon d'individualiser est de coopérer. Le savoir ne peut être construit que dans un climat de sérénité, conséquence d'une vie sociale à laquelle chacun participe, la convivialité ne se bâtit pas à partir de rien, non pas uniquement à partir du savoir, mais à partir d'un savoir construit individuellement et non pas de manière individualiste.

Michel Develay, professeur de Sciences de l'Education, Lyon II

 

 

Des apprentissages individualisés dans une perspective coopérative

 

François le Ménahèze, instituteur d’une classe de cycle III de l’école ouverte Ange Guépin de Nantes, nous montre dans cet article extrait de son mémoire de CAFIPEMF*, comment il s’appuie sur les interactions des élèves entre eux et sur les situations de coopération dans sa classe, afin de permettre à tous les élèves de construire leurs apprentissages.

Individualiser consiste à adapter un processus éducatif à la personnalité, aux caractéristiques individuelles de chaque apprenant. Il s’agit de le mettre en situation d’effectuer des choix, à la fois de méthodes, de durées, de rythmes, « d’aider l’enfant à déterminer un projet de travail correspondant à la fois à ses besoins et à ses capacités, et de favoriser ainsi le développement de sa personnalité en faisant de lui l’agent principal de son éducation... » (Jean LE GAL).

Cette dynamique apparaît encore plus évidente lorsque l’on pose aux élèves la question des moments de travail les plus fréquents passés avec les autres (questionnaire posé à l’ensemble des élèves de cycle d’approfondissement de l’école Ange Guépin, résultats consultables sur le site du Nouvel Educateur). Une des premières activités citées est ce temps d’apprentissages individualisés.

Lorsqu’il s’agit de connaître les moments pour lesquels ils ont l’impression d’apprendre le plus dans la classe, ce temps d’apprentissage est cité en premier. Il est alors intéressant de se pencher sur les motivations de ces choix. Raisons liées :

-au choix : « on fait ce qu’on veut - on peut travailler avec les autres et sans d’autres »

-à l’échange : « en groupe puisque c’est moi qui l’ai demandé - quand je ne sais pas, je peux apprendre quand même »

-à la variété : « on travaille plein d’activités - on fait beaucoup d’activités »

-à la régularité : « c’est ce qui revient le plus à l’école - c’est régulier, on s’habitue aux activités »

-à la méthode : « pour savoir me corriger, bien progresser »

 

Comment ce type d’apprentissages se traduit dans les faits ?

 

Dans ma classe, je distingue divers types d’activités : 

-les activités personnelles proprement dites : lecture - écrit - évaluation - expression…

-les travaux individualisés d’apprentissages liés à la prise de conscience des savoirs non acquis, aux difficultés apparues lors d’activités collectives ou personnelles : orthographe-compétence à travailler …

-les activités nées de la vie et des projets de la classe : recherches/projets - responsabilités - …

Les enjeux dans la mobilisation des savoirs se situent bien à ce niveau : permettre une synergie des moyens, ainsi qu’une responsabilité individuelle et collective de chacun dans la classe. Il s’agit donc dans un premier temps, pour chaque élève, d’apprendre à travailler pour lui, mais aussi de comprendre que ses apprentissages ne peuvent se développer qu’avec et grâce aux autres.

Cette forme de travail favorise le développement d’un certain nombre d’habiletés indispensables à la construction de nouveaux savoirs :

-s’entraîner efficacement ( à partir du moment où l’opération a déjà été repérée et reconnue à travers divers matériaux) ; par exemple à travers un entraînement en opérations, en technique opératoire, en lecture...

-apprendre à exercer une opération intellectuelle dans une situation nouvelle ; lors d’un travail en orthographe (reprise d’une erreur à l’aide d’un travail systématique), lors d’une recherche qui devra prendre en compte les éléments appris durant la dernière recherche menée.

-réaliser un projet ( à partir du moment où il y a perception de sa nature et de sa signification) ; par exemple un projet ou une recherche émanant d’un « événement de la classe » (et qui a subi les questionnements préalables du groupe) ;

-se former au transfert, quand elle met en jeu des éléments nouveaux ; lors de l’apprentissage d’un brevet (compétence inscrite dans le livret de formation), lors de la validation d’un acquis ;

-gérer son temps et son rythme de travail ; à travers les prévisions, la régulation et l’évaluation du plan de travail.

Mais les élèves ne peuvent construire ces savoirs qu’à travers des modes d’organisation précis et régulés par le groupe.

           

Modes d’organisation « interactifs/coopératifs »

 

Mise en place de l’entraide

 

La mise en place des réseaux d’aide parallèlement aux règles de la classe permet de placer l’entraide dans une organisation à la fois coopérative et respectueuse des activités et des apprentissages de chacun dans le groupe.

 

A travers les règles de la classe, déclinées en termes de droits et de devoirs.

Ce cadre instauré par un certain nombre de règles, élaborées coopérativement par le groupe au sein du Conseil de la classe, constitue un solide appui à toutes les activités de la classe.

 

A travers la réunion de coopérative, le conseil : cet espace de régulation, permet la construction et la discussion des règles qui régissent le groupe, ainsi que les modes d’organisation et de travail. Toute décision prise ne l’est que dans un cadre social précisé, qui prend en compte la Loi et les textes régissant l’Ecole.

Les transgressions, les comportements qui gênent le travail y sont aussi envisagés. Après avoir marqué le droit, le groupe cherche les raisons et les solutions qui permettront une aide à celui qui a transgressé. Il est aussi le lieu même de responsabilisation, où chacun pourra prendre sa place, exister dans le groupe... devenir sujet.

C’est parce qu’il apparaît contradictoire d’affirmer la coopération dans le travail et de maintenir la relation de soumission à l’adulte dans le cadre institutionnel que le conseil permet au groupe classe de gérer les modes de relation qui le régissent Ce sont ces modes installés qui permettront parallèlement une réelle confrontation aussi sur le plan cognitif. 

 

Le réseau d’aide de la classe, entre pairs, se met rapidement en place du fait de la possibilité à chacun de pouvoir dire au groupe ses difficultés et ses réussites. Il s’agit de toute relation d’aide engagée librement entre élèves, liée à la volonté de parvenir à la maîtrise d’une tâche scolaire, d’un savoir-faire ou d’un savoir. Les modalités de ce réseau, décidées au Conseil, se réguleront quotidiennement au bilan du soir.

 

Ce moment de bilan quotidien permet en effet à chacun de signifier au groupe ce qu’il a appris dans la journée, mais aussi les difficultés apparues et les demandes d’aide qui en découlent. Chacun peut alors formuler des demandes explicites qui doivent trouver des réponses précises pour le lendemain ou les jours à venir.

Les échanges de savoirs ne peuvent être intéressants que s’ils apportent à chacun la reconnaissance dont il a besoin, à la fois par rapport à soi-même mais surtout aussi par rapport au groupe.

-Première étape de la mise en place de ce réseau d’aide : faire reconnaître et valoriser les savoirs, savoir-faire et compétences de chacun dans le groupe, même (et surtout) ceux qui ne sont pas reconnus et valorisés habituellement.

-Deuxième étape découlant immédiatement de la première : permettre à ces savoirs d’être connectés, échangés. Tout le monde sait quelque chose et si personne ne sait tout, il y a nécessité d’échange, de coopération. La classe s’organise alors sur la base de savoirs réciproques tournée vers une intelligence collective, une dynamique d’apprentissage.

Une « méthodologie de l’aide » co-construite avec les élèves

Il n’est pas envisageable d’organiser des formes coopératives d’apprentissages et d’activités partagées sans revenir régulièrement, justement, sur ces formes de travail. Ces moments de « retours méthodologiques » permettent de travailler à la fois l’argumentation, l’objectivation de la pensée et le recul réflexif. Ils sont donc indispensables à l’analyse de ce type de pratiques.

Abdoullah est confronté à une difficulté sur son cahier de technique opératoire. Il formule sa demande à Johnny (Johnny est sa référence au niveau de ce type d’aide). Il quitte momentanément son activité pour dépanner Abdoullah.

Celui-ci lui montre ce qu’il ne comprend pas. Johnny, qui est performant au niveau de l’aide (intervient régulièrement malgré de grosses difficultés par ailleurs, toujours très participatif durant les moments de méthodologie sur l’entraide) demande à Abdoullah de lui indiquer précisément ce qu’il ne comprend pas.

Celui-ci a du mal à s’expliquer car il est allé voir très rapidement son « aideur » sans trop chercher préalablement à comprendre. Il se met donc là en recherche et essaie d’expliquer ce qu’il ne comprend pas. Johnny, quant à lui, reprendra juste un exemple de la même page quelques exercices avant pour lui montrer ce qu’Abdoullah avait réussi.

Après l’avoir fait parler à nouveau de cet exercice, il le fait revenir au problème rencontré. Abdoullah comprend alors très vite qu’il s’agit du même raisonnement, mais que dans cette situation, les nombres se sont complexifiés. 

La panne est dépassée. L’« aideur » a utilisé ses acquis. L’« aidant » peut continuer à cheminer dans le concept. » 

 

Des outils de gestion et d’apprentissage indispensables

 

L’autonomie dans les apprentissages ne se décrète pas. Elle se construit en fonction d’un certain nombre de compétences et de capacités à gérer cette autonomie dans ses apprentissages.

 

Des « statuts » différents se font jour dans la classe en fonction du degré d’autonomie de chacun :

 

-en « autonomie », pour ceux qui savent déjà gérer et organiser leurs apprentissages. Ces élèves apportent en début de semaine leurs propositions de travail. Il s’agit alors d’une programmation individualisée, d’une part parce que les projets et apprentissages en cours pour cet enfant ne sont pas le même que pour un autre, d’autre part parce que chacun a besoin d’ajuster l’organisation de son temps et des ses projets de travail avec d’autres.

-« sous contrat », pour les élèves qui ne peuvent encore les gérer ou qui en sentent le besoin (difficultés, progrès, projets, prévisions...). Un contrat est alors négocié en début de semaine entre l’enfant et l’adulte. Le tutorat d’un pair peut aussi se mettre en place selon les circonstances.

Cette démarche permet à la fois à l’élève d’apprendre à se responsabiliser par rapport à ses apprentissages et sa gestion du temps.

-« sous tutelle »(du maître), pour ceux qui ont des difficultés à organiser leurs apprentissages, à gérer leur temps. L’adulte prend alors en charge les prévisions de travail de la journée, de la semaine. L’enfant est associé le plus possible à cette tutelle, afin de pouvoir évoluer par la suite vers un autre « statut ».

 

Là aussi, un tutorat peut permettre une aide intéressante ; le tuteur a alors pour rôle d’aider à mettre en place des situations et des modes capables de faciliter la tâche de l’autre.    

 

 

Le plan de travail personnalisé qui permet à chacun d’organiser son travail, de programmer ses activités personnelles et avec ses pairs. A la fois outil de bilan et de prévision, il aide à la gestion des projets et à l’organisation des activités. Il responsabilise chacun dans son travail et lui permet d’accéder à plus d’autonomie. Celle-ci favorise un meilleur investissement dans ses apprentissages et dans la vie collective.

 

Le bilan du plan de travail (hebdomadaire, par quinzaine...) est à la fois personnel et collectif. Il permet à chacun d’évaluer son travail (quantité, qualité, engagements /dernier bilan, prévisions ...) ; l’adulte effectue également son bilan sur les mêmes critères, avec des remarques en fonction du bilan de chacun.

 

En dehors de cette évaluation personnalisée, la phase collective est très intéressante : évoquer ses difficultés et ses réussites avec les autres, constater qu’on n’est pas tout seul dans cette situation, qu’on peut établir des relations d’aide ... Cette phase permettra aussi la mise en place de « groupes de besoin » pour la semaine suivante, de travail à deux à partir de situations-problèmes, de mise en place d’une aide ponctuelle entre un enfant qui pense maîtriser un concept et un autre qui a envie de l’aborder (dyade asymétrique). Le maître peut aussi être amené à reprendre sur une séance collective des domaines qui posent des difficultés à certains enfants.

 

Des présentations /confrontations

 

C’est le moment où l’enfant va s’exposer en présentant ce qu’il a fait. Parce qu’il sait que son travail sera présenté, critiqué, discuté, compris ou non, l’enfant doit anticiper, à la fois sur les questionnements probables des pairs et sur les facteurs de qualité de sa présentation. Elle permet un retour nécessaire sur le travail, elle est une évaluation de celui-ci.

 

La présentation est aussi une porte qui s’ouvre, une direction proposée aux autres. Par une idée nouvelle, une forme inusitée, une méthode jusqu’alors inconnue, elle agrandit la culture de la classe. Il n’est pas question alors de tricherie ni de plagiat. Au contraire, le réinvestissement de l’idée de l’un est une reconnaissance par l’autre de son travail, l’avancée individuelle devient un acquis du groupe.

 

Mais surtout la présentation est un moment où se définissent des sujets d’étude et d’apprentissage ultérieurs. Par le questionnement, l’envie de faire « comme », de nouveaux apprentissages pourront être abordés. Parce qu’issus du contexte, ils trouveront alors leur sens et soulèveront l’intérêt du plus grand nombre.

Cela nous ramène aux « modèles d’apprentissage » et à la valeur de la communication dans les apprentissages.

La confrontation permet le traitement de l’erreur, il faut permettre aux représentations mentales qui la sous-tendent d’apparaître au grand jour. Et pour l’enfant, il faut oser proposer sa différence, ce qu’il croit et qui n’est pas comme ce que propose l’autre. Il faut être certain du respect du groupe pour s’avancer. Alors, dans une situation d’apprentissage, les échanges cognitifs peuvent s’organiser. Les propositions d’analyse, de résolution, peuvent s’exprimer. C’est la question portant sur la vérité qui est posée. On peut aussi mesurer, une fois cette question résolue, la performance des propositions restantes (rapidité, transférabilité dans d’autres situations,...).

 

La place de l’évaluation, en tant qu’indicateur de réussite

Elle fait partie intégrante d’une dynamique individuelle et collective d’apprentissage. Dans le cadre de cette idée d’évaluation formative, il est important que chaque élève puisse assurer le suivi de ses progrès et réussites. Le « livret de formation » devient alors le point d’appui pour l’enfant et l’adulte de l’évolution des savoirs et des difficultés.

Chaque enfant doit pouvoir le consulter régulièrement, s’y donner des objectifs de travail, avec l’aide du maître. Il prend en compte à la fois le droit à l'erreur, il n'est plus tabou d'avoir des difficultés. Au contraire, l’erreur, la difficulté explicitée devient un point d’appui supplémentaire à une réelle formation dans le cadre des apprentissages, ainsi qu’un prochain objectif, un futur projet d’apprentissage.

Ce travail ne peut être mené qu’à partir de l’activité cognitive de chacun, à condition qu’il puisse la réguler en interaction avec d’autres.. ; on peut alors considérer que s’accroît sa motivation à apprendre. (voir exemple de Marie et Jean) Il y a bien enrichissement du répertoire cognitif (identification des stratégies mentales-confrontation de démarches...) à partir du moment où ces outils d’évaluation-formation sont accessibles aux pairs. Au sein de l’organisation coopérative, cette visualisation des compétences de chacun devient un véritable outil d’échanges de savoirs, de travaux en commun, de prise d’indices par rapport à l’entraide.

 

François Le Menahèze

Ecole Ange Guépin de Nantes

Classe de cycle III

Groupe Départemental 44

 

Ce travail s'inscrit dans le cadre d'une pratique observée et analysée au sein d'une école Freinet. Il prend appui sur un certain nombre de recherches actuelles autour des interactions entre pairs et des situations de coopération dans la construction des apprentissages chez l'enfant (travaux de Doyse et Mugny, d'A.N. Perret-Clermont, Vygotski, B.M.Barth, Gilly, Marchive ...). Il s'articule également autour d'une analyse sociologique de l'école (Perrenoud, Charlot...) en particulier par rapport à l'échec scolaire actuel, ainsi que sur une analyse institutionnelle (rapport Ferrier - orientations actuelles ...) permettant de penser que le "système actuel" doit être "repensé".

 

 

Bibliographie :

« Réussir l’école - comment ? La personnalisation des apprentissages » Actes du Salon de Nantes et en particulier les contributions de De Peretti, F. Best, J.P. Boyer, J. Desbois et J. Le Gal (ICEM-1991)

 

*Certificat d'Aptitude aux Fonctions d'Instituteur ou de Professeur des Ecoles Maître Formateur







Extrait Charte de l’école ouverte Ange Guépin de Nantes

Individualisation - Interactions :

L'élève est amené à se responsabiliser. Il prend conscience de ses compétences et difficultés pour pouvoir se donner des objectifs de travail.

Avec l'aide de l'adulte et du groupe, il organise son travail : prévoit, assure le suivi, évalue... (moyens, outils)

Les interactions entre élèves (entraide, tutorat, travail à deux...) permettent une meilleure compréhension des compétences et des savoirs à acquérir.

L'élève est amené à être auteur de ses apprentissages : il énonce son projet, choisit les outils, se donne des situations, exploite ces situations et dégage des méthodes.

 

Droits                                                                                  

On a le droit de se déplacer pour travailler.                        

On a le droit au calme pour travailler                                              

On a le droit d’utiliser le matériel de la classe.                                

On a le droit d’être aidé.                                                                  

Devoirs

 On doit se déplacer sans gêner.

On doit chuchoter pendant le travail.

On doit respecter le matériel

On a le devoir d’aider.

 

Extrait des règles de la classe



Exemple de demande d’aide lors d’un bilan :

 

Anaïs : « J’ai besoin d’aide en divisions.

- Tu en es où ?

- Aux divisions à deux chiffres.

- Avec les nombres décimaux ou pas ?

- Non non, sans !       

 

Plusieurs mains se lèvent. Anaïs fait alors son choix et cette nouvelle aide est indiquée au tableau. Dès le lendemain, elle ira solliciter « l’aideur » pour débloquer sa panne. Il va sans dire que le groupe s’est muni au fur et à mesure de repères et de règles, en particulier en ce qui concerne le choix et les compétences des partenaires.

 

 Ces aides sont visualisées sur un tableau afin d’en permettre l’utilisation quotidienne.

 

 

Extrait d’échanges méthodologiques menés cette année avec les élèves de la classe

Comment aide t’on?

Ne pas dire la réponse.                  

Ne pas se moquer.           

Je dois utiliser le tableau des brevets ou le tableau d’aide.

Je peux:

- donner un exemple.             

- expliquer avec mes mots     

- dire ce qu’il faut faire.

- lire la consigne avec lui.

- aider à observer.                              

- le laisser deviner.      ...    

Celui qui aide :

Il faut déjà comprendre de quoi il s’agit.

Sinon, je renvoie à quelqu’un d’autre ou au maître.

Celui qui se fait aider :

Il faut d’abord essayer de comprendre par soi-même.          

Il faut écouter celui qui aide.

 

repères de référence visualisés en classe

Rachel, actuellement en CM2 prévoit de préparer cette semaine le brevet de proportionnalité (le brevet correspond à une compétence à acquérir au cours du cycle d’apprentissage). En effet, il y a quelques semaines, nous avons travaillé collectivement sur une recherche mathématique (construite sur des étapes successives permettant à chacun de pouvoir mener sa part de recherche) qui nous a amenés à aborder ce concept.

Elle va donc demander à Lucie. Elle sait que Lucie n’a pas encore ce brevet (le planning des brevets est visualisé dans un classeur et, bien sûr, également sur le livret de formation de chacun). Elles prévoient de travailler dès le lendemain ensemble. Elle a également un projet en cours avec Jean sur la seconde guerre mondiale. Ils prévoient donc de le terminer le jeudi... (prévu en début de semaine au plan de travail).

Après avoir prévu sa semaine, Martin vient me voir pour négocier son contrat. Je me réfère à mes outils de suivi et je m’aperçois qu’il n’a pas relu son bilan. Il a omis de reprendre le travail de multiplications qu’il n’avait pas compris la semaine dernière. Je le renvoie donc à la relecture de ce bilan.

Il revient me voir quelques minutes plus tard. Les prévisions de travail se sont ajustées. Pourtant, je l’alerte à nouveau sur le fait qu’il s’est engagé à répondre aux correspondants. Je lui indique donc dans son plan de travail. Il prendra rendez-vous ensuite avec les co-responsables de ce courrier. Pour son travail de multiplications, il utilisera l’aide qu’il a déjà demandée. Le contrat a été négocié. Il lui paraît possible sur sa semaine, moi aussi ; le travail peut donc commencer. »

Pour Delphine, qui a des difficultés importantes à gérer son temps et ses apprentissages, je prévois avec elle directement son travail sur la journée et parfois à l’activité même. Il s’agit encore de l’amener à gérer son temps d’activité, les outils (dont les outils méthodologiques) dont elle a besoin, puis la correction et l’évaluation.

 

 

Observation d’une interaction d’un travail à deux pour un brevet :

Marie et Jean, travaillent sur le « brevet des noms ». Ils en sont, comme souvent dans une classe (et peut-être encore plus dans une classe de cycle) à des cheminements différents. Nous passerons sur les noms propres qui semblent maîtrisés par les deux. Ils se sont choisis, il y a un rapport positif entre eux ; ils travaillent souvent ensemble, ont l’impression d’avancer, malgré des niveaux parfois très divers. Ils se reconnaissent mutuellement un certain nombre de compétences. Leur objectif est aujourd’hui de travailler le nom.

Ils n’ont pas les mêmes compétences : Jean est en 2ème année de cycle, Marie en 1ère. Mais la tâche n’est pas insurmontable, ni pour l’un ni pour l’autre. D’ailleurs si elle l’avait été, cette activité n’aurait pas été indiquée dans leurs objectifs de travail. Elle a été pointée avec eux dans la prévision du plan de travail de la semaine. (rôle de la zone proximale de développement)

Les conditions minimales semblent donc être posées. Marie est certainement plus éloignée du but à atteindre, mais peut avancer dans ce domaine grâce à ses acquis et aux échanges cognitifs à mener avec Jean.

Jean mène le travail : il propose des exemples, souligne les noms dans les exemples donnés sur la « fiche d’apprentissage ». Pour que les propositions de Jean aboutissent à une réalisation commune, il faut que celles-ci soient comprises par Marie, mais aussi qu’elle soit d’accord sur le contenu. Marie, justement, est vigilante et apporte ses questionnements : « pourquoi as-tu souligné ce mot ? Pourquoi celui-là n’est pas un nom ? ... Jean a parfois du mal à s’expliquer. Ils se voient obligés de reprendre les bases du concept « qu’est-ce qu’un nom ? ».

Les points de vue semblent se modifier doucement Jean se décentre par rapport à sa manière initiale de raisonner. Ils semblent s’engager dans un processus d’  « ajustement réciproque ». Malgré les désaccords de départ, ils semblent mettre tout en œuvre pour que la compréhension commune se poursuive. Ces deux enfants sortiront de ce travail avec un « savoir » encore en construction. Mais ils auront du moins pris conscience que leur savoir antérieur était insuffisant Ils auront réussi à s’écouter, à ajuster leurs réflexions, à négocier, à analyser pour construire une nouvelle représentation, une structure cognitive plus étendue. Ils auront surtout pris conscience des savoirs non acquis et à faire le tour des questions à poser pour enrichir leur savoir.

D’ailleurs, quelques semaines plus tard, Jean demandera à passer le brevet des noms... et le réussira. Marie ne se sent toujours pas prête... et elle aura de toute façon l’occasion de le retravailler avec quelqu’un d’autre et sous une autre forme. 

 

Echanges de savoirs



Tout le monde sait quelque chose, personne ne sait tout et chacun s’enrichit des connaissances des autres. C’est en partant de ce postulat que des enseignants mettent en place dans leur classe des ateliers d’échanges de savoirs et utilisent un outil d’évaluation et d’entraide coopératives : « les Arbres de connaissances ».

 Très sensible personnellement à cette philosophie des arbres de connaissances* après la lecture du livre de Michel Authier et Pierre Levy “les arbres de connaissances ”, je pensais bien mettre en œuvre cette démarche d’échanges de savoirs. Je n’ai donc pas hésité lorsqu’un des enfants de la classe a proposé de nous apprendre les nœuds marins et j’ai mis en place un atelier d’échanges de savoirs.

Comme je l’espérais cette organisation a évolué vers une mutualisation des savoirs plus globale et à un arbre de connaissances.

Descriptif de l’action

Cette première proposition fut suivie immédiatement d’une seconde “fabriquer un petit crocodile en perles ”. L’atelier fut placé tous les lundis de 15 h 30 à 16 h 30. Les enfants devant organiser leur atelier, je leur ai confectionné une fiche de préparation où ils peuvent aussi bien prévoir le matériel (remboursé par notre coopérative), le nombre d’enfants dans l’atelier, l’inscription des enfants, le bilan final (brevet), ces fiches allant dans un classeur à disposition des enfants.

L’enfant responsable prépare et gère son atelier. Je reste bien sûr la personne ressource. Pour la première séance, j’avais pris en charge un atelier “écrire des charades ”. Mais les propositions d’enfants se multiplièrent et bientôt je n’eus plus en charge d’atelier, j’ai pu ainsi être à mon tour apprenant.

Comme il y eut des propositions sportives, nous avons utilisé une de nos plages horaires au gymnase (30 min) : GRS, “roller-danse ”, Hockey (en roller). Les deux premiers ateliers sont gérés par des enfants pour finir par un spectacle, le hockey est une coopération entre l’aide éducateur et moi-même, il s’est finalisé par l’invitation d’un joueur de hockey professionnel qui a joué avec nous. Deux autres adultes se sont joints à nous : une maman avec un atelier Patchwork (le lundi) et un papa avec un atelier échecs (le samedi). Un arbre dessiné au fusain est affiché et chaque atelier est représenté par une feuille que l’on punaise.

Tous ces ateliers organisés par les enfants ont fait apparaître de multiples compétences : celles des enfants détenteurs du savoir échangé, celles des enfants ayant participé aux ateliers.

Grâce à ces ateliers, certains enfants ont pu retrouver une image positive d’eux-mêmes et proposer à leur tour des savoirs.

Ces échanges de savoirs se sont étendus à d’autres moments de la classe. Il y avait déjà l’entraide qui s’organisait pendant les périodes de moments personnels, mais les enfants ont commencé à proposer des transmissions de savoirs de type plus scolaire comme : “ écrire des dialogues ”, “diviser des nombres décimaux ”… A partir de ce moment, les enfants proposent de plus en plus de compétences, de savoirs.

 Ces compétences sont validées :

-par un brevet attribué à la fin de l’atelier lorsque l’enfant a terminé et réussi par le responsable de l’atelier.

-par un brevet scolaire (évaluation) passé après des entraînements personnels portant sur les notions du programme.

-en prouvant et validant sa compétence lors de présentations, d’exposés, d’écrits pour le journal à l’ensemble de la classe.

-en prouvant et validant sa compétence lors des entraînements, d’écriture de textes à l’enseignant.

Une fois validées, elles rejoignent de grands tableaux affichés à côté de l’arbre. Cet affichage permet aux enfants de retrouver celui qui possède un savoir pour qu’il lui transmette.

Individuellement ils ont un petit classeur les regroupant toutes. C’est leur blason.

L’arbre de connaissances regroupe l'ensemble des blasons. Il rend visible pour tous sous forme d'image les savoirs du collectif et leur évolution.

Au départ, seuls des savoir-faire ont été échangés, puis ce furent des savoirs culturels, puis plus tard les savoirs dits scolaires mais plutôt transversaux et finalement des compétences scolaires.

Lorsqu’un enfant en difficulté propose pour la première fois une compétence scolaire en expliquant comment et quand il l’a montrée, je crois que c’est la plus belle des démonstrations de cette mutualisation des savoirs et du sens retrouvé de l'apprentissage et de sa finalité.

L’arbre représente tout le patrimoine de la classe, il est là pour être partagé et s’enrichir de tous. 

Bilan

 

Pour l’enfant : même en difficulté, il retrouve une estime de soi, ce qui lui permet de retrouver le désir d’apprendre ; son comportement tend à être moins individualiste car l’obtention de savoirs se fait avec les autres, parfois pour les autres mais jamais contre les autres. L’évaluation devient concertée et motive l’effort.

Pour l’enseignant : il n’est plus seul à transmettre, il peut ainsi être plus disponible pour le travail en petits groupes (besoins, ateliers, production d’écrits, recherche…). Le travail de cycle s’en trouve fortifié.

Obstacles : manque de temps, de continuité suite à la constitution de classes d’âge qui se reforment chaque année. C’est une démarche qui se constitue petit à petit avec les enfants, on peut offrir aux enfants l’organisation la plus propice mais ce sont eux les acteurs.

La classe de cycle ou le double niveau peut apporter le temps nécessaire, puisque chaque groupe d’enfants peut travailler deux ans au moins avec l’enseignant et ainsi à chaque renouvellement d’enfants participer à leur accueil.

 

Catherine Chabrun

Ecole Jean Jaurès

ChabrunC[arobase]aol.com

Groupe départemental 91

de l’ICEM

 

*Sur les arbres de connaissances, voir « Le Nouvel Educateur 108



Quelques exemples pris dans l’arbre de la classe :

 

-Les compétences issues du programme

 

-Des savoirs échangés dans l’atelier :

crocodiles en perles, hippocampes en perles, origamis, toupie à effets d’optique, scoubidous, dessins en traits et points, bracelets brésiliens, vitrail, le nain jaune, le scrabble, les échecs, l’espagnol, peindre comme Monet, mots à rallonge, patchwork.

 

-Des compétences montrées et échangées : écrire des dialogues, écrire des poésies, écrire des haïkus, diviser des nombres à virgule, connaître le clavier, lire avec le ton, écrire correctement les négations, poser une addition avec des nombres à virgule, placer une fraction sur une droite graduée, reconnaître un verbe conjugué….



 

 

Un atelier de partage d’un savoir

scolaire voit le jour

“ Les divisions à virgule ”

 

Deux enfants Florent et Samuel s’étaient associés pour cet atelier. Ils ont préparé une fiche à ma manière, avec une progression :

1)       continuer une division

2)       diviser un décimal par un entier

3)       diviser un décimal par un décimal

 

Florent a emporté la fiche chez lui et avec son scanner en a imprimé cinq. Pendant un temps de travail personnel, nous avons discuté tous les trois sur l’organisation de l’atelier.

 

Pendant l’atelier, ils se sont installés près du tableau. Il y eut beaucoup d’échanges entre eux parfois un peu chauds mais très argumentés !

 

Au bilan : les enfants pensent avoir appris, mais trouvent Florent peu patient. L’un d’eux savait déjà, mais il attend la deuxième étape.

 

Quelques jours plus tard, Florent et Samuel me donnent un projet de brevet pour que je le fasse à l’ordinateur et qu’on le rajoute ainsi aux brevets d’opérations.

 

Remarques 

 

Le sérieux avec lequel les enfants préparent leur atelier. Il n’y a jamais besoin de rappeler quoi que ce soit. Ils montrent ainsi le respect qu’ils portent à leurs camarades.

 

Il n’y aura pas d’autres échanges scolaires lors des ateliers mais cette pratique va se retrouver dans les moments de découvertes en français et en mathématiques.

 

Par exemple, l’écriture des dialogues va être prise en charge par deux CM2 qui vont exposer au tableau la technique, une fiche sera conçue par eux et mise en forme à l’ordinateur avec mon modèle. Il y aura aussi partage pour les opérations, la reconnaissance des verbes, des sujets, des compléments.