Prendre comme objectif pédagogique:
«l’expression libre».
Pourquoi?
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Parce qu’en premier lieu, s’exprimer est un besoin naturel
«Tout individu vivant a toujours quelque chose à dire, comme une contribution à la réalité du monde dans lequel sa tâche est de s’affirmer. Tous les êtres humains pensent et ont besoin de manifester cette pensée: c’est l’essence même de la vie de l’Homme dans un contexte social. Les enfants et les adolescents aussi éprouvent la nécessité d’exprimer, d’échanger, de communiquer, par le geste, la parole, l’écrit, le dessin, la musique, le chant, etc.»
Apprendre aux enfants à explorer les arts plastiques, Nicole Bizieau, Editions ICEM, p9.
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«L'art enfantin» constitue «avant tout, qu'il s'agisse d'expression gestuelle, parlée, chantée ou plastique, la forme la plus naturelle d'expression poétique spontanée du monde et de l'homme.»
L'art enfantin, expression poétique de l'enfant, Madeleine Porquet, Art enfantin n°40, 1967 .
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Avant d’être un droit ou parce qu’elle est un droit, cette expression de soi est présentée comme aussi naturelle que la respiration.
Mais pour exprimer quoi ?
Célestin Freinet précise que «Cette expression s'élabore pour l'enfant par des images de sa situation dans le monde.»
Ce qui est exprimé, c’est la vérité de l’enfant, sa vérité du monde, sa parole imagée, le réel vu au travers de sa personnalité et sur un plan esthétique.
Faire entrer en ligne de compte la personnalité affective de l’enfant pour rendre possible une pédagogie efficiente à l’école.
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«Ce langage poétique qui trouve sa source dans la vie organique et affective, dont le dynamisme traduit le mouvement même de la vie, où la joie de vivre est première, ne témoigne-t-il pas de la pérennité de l'accord secret de l'enfant au monde, de cet accord spontané qui deviendra, si nous savons sauvegarder cette naturelle exubérance créatrice, un art de vivre en réinventant l'homme et le monde.»
«Appréhender l'univers et les hommes, d'inventorier et d'exalter la condition humaine, (…). Les enfants balbutient le monde et l'homme, ils les invoquent, ils les nomment, ils s'identifient à eux, ils les réinventent, ils se les approprient de la même manière à la fois lyrique et hardie que les chasseurs préhistoriques (...)
Il y a comme un pouvoir inné de recréer le monde à son image, au rythme de sa joie de vivre, qui révèle l'enfant à lui-même et nous le révèle à nous-mêmes. Parce qu'elle abolit les frontières entre l'imaginaire et le réel, elle décuple ses possibilités créatrices, multiplie ses pouvoirs, accroît son impression de puissance. Laissons l'enfant, comme l'artiste, recréer le monde à son image et prendre, ce faisant, conscience et possession de lui-même.
Permettons-lui de maîtriser ses émotions en les exprimant, d'éprouver sa propre certitude d'être existant et pensant, œuvrant le monde et lui-même en toute joyeuse confiance.
Soyons assez sages pour ne pas vouloir substituer notre logique desséchante d'adulte à son naïf pouvoir d'enchantement mythique.»
L'art enfantin, expression poétique de l'enfant, Madeleine Porquet, Art enfantin n°40, 1967 .
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Comment cette expression individuelle peut-elle servir de point d’appui à la méthode naturelle?
Par la pratique exploratoire.
«Comme pour les autres disciplines scolaires, pour développer les compétences artistiques, accéder aux concepts, il faut pratiquer les arts de manière exploratoire, comme pour l’apprentissage naturel de la marche ou de la parole.»
Célestin Freinet
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En libérant l’expression, on permet à l’enfant de se créer, d’exister et d’être lui-même et par lui-même,
L'expérience esthétique est une façon d'être au monde qu’il s’agit d’être capable de traduire en trouvant son propre style.
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«Pour toutes les disciplines, nous inversons le processus d’apprentissage en plaçant à l’origine non la règle et les leçons mais la pratique et l’action» Célestin Freinet
«C’est toujours la pratique qui enseigne»
Elise Freinet
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Pourquoi l’expression libre est-elle un objectif ?
Jeannette Roudier, membre du secteur arts et créations, nous met en garde : « l’expression libre, ce n’est jamais l’expression d’un déjà-là. La plupart du temps le déjà-là, ce sont les conditionnements, les déterminismes qui précisément entravent l’expression libre. Celle-ci est toujours un travail, au sens de Freinet, c’est-à-dire de la création, de la transformation, de l’investigation, de la recherche. C’est toujours un processus de tâtonnement expérimental. Elle porte souvent sur des formes esthétiques (lignes, couleurs, contrastes, composition…). Lorsqu’elle est véritablement libre, c’est-à-dire avec un minimum ou une absence de contraintes didactiques, et lorsqu’elle se déploie dans un milieu coopératif accueillant et sécurisant, alors elle est presque toujours une plongée exploratoire dans l’inconscient. Inscrite dans la longue durée, elle devient un véritable processus de libération de la vie, et de conquête de sa propre puissance.» (Communication de 2010).
Mais le mot «libre» d’expression libre doit s’entendre dans un sens particulier
Méthode naturelle n’est donc pas abandon mais accompagnement.
«Il ne suffira pas de donner papier et crayon et de laisser l’enfant gribouiller à sa guise. Ce serait opérer comme une maman qui dirait : j’enferme mon enfant dans une chambre et je le laisse parler librement. L’enfant ne parlera que s’il a tout à la fois un exemple et une motivation.»
Célestin Freinet
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«L'apprentissage du dessin par l'expression libre ne saurait donc être considéré comme une formule simpliste d'un pseudo‑art à la genèse et au développement duquel le maître estimerait suffisante sa présence, observant et laissant faire. Cette présence est nécessaire, mais elle n'est pas suffisante en tant que telle. L'importance de la personnalité du maître est déterminante dans toute éducation, répétons-le.»
Maurice pigeon, Art enfantin, n°19, 1963
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La part du maître et par conséquent l’aménagement d’un milieu porteur sont primordiaux, d’où la nécessité de former les maîtres pour qu’ils soient à même :
1- d’accueillir cette expression
Que faut-il entendre
par «accueillir cette expression» ?
Tout geste éducatif est d’abord un acte d’accueil et de bienveillance. L’expression libre exige écoute et le respect des autres, en particulier du maître, qui doit se mobiliser aussi bien affectivement qu’intellectuellement. Faire confiance à l’enfant dans sa pratique artistique tâtonnante, comme pour la marche et le langage.
« Laisser l’enfant aller vers sa vérité par la libre expression », Quelle est la part du maître ? Quelle est la part de l’enfant ? Elise Freinet, BEM, 1963.
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Comprendre le contenu de cette expression et sa genèse. Par son regard portée sur la production de son élève , le maître peut s’apercevoir que le dessin d’enfant est révélateur :
- d’un milieu social et d’un réalisme social
- mais aussi des possibilités intrinsèques de la personnalité de l’enfant :
Ses valeurs de sensibilité et d’imagination : les travaux des enfants nous font entrer dans un monde fabuleux, fait de poésie, de drame, d’aventure. (Source de jeux dramatiques et de contes enfantins)
«Savoir partager avec nos enfants cette réalité poétique, cet univers particulier qui cependant s'insère dans une réalité plus large, celle du monde des vivants, celle même de la vie quotidienne mais en composant autour de cette réalité une certaine atmosphère en l'éclairant d'un jour particulier qui est celui même de la vie intérieure du poète, car toute œuvre authentique exige d'avoir été vécue.» L'art enfantin, expression poétique de l'enfant, Madeleine Porquet, Art enfantin n°40, 1967 .
Les travaux ont aussi une valeur de genèse car ils témoignent d’un monde en gestation, riche de potentialités et qui contient en promesse un devenir progressant peu à peu vers des formes plus achevées.
Ils sont l’expression d'une personnalité qui s'élabore, se dégage et se différencie du milieu ambiant.
Par la richesse de leur contenu humain, les dessins d’enfants permettent au maître de mieux connaître l’enfant, de suivre son évolution, voire de donner la clef de troubles psychiques caractérisés.
L’expression spontanée est une étape de l’apprentissage et de l’acquisition, où il ne s’agit pas de normaliser mais de cultiver la création singulière, dans un climat de liberté mais dans un milieu porteur et favorable.
Elise Freinet se positionne sans cesse dans son livre «L’enfant artiste».
La spontanéité n’est pas, dit-elle: «comme pour nos détracteurs, l’antre de l’ignorance, la marque d’un empirisme invétéré, un état primitif qui ne saurait se dépasser, le règne de l’obscurantisme».
Contre ses détracteurs, partisans à l’époque (avant et pendant les années soixante) d’une éducation artistique dont l’activité principale se réduisait à la copie de modèles ou au dessin à vue d’observation, Elise Freinet veut abolir la «leçon de dessin» et veut démontrer qu’il possible et même crucial pour l’enfant de pouvoir décider lui-même du jeu de son crayon, de son pinceau et des sujets à traiter. C’est même en laissant donner libre cours à ses initiatives intellectuelles et manuelles, qu’il pourra ainsi se créer un style personnel qui est sa marque propre.
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2- d’accompagner l’enfant dans la maîtrise de son expression
C’est-à-dire d’abord le laisser tâtonner pour arriver au produit intentionnel, porteur d’émotions et d’expression plastique, passer du spontané à l’intentionnel.
La spontanéité permet de livrer une vérité :
Dans L’enfant artiste, Elise Freinet décrit la spontanéité enfantine et la réalité sensible qu’elle fait jaillir:
« C’est tout l’informulé riche de sensations, d’intentions, d’impatience » ;
C’est Le « dedans » de Teilhard de Chardin qui se signifie par la spontanéité, qui en est le jaillissement ;
C’est « la démarche fondamentale de la vie dans toute son ampleur, organique, morale, intellectuelle ».
«Sans tension, avec une détente intérieure totale », «Cœur libre, sens ouverts», en faisant «confiance à ses propres démarches», en vivant «selon sa propre nature»
«L’enfant fait du taoïsme à sa façon»
Il faut donc accueillir ces « réflexes spontanés qui permettent de s’exprimer en profondeur et de s’équilibrer» «par le dessin, la peinture et la création artistique.»
L’enfant artiste, Elise Freinet, 1963.
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Prendre appui sur la spontanéité enfantine, certes, mais pour ensuite la dépasser :
«Si l’expression individuelle est prise en compte comme base de créativité artistique, elle n’en est pas pour autant abandonnée à son état spontané. Il lui faut de bonnes conditions matérielles, des conditions d’expression, dans un milieu offrant les possibilités variées. Si la palette et le style restent liés à la personnalité de l’enfant, ses réalisations prendront force grâce à la pratique, les recherches, l’expérimentation et l’appropriation des techniques, ainsi qu’au contact d’autres œuvres.»
Apprendre aux enfants à explorer les arts plastiques, Nicole Bizieau, Editions ICEM, p6.
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«A un certain stade, l’individu s’approprie, par imitation, par observation ou par lecture, l’expérience des autres, l’expérience présente et passée des générations. Mais cette appropriation se fait alors sur la base et en fonction de l’expérience personnelle qui continue à orienter le tâtonnement. »
Célestin Freinet.
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«Si le dessin est une activité naturelle qui ne relève au départ que d’un empirisme personnel, le but éducatif est de faire dépasser à l’enfant ce stade de l’improvisation hasardeuse pour le faire accéder à une activité résolument consciente, en possession de moyens acquis par la pratique et qui, à coup sûr, conduisent à la réussite, quelles que soient les contingences du moment.»
L’enfant artiste, Elise Freinet, 1963.
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Ce processus de perfectionnement, qui fait que progressivement, l’enfant monte des traits informes et accidentels au dessin motivé, processus pour ainsi dire naturel, est la conséquence d’une loi simple : un acte réussi tend à être renouvelé et dépassé pour asseoir une technique de vie sûre sur laquelle en toutes circonstances l’individu peut compter. « si l'essai réussit, c'est une trace qui se creuse, et où on aura tendance à s'engager pour les essais ultérieurs, en vertu d'une loi d'économie de l'effort qu'ont souvent mise en valeur les psychologues. » Célestin Freinet.
Et ce processus demande à être accompagné : c’est toute la question de la part du maître, qui doit réussir à offrir à l’enfant les moyens de son expression, lui permettre de devenir «enfant auteur».
Cette méthode conduit à reconsidérer la part du maître comme «passeur de culture» et son attitude en classe, par exemple,
- aménager le cadre scolaire
- permettre l’accès à des modes d’expression variés
- éduquer le geste et le regard de ses élèves
- intervenir avec doigté lors des ateliers, devant une production, devant la classe.
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