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Porto-Alegre : forum mondial sur l'éducation

Dans :  Mouvements › mouvement Freinet › 
Mars 2002

 

Maria Teresa Rode, du CA de la Fédération Internationale des Mouvements d’Ecole Moderne (FIMEM), était présente à Porta Alegre en octobre 2001, lors du Forum sur l’Education. Nous reproduisons le texte de son intervention. 

La Fédération Internationale des Mouvements de l’Ecole Moderne, qui s’inspire des paroles et des écrits d’Elise et Célestin Freinet, a choisi d’être présente à ce rendez-vous plein de sens. Porto Alegre : lieu royal et symbolique dans lequel aux côtés d’autres mouvements, il est possible de penser à construire un monde meilleur.. 

La force du message de Freinet est dans sa conviction que la volonté d’apprendre et de savoir vient tout naturellement, sans contrainte, sans structures institutionnelles oppressives. 

Les maîtres sont ceux qui guident les apprentissages sans contraindre, sans endoctriner. La méthode naturelle comme méthode antiautoritaire et laïque a conquis son espace en faisant de la résistance dans plus de trente pays disséminés dans le monde, en Afrique, en Amérique Latine, en Asie (Japon). Les techniques Freinet se fondent sur une philosophie simple et profonde, celle de la valorisation du travail de chacun. Leur pratique implique une savante organisation de la complexité et l’idée que tout, même les plus petits gestes se connectent entre eux en un système plein de sens et que rien n’est gaspillé. 

On part d’un micro système : la classe, micro réalité sociale qui renvoie au monde extérieur et à ses règles. La classe coopérative, petite entreprise dans laquelle rien ne se perd et où les droits de l’individu rejoignent les droits du groupe. C’est un laboratoire de vie et de connaissance réciproque, par la découverte, la recherche, l’utilisation d’outils, la correspondance, le journal de classe, l’imprimerie.

Nous sommes ici, parce que nous pensons que la mondialisation pose des problèmes urgents étroitement liés à un développement équitable pour tous les habitants de la planète.

 

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 Instruction et développement

des peuples 

C’est autour des processus d’instruction et d’alphabétisation que se jouent le destin de nombreux peuples. 

·L’exclusion des sujets les plus faibles, et tout particulièrement celle des enfants au seuil de l’alphabétisation rend encore plus grave, le cercle infernal : faim, maladie, sous-développement, pauvreté, qui se propage jusqu’aux niveaux les plus hauts de la croissance économique générale et c’est un problème non seulement pour les pays pauvres, mais aussi pour l’humanité toute entière. 

·Rendre des pays dépendants de l’usage et de l’exportation de technologies inappropriées à fort impact environnemental, perpétue un circuit commercial dans lequel les pays en voie de développement, bien qu’ils détiennent les 3/4 des matières premières, subissent le chantage économique des multinationales, et leur environnement est soumis à un constant saccage au détriment de l’humanité toute entière. 

·Les limites des découvertes scientifiques et les possibles manipulations génétiques, nous mettent plus que jamais face à la question du savoir qui chemine parallèlement à celle de la survie et de l’exercice de la démocratie. 

·Les conflits dans le monde font appel à une conception rigide de l’identité et de l’appartenance, et le marché des armes alimente les oppositions entre les peuples, justement parce que cela joue sur la pauvreté, non seulement matérielle mais aussi culturelle.

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Pour un nouvel imaginaire des peuples

Pour une géographie des visages

et des jeux

 

La tragédie de New York qui nous a si profondément touchés et la guerre en cours nous imposent le devoir de remanier l’imaginaire collectif mondial, reconstruire des symboles qui donnent à tous la possibilité de les considérer comme sien et non comme des « forteresses ennemies à abattre ». Cela nécessite un important effort collectif au-delà des appartenances ethniques et religieuses.  

Il faut tout d’abord exiger le silence des armes et dire qu’il ne pourra être question de paix tant qu’il n’y aura pas de justice et qu’il n’y aura pas de justice si les règles du marché sont celles qui régissent les rapports entre les peuples. 

Que peut faire le peuple de Porto Alegre pour construire d’autres tours ou plus simplement d’autres maisons que ne pourraient attaquer des terroristes ? 

Que peut-il faire de plus  pour l’enfance oubliée que ce que l’UNICEF ou  d’autres organismes n’ont déjà fait ? 

Il est nécessaire de donner un visage crédible à l’espérance en montrant les liens que peuvent nouer les humains dans le monde et de combattre l’idée que l’unique moyen de rendre la justice soit de réveiller la mort en se sacrifiant ou en sacrifiant les autres, sacrifice après sacrifice pour étancher l’inextinguible soif de sang des divinités qui restent là à regarder.  

Depuis le 11 Septembre, le monde vit prisonnier des images de mort-spectacle entre réalité et retransmission télévisuelle. 

A quel futur peuvent penser les enfants si dans leurs yeux restent à tout jamais de telles impressions ? 

Comment se démine un territoire pour le sauver d’autres explosions  qui s’y  annoncent? 

C’est pourquoi, nous devons travailler sur les images mentales des jeunes avec lesquels nous sommes en contact quotidiennement. Nous devons leur offrir d’autres paysages intérieurs et la possibilité d’apercevoir des visages de tous les pays du monde, des visages qui sourient, les visages de ceux qui s’amusent et profitent des simples petites choses que la paix rend si précieuses. 

Il faut lancer une formidable offensive de lettres qui envahiront les écoles de tous les pays du monde et faire connaissance avec ce qui est lointain, ce qui est différent pour ne plus en avoir peur. Sur la vague de la pédagogie Freinet, Porto Alegre pourrait bien se transformer en un gigantesque bureau de tri postal pour jumeler même les classes des villages les plus perdus. 

L’éducation n’est pas à vendre 

C’est le sens du second message qu’il nous semble opportun de lancer en tant que FIMEM. A la prolifération des entreprises et des universités qui fabriquent du savoir de manière plus ou moins virtuelle et réduisent toujours plus le cercle de ceux qui peuvent y accéder, nous opposons l’idée d’une école de base pour tous, une école publique et de qualité, capable de fournir les abécédaires nécessaires et les structures cognitives qui sont à la base de l’acquisition du droit à la citoyenneté sans distinction de sexe, de race ou de fortune. 

Rappelons-nous que l’Amérique du Nord a déjà lancé son premier marché de l’éducation à Vancouver en Mai 2000. 

La pression pour faire coïncider instruction et domination du multimédia est toujours plus forte et ceci peut devenir le nouvel obstacle qui augmente l’inégalité des chances d’accès à l’alphabétisation de base et les inégalités sociales tout court. 

Si l’école et le système scolaire laissent accréditer cette illusion productiviste, en recourant à l’idée de la capitalisation des biens immatériels, les différences ne feront qu’augmenter même dans les pays les plus hautement industrialisés, en ne résolvant pas le problème de l’élévation globale du niveau culturel. 

L’expérience de scolarisation des USA, si divisée  entre quartiers chics et quartiers pauvres, entre universités et lycées, si rétive à se soumettre à la moindre évaluation par crainte d’en sortir mal en point, en est l’exemple le plus frappant. 

Une véritable réflexion sur ces résultats nous convainc encore plus que l’instruction doit être fondée sur la sauvegarde et le partage des « biens communs », que sont la connaissance et le savoir qu’on ne peut réduire à des catégories standardisées ou à des modèles culturels uniques. 

Chaque peuple a le devoir de sauver sa propre culture mais sans en faire une barrière à dresser contre les autres peuples. 

Cette voie pourrait nous conduire à un développement mondial économiquement solidaire, efficace sur le plan social et politiquement démocratique. Ceci augmenterait l’idée d’une économie coopérative attentive à la promotion d’un bien-être mondial pour la défense du droit à la vie.

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Quel dialogue entre le Forum

et les institutions politiques

 

En tant que FIMEM, nous proposons que le peuple de Porto Alegre devienne un laboratoire et un observatoire permanent du monde de la formation et de l’instruction en exigeant le maintien des engagements pris par les organismes politiques dans leurs résolutions sur le thème de l’instruction.  

Rappelons-nous par exemple que le Parlement européen a approuvé le 13 Avril  2000, la résolution B5-355/00/COMP sur le « Forum mondial pour l’éducation ».

 

La conférence de Dakar 

A la Conférence de Dakar au Sénégal (Avril 2000) a été présentée l’évaluation la plus complète jamais entreprise dans le monde en matière d’instruction de base. 

Précédée d’une série de conférences régionales préparatoires pour analyser les données en provenance des différents pays, la conférence a offert un panorama plutôt contrasté de l’instruction minimum dans le monde : selon certains experts,  les années 90 - Instruction pour tous, ironie du slogan !-  ont traversé une crise éducative, avec bien 113 millions d’enfants non scolarisés, une lourde discrimination envers les filles, presque un million d’adultes analphabètes, des écoles en mauvais état et une pénurie d’enseignants qualifiés et de matériel didactique. 

En regard, un fait positif, l’augmentation du nombre absolu des enfants scolarisés, de 599 millions en 1990 à 681 en 1998, ce qui a signifié une première scolarisation pour certains. 

Mais les disparités qualitatives sont considérables, d’un côté des systèmes éducatifs rigides et fossilisés, loin des exigences réelles des enfants et des adolescents, de l’autre, un florilège d’initiatives disparates, visant à adapter l’instruction aux besoins locaux et à apporter aux populations marginalisées, formation et compétences de bases à utiliser principalement comme activités génératrices de revenu. 

Construire un réseau de projets

et de présences

 

Des défis formidables nous attendent : 

Comment éduquer les millions d’orphelin du sida ?

Comment garantir l’accès à l’instruction à des millions de réfugiés ?

Comment mettre les nouvelles technologies au service de l’école ? 

Parmi tous ces défis, le plus important, du fait que 700 millions de personnes vivent dans 44 pays fortement endettés est : comment faire pour que l’instruction puisse vraiment contribuer à l’élimination de la pauvreté et donner enfin aux enfants la possibilité de se réaliser pleinement ? 

A l’aube du nouveau millénaire, est peut-être enfin arrivé le moment de redessiner les stratégies éducatives pour gérer l’héritage, pas toujours positif, des années 90.

 

Petite enfance et adolescence :

une génération perdue ?

 

La pauvreté est ennemie de l’instruction, elle-même aux racines de la pauvreté lorsqu’elle vient à manquer, en un mouvement perpétuel qui ne laisse aucune espérance. L’instruction est le meilleur moyen, souvent l’unique, pour que l’enfant puisse briser la spirale descendante de la privation. Ils sont aujourd’hui 113 millions d’enfants non scolarisés, dont 100 millions dans les pays en voie de développement, la majorité d’entre eux étant des filles. 

Un épais enchevêtrement de facteurs socioculturels, économiques et géographiques, exclut les enfants de l’instruction, les écoles excluent lorsqu’elles refusent de collaborer avec les parents, la bureaucratie exclut en ne soutenant pas correctement les enseignants, catégorie sous payée dans pratiquement tous les pays du monde, et l’état exclut parce que sa politique ne tient pas compte de manière suffisante des besoins réels des enfants. 

La majeure partie des états est soit lente, soit peu encline à donner une instruction non formelle. Ce sont le plus souvent les ONG qui garantissent l’instruction aux enfants en situation difficile.

 

L’école entre travail et chômage

les projets sociaux

 

Ils sont plus d’un milliard les jeunes entre 15 et 24 ans qui risquent l’exclusion sociale et leur nombre est destiné à augmenter. 

Il s’agit d’un phénomène en grande partie occulté parce que l’on manque de chiffres précis sur le sujet, mais leur nombre est en augmentation et pas seulement dans les pays en voie de développement. 

A Dakar, l’Organisation Internationale du Travail a déclaré que le chômage et l’exclusion sociale des jeunes ont atteint des niveaux intolérables dans les principaux pays industrialisés. En France, on les appelle la « Génération salle d’attente », environ un jeune sur quatre est sans travail.. 

Ces dernières années, sont apparues de nouvelles solutions pour combattre l’exclusion des jeunes. En Grande Bretagne, un projet de l’ONG Voluntary Service Overseas confie aux jeunes marginalisés des projets d’aide aux pays en voie de développement. Après une brève formation sur le thème de la coopération, ils partent six mois sur le terrain. 

Le résultat : l’acquisition de compétences, une expérience de vie et une confiance en soi renouvelée.

 

De Dakar à Porto Alegre

 

Les mille projets de Dakar doivent trouver un écho ici à Porto Alegre, et si Dakar a représenté un moment institutionnel, ici le peuple de Porto Alegre peut constituer un réseau capable de surveiller ces projets et cette volonté politique pour que rien ne soit oublié ni gaspillé.

 

La qualité et la formation

des enseignants

 

Pour une école capable de promouvoir la coopération et capable de sortir de sa rigidité, il faut un corps d’enseignants bien préparés. 

Les projets s’enlisent souvent non seulement par manque de fonds, mais aussi par manque de personnel prêt à les gérer et à les coordonner. 

La diffusion de la Pédagogie Freinet par l’auto formation au cours d’ateliers dans lesquels les enseignants expérimentent collectivement des parcours didactiques, montre ainsi sa capacité à se projeter dans une réflexion collective sur la manière dont se construisent les savoirs en partant de soi et de la capacité de chacun à réfléchir sur l’expérience du groupe comme espace possible d’apprentissage dans lequel la relation et l’émotion sont aussi importants que les contenus et les techniques que l’on y acquiert 

Pour la FIMEM   

Maria Teresa Roda  

(traduction Sylvie Clerc)