Janvier 2002
L’intégration des écoles Diwan dans le service public d’éducation a suscité des réactions diverses ces derniers mois. Ce débat a plusieurs entrées qui s’entremêlent : le culturel, le pédagogique, l’idéologique, le politique, le droit à l’éducation et les droits des enfants. Puisse ce témoignage de Reun et Youenn Tempéreau, membres de l’ICEM, mais qui n’engage en aucun cas l’ICEM, contribuer au nécessaire débat sur les langues régionales.
La bigoudène pourchassant le béret-baguette
Dans les années 70 une grande partie du pays n’est pas épargnée par la sous-industrialisation, la mécanisation à outrance de l’agriculture et l’exode vers la capitale. La Bretagne est dans ce cas, ce qui suscite un sentiment de révolte contre le centralisme parisien dans une partie de la population. On assiste à un bouillonnement, l’Etat est ébranlé, alors on se met à imaginer un avenir régi par de nouvelles lois.
Les jeunes de cette époque appartiennent à la génération à laquelle les parents ont refusé de parler breton pour ne pas les «handicaper» dans leur cursus scolaire français… Les parents continuent à parler breton entre eux et avec les personnes plus âgées, mais ont décidé de parler un français parfois très approximatif, à leurs enfants. Le mouvement réclamant le droit de travailler au pays et désirant se réapproprier la langue et la culture sacrifiées sur l’autel du capitalisme est né. Les cours, les stages de breton se développent. Mais l’absence d’enseignement du breton à l’école est très fortement ressentie. Alors l’idée folle de créer une école en breton surgit dans l’esprit de quelques uns : c’est la naissance de Diwan. Des contacts sont pris avec les basques, les gallois qui ont une ou plusieurs décennies d’expérience en matière scolaire. Les bretons sont étonnés des résultats obtenus et adoptent leur modèle d’enseignement qui s’inspire de l’enseignement immersif canadien.
L’enfant est «immergé» dans la langue à apprendre dès 2 ans ; autour de 6 ans, il atteint une compétence linguistique suffisante pour aborder l’apprentissage de l’écriture-lecture dans la langue seconde. L’étude de la langue dominante démarre à 7 ans, quand l’enfant a acquis la lecture. L’objectif est de maîtriser les deux langues à 11 ans à l’oral comme à l’écrit. Pour permettre à l’enfant d’être à l’aise dans la langue à apprendre, le breton est la langue de vie de l’école et non pas une matière d’étude. En maternelle, l’enfant est accueilli dans la langue qu’il connaît et amené progressivement, par des situations de vie, à comprendre la langue à apprendre. La langue maternelle est utilisée par les adultes quand elle est nécessaire à l’enfant. C’est l’intérêt de ce dernier qui détermine le choix du code linguistique. L’immersion est une manière proche de l’apprentissage linguistique du nouveau-né. C’est un apprentissage naturel basé sur les expériences de vie des enfants.
Si la langue à acquérir est un outil authentique, si elle est reconnue dans la société ou dans la famille, l’immersion linguistique devient un moyen de former des citoyens multiculturels.
Il ne s’agit pas d’instrumentaliser une langue, une culture au profit de tels ou tels intérêts ou de telle ou telle idéologie. L’enjeu est bien ici de donner sa place dans un univers pluri-culturel à chaque citoyen, qu’il soit néo-arrivant ou colonisé de longue date. L’impérialisme culturel n’est pas plus défendable que l’impérialisme économique ou religieux.
En tant qu’individu, nous nous sentons solidaires de tous ceux qui les subissent et notre manière d’en combattre l’une des formes consiste à faire vivre une culture condamnée par des puissants.
Cela veut-il dire prendre les armes contre les Français ? Le simple fait d’écrire cette question nous fait sourire : imaginez la Bigoudène, le fusil à la main pourchassant le béret-baguette !
Il ne s’agit pas d’opposer des langues ou des cultures, de les dresser les unes contre les autres mais de donner aux individus et aux groupes le droit de les cultiver là où ils se trouvent.
Alors, pour qui roule le Conseil d’Etat en décidant de suspendre l’intégration de Diwan? Est-ce là l’expression d’un mépris ou celui d’une toute-puissance bien déterminée à couper ce qui dépasse?
C’est sous la Terreur qu’a été prise la décision de ne plus utiliser que le français alors qu’auparavant les textes révolutionnaires étaient traduits dans les langues de France…
Les classes fortunées utilisent depuis des siècles pour leurs enfants, des gouvernantes étrangères chargées de transmettre à ceux-ci leur langue maternelle. Elles ont en effet constaté depuis longtemps les bénéfices d’une immersion linguistique précoce. Le CNAL pense-t-il que seuls les riches puissent tirer profit de cette méthode pédagogique en refusant de laisser rentrer l’immersion dans le système public?
La laïcité est le garant du respect de chacun et non pas celui de la culture française. Cette dernière sera d’autant plus pratiquée qu’elle sera vécue comme composante enrichissante et non castratrice par les africains, polynésiens, bretons…
Diwan propose aux enfants un système de référence biculturel qui, comme l’écrit Samuel Roller*, doit permettre de relativiser sa propre culture, à commencer par la culture nationale, et résoudre le conflit des cultures par l’option pour un pluriculturalisme positif et assumé, source de stimulation réciproque des cultures et garant d’une réelle compréhension entre les peuples.
L’humanité est intéressante parce qu’elle est plurielle. Alors arrêtons d’imposer des références culturelles à des peuples qui n’ont pas attendu cela pour développer leur propre rapport au monde.
*Préface de ‘Biculturalisme, bilinguisme et éducation’, Chadly FITOURI
Reun Quiniou, Youn Tempéreau
Instituteurs à Brest
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