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Monsieur le Ministre

Février 2002

Monsieur le Ministre

 
Lorsque vous avez été nommé au ministère de l’Education nationale, je me suis enfin sentie soutenue par ma hiérarchie ! : depuis mes débuts d’institutrice, en 1970, je pratique la pédagogie Freinet dans ma classe.
 
Comme vous n’êtes pas sans le savoir, un des piliers de cette pédagogie se trouve être la place prépondérante accordée à l’art. Mes salles de classe ont donc toujours été très gaies de par les nombreuses productions artistiques des enfants, accrochées ça et là ! (et pas rien qu’aux murs…) Les enfants, à mon avis, réussissent mieux leurs études dans cette ambiance colorée qu’ils personnalisent au fil des jours.
 
C’est donc avec un grand soulagement que j’ai appris votre arrivée rue de Grenelle, Monsieur le Ministre ! Je suis moi-même installée depuis un an Boulevard Maurice, dans une école maternelle de quartier ancien, à Saint-Etienne. J’ai des élèves de moyenne et grande section. Mes collègues sont charmants, les parents d’élèves attentifs à ce qui se fait en classe. Je n’ai en rien changé mes pratiques, mais, encore une fois, votre nomination m’a confortée dans mes orientations pédagogiques.
 
Mon soulagement fut, hélas, de courte durée. Vendredi après-midi, dans la grande salle de motricité de l’école, nous faisions, les enfants et moi, devant les parents d’élèves, une démonstration du jeu de « parachute », lorsque fondit sur nous un groupe, que dis-je, un aréopage d’hommes cravatés ou en costumes de pompiers : la COMMISSION DE SECURITE !!! J’ai cru un instant que ces messieurs allaient interdire le jeu de parachute dans les écoles, mais il n’en fut rien : la toile de parachute est ignifugée. (Et nous ne sautions pas d’un Nord-Atlas, nous sommes restés au sol…)
 
Hélas, lorsque à la récréation, ma directrice me fit part des constatations de ladite Commission, je fus atterrée… Ma classe a travaillé sur les couleurs, cet hiver, et le couloir a été (et est encore) illuminé par les productions des enfants, installées au plafond. D’autre part, dans la salle de classe, deux vulgaires ficelles courent d’un mur à l’autre : c’est notre fil à étendre les collages en cours de séchage et les peintures grand format. Toutes sortes de créations enfantines, de recherches picturales (ou littéraires), y sont accrochées journellement, à l’aide de non moins vulgaires pinces à linge. (Vous n’imaginez peut-être pas l’espace nécessaire au séchage des peintures, collages et autres productions quotidienne d’une classe de 21 élèves ?) Je trouve pour ma part, cet étendage réjouissant pour les yeux.
 
(A propos d’espace, et sans quitter mon sujet de la Commission de sécurité scolaire, je me permets d’ouvrir une parenthèse : j’ai visité les salles de classe situées au vingt et unième étage de l’immeuble de la Cité radieuse imaginée et bâtie par l’architecte Le Corbusier, à Firminy. Cet espace conçu pour les enfants, plein de lumière et d’espace, vient d’être fermé par cette même commission, car il se trouve… à plus d’un mètre du sol.)
 
Et bien, pour en revenir à ma classe, JE DOIS DESINSTALLER, le plus vite possible, toutes ces productions. Pourtant, mes élèves, comme tous les autres élèves de la ville, ont visité le Musée d’Art moderne de Saint-Etienne. Ils ont vu un mobile de Calder, ils ont apprécié les grands collages de papier découpé et marouflé de Dubuffet, ont appris ce qu’est une installation d’artiste. Que faisons-nous, toute l’année, sinon installer nos productions du mieux que nous pouvons, dans l’espace et les locaux que nous avons ? Ce que des artistes font, ce qui est délibérément donné en exemple à tous les élèves de la ville, ce que les autres nations nous envient à travers ce musée prestigieux, un des joyaux de l’art contemporain français, serait interdit aux enfants ???
 
Certes, le papier brûle, comme l’ont fait remarquer si justement les pompiers, mais les écoles françaises ne sont pas encore totalement équipées d’ordinateurs pour remplacer ce support (non encore ignifugé). L’école de Tardy, en tout cas n’en a aucun, et la « machine » sur laquelle je vous écris se trouve dans ma chambre à coucher et m’appartient…
 
« Laissez brûler les p’tits papiers », disait Serge Gainsbourg dans la chanson que nous avons choisie dans le recueil envoyé par votre ministère. Le 21 juin, chanterons-nous les petits papiers en compagnie des parents d’élèves, dans une classe ordinaire, avec juste un peu de vie sur les murs, et rien qui pendouille au plafond ?
 
Dans l’espoir d’une réponse de votre ministère, m’indiquant les références du Décret interdisant l’accrochage de productions enfantines dans l’espace d’une salle de classe, je vous pris d’agréer, Monsieur le Ministre, mes sincères salutations.
 
L’institutrice, Françoise Robardet
(Lettre parue dans « Chantiers Pédagogiques de l’Est »)