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L'école face à la violence sociale

Dans :  la Société › Formation et recherche › 
Janvier 2002

Sur fond de campagne électorale et de surenchère médiatique, la question désormais classique de « la violence urbaine » constitue une thématique devenue incontournable, qui donne lieu à une compétition en matière de sécurité produisant des mesures de plus en plus répressives quant à la justice des mineurs (couvre-feux, diminution de l’âge légal d’incarcération etc.). Évidemment, la question non moins commune de « la violence à l’école » s’inscrit dans ce contexte et ne saurait être prise à part, comme si l’école possédait le pouvoir de s’abstraire des problèmes sociaux qui, en réalité, l’empêchent souvent de fonctionner décemment.

 

Une rhétorique sournoise tend à déconnecter le comportement des élèves de leur contexte social en se masquant derrière un vocabulaire apparemment neutre. Par exemple, on jugera l’absentéisme de certains tout simplement inadmissible, sans s’interroger sur la signification de celui-ci (l’absence de volonté ne constituant, dans ce cas, qu’un symptôme qu’aucun décret n’est en mesure d’endiguer). Le mot « incivilité » devenu La notion-référence en ce domaine ne constitue en fait qu’un rempart destiné à faire croire que la civilité se développe à partir d’une série d’injonctions, d’interdits ou de devoirs. Il n’est sans doute pas inutile ici de souligner le caractère très flou de la notion de « violence » elle-même qui participe à la montée du sentiment d’insécurité scolaire, tant elle fait croire que les coups et blessures constituent le lot quotidien de la vie d’une classe. En réalité, lorsque l’on demande aux établissements de faire état de tous les « manquements à la loi » qu’ils connaissent, la majorité des faits relevés est d’une gravité très relative, même si leur caractère récurrent finit par devenir effectivement un problème très sérieux, non sur le plan pénal, mais par la mise en cause de fait du système éducatif qui s’y joue.

 

Il faut d’ailleurs reconnaître que notre tradition républicaine n’est pas étrangère à cette manière de voir. En avançant un idéal méritocratique (à chacun selon son mérite individuel), elle pense pouvoir libérer l’élève de ses conditions concrètes d’existence, qui elles, sont tout à fait indépendantes de la volonté individuelle. C’est-à-dire qu’une confusion s’installe entre une égalité rêvée (la fameuse « égalité des chances ») et une égalité réelle, ce qui produit l’effet exactement inverse : le renforcement du déterminisme social (un voile s’installant devant les inégalités réelles que quelques sociologues têtus s’obstinent à rappeler régulièrement). Ainsi, il n’est malheureusement pas étonnant que « la violence à l’école » soit traitée sous un angle purement répressif, ou encore sous un angle purement pédagogique, sans que l’on semble s’émouvoir du fait qu’elle ne constitue qu’un effet d’une cause qui est, elle, hors et dans l’école (l’école produit elle-même ses propres lois implicites ou explicites, lois parfois en contradiction avec les droits élémentaires des enfants reconnus par la convention internationale des droits de l’enfant. L’école génère une violence propre !). Il y a là une étrange cécité pour un observateur extérieur, mais dont l’histoire de l’institution scolaire permet de comprendre le poids.

 

Il n’est alors guère étonnant que cet idéal républicain se transforme en idéal répressif dès lors que les élèves ne sont pas « prêts » pour l’égalité des chances. Le discours sur l’Ecole de la République finit par se transformer en aveu involontaire de la crise sociale que cette institution rencontre. Le passage à une logique libérale se fait ici aisément puisque celle-ci considère également que l’individu est entièrement responsable de ses conditions d’existence. A partir du moment où l’on considère que quelqu’un choisit de son plein gré la voie de la délinquance, l’idée même d’une violence sociale devient impensable. Du coup, « le tour est joué » car cette dernière ayant disparu, toute tendance sécuritaire devient politiquement neutre (on ne lutte que contre des individus nuisibles) et ainsi élimine toute véritable politique sociale. On peut par conséquent se demander si la montée du discours libéral en matière scolaire n’est pas liée à la massification, en partant de l’hypothèse selon laquelle l’idéal républicain n’est crédible que s’il légitime une sélection très stricte de son élite.

 

Le rappel de l’existence du social ne peut pourtant pas conduire à un attentisme, qui consisterait à compter sur un prochain bouleversement social pour enfin rétablir l’égalité à l’école.

 

D’une part, ce serait épargner l’institution scolaire de sa responsabilité propre en matière de violence réelle et symbolique. Nous savons par exemple trop bien comment le système des options ou les dérogations multiples à la carte scolaire expriment une volonté assumée de jouer le jeu des inégalités sociales en les renforçant, ainsi qu’en matière de choix économiques.

 

D’autre part, il n’est pas non plus acceptable de laisser une partie des personnels de l’éducation nationale (souvent les jeunes enseignants inexpérimentés) affronter individuellement dans le désespoir une crise sociale très dure. Enfin, il paraît difficile de faire l’économie d’une réflexion pédagogique sur les modalités de la transmission du savoir et sur le fonctionnement des établissements scolaires.

 

Sans doute y a-t-il là des versants (parmi d’autres),à la fois incontournables et contradictoires d’un même problème. La lucidité impose, en ce domaine, de ne pas croire en des synthèses de papier mais également de ne pas tomber dans le fatalisme ambiant qui tend à faire croire qu’un seul « ordre » (ou désordre ?) économique est possible.

 

Eric Hassenteufel

Sud Éducation 59/62

 

 

 

Réflexions « violence(s) »      

 

Il est nécessaire de contrer les discours exacerbés et le développement des logiques sécuritaires. Contrer suppose aussi, a minima, le développement d’une conscience sociale par le vécu, les luttes, la « formation par l’expérience » en quelque sorte. Ce développement d’une conscience sociale doit nous engager alors/aussi dans un travail pédagogique et éducatif de chaque instant.

 

Cet engagement est global et local, il inclut tout notre champ professionnel.

 

Que produit l’école ?

 

L’école est un renvoyant primaire efficace

 

L’école produit « en coopération » si l’on peut dire des parcours d’exclusion avec le judiciaire et le policier. Des enfants glissent par exemple du statut d’absent, de mauvais élève, de perturbateur à celui d’élève indésirable puis de rejeté, enfin de pénalement responsable et policièrement sanctionnable. Elle participe parfois à un « cycle infernal », réservé aux enfants des milieux populaires ou distants de l’école le plus souvent.

 

Construction

d’identités négatives

 

L’école possède des codes de reproduction qui aident à la construction par les élèves et leurs parents de représentations négatives de soi. Elle empêche l’estime de soi pour ceux qui en sont éloignés et ignorants de ses rouages et attentes implicites (en terme de code de politesse, de code de respect, de code de langue…)

 

La délinquance : une stratégie

de compensation 

 

Les jeunes n’ont d’autre issue quelquefois que de « tomber » dans la délinquance, seule porte de sortie permettant un statut de reconnaissance, une identité.   

 

Les questions de fonctionnement 

 

L’école développe aussi ses propres règles, ses propres lois qui de plus ne sont ni construites ni même connues des usagers. Ces mêmes lois peuvent aussi être variables suivant les intervenants ou professeurs ! Elle développe ses propres modes d’organisation du travail, ses hiérarchies figées, ses découpages de temps et d’espaces surprenants. La critique la plus souvent développée par les jeunes est qu’ils ne connaissent pas les règles, ne les ont pas construites et surtout qu’elles sont fluctuantes suivant les enseignants ou les établissements. L’autre état générateur de violence (perçue) est que les lois applicables aux élèves ne le sont pas aux adultes (le respect notamment).

 

On peut encore parler de violences plurielles (architecture, temps, espaces, contradiction école obligatoire et liberté…). Réfléchir à de nouveaux espaces, temps, outils et regroupements d’élèves : Il est curieux par exemple d’observer les espaces cloisonnés, les temps découpés et hiérarchisés comme les matières… Comment dans les architectures actuelles et découpages d’emplois du temps, des collégiens et lycéens peuvent-ils développer des démarches citoyennes et « militantes de leur propre vie » ? Les regroupements par « paquets » homogènes, entassés à 30 et plus dans 60 m2, et les regroupements par classes d’âge étonneront peut-être les éthologues du XXII ème siècle !

 

Les situations vécues comme des violences par les élèves sont encore celles des devoirs, des inégalités devant les moyens. Pour les enseignants aussi, les inégalités de moyens suivant les communes, départements et régions, suivant les établissements et les zones (REP ou non, etc.) participent d’une violence (ou d’une injustice en tout cas) institutionnelle.

 

De plus, « les inégalités réelles auraient moins de conséquences si elles n’étaient pas converties en hiérarchies d’excellences » (Perrenoud-1984).

 

Les filières, les signalements aux réseaux d’aide (ou non-signalements par manque de moyens !) participent de cette logique d’exclusion sociale.

 

 

Que faire dans l’école ?.. Transformer l’Ecole !

 

Mettre en route l’apprentissage d’une démocratie participative (savoir, pouvoir, faire/participer et tâtonner) au niveau des élèves (l’enfant citoyen d’aujourd’hui est le citoyen adulte de demain) et des enseignants.

 

Très rarement dans l’Ecole, l’enfant (et les enseignants entre eux !) peut construire ses règles, participer à la construction coopérative de lois démocratiquement votées. Les structures hiérarchiques et infantilisantes sont autant de marqueurs environnementaux d’une violence subie. Tout juste lui apprend-on (l’instruit-on) les règles établies, les devoirs à suivre. La liberté d’expression et d’association, la libre circulation reconnues par la convention internationale des droits de l’enfant sont-elles appliquées partout ? Non, loin s’en faut ! L’élève (et pas plus l’enseignant) peut-il tâtonner et progresser par essais/erreurs  quand les contenus, programmes, temps et espaces sont bloqués ?

 

Rapports contenus d’enseignement / rythmes / vie et comportement : Les contenus ne sont pas innocents à cette violence subie. La coopération par exemple est absente dans les faits des programmes…On cantonne la philosophie en terminale, on cloisonne les disciplines pour ne voir la mathématique qu’en mathématique…La compétition, le mérite restent des valeurs fondatrices des objectifs posés par la société et l’état.

 

Sylvain Hannebique

Groupe départemental 62