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L’art enfantin est un art d'atelier

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L’art enfantin est un art d'atelier

 

Un milieu qui encourage à créer, à regarder autrement et qui permet l’éducation mutuelle. Comment ?


Quelques aspects de ce milieu qui font de l’art enfantin un « art d’atelier »:
- Un climat rassurant
- Un climat d’échange et de construction mutuelle des savoirs
- La part du maître pour encourager la pratique créative singulière
- Un milieu riche, grâce à l’ancrage culturel
- Un milieu qui donne accès à des modes d’expression diversifiés

 

Un climat rassurant

*où règne l’entraide
Le milieu communautaire à caractère coopératif, par la présence des autres élèves, par l’existence de projets collectifs, par le fonctionnement coopératif qui permet à chacun d’avoir une juste place dans le groupe et dans le milieu, vient tout d’abord nourrir le désir de créer, pour répondre aux exigences du moment, pour se plonger dans de nouvelles expériences, et rend ensuite à la fois possible et nécessaire l’instauration d’une relation d’aide mutuelle en cas de difficulté (pour trouver des idées, des solutions techniques, etc.).

*L’organisation coopérative permet aussi d’apprendre à respecter les productions et les personnes et d’accueillir chaque expression sans hiérarchie.
Pour que l'enfant prenne, à travers le geste, conscience de ses pouvoirs d'expression, et les épanouisse, il faut que ce geste soit accueilli et valorisé par le milieu social.
On s’interdit de porter des jugements dépréciatifs, de se moquer, la parole de chacun est accueillie de manière bienveillante.
Elise Freinet nous dit : « pas de hiérarchie entre les œuvres d’enfants (…) il n’y a que le témoignage de façons différentes de la même liberté et de la même humanité » (cf. L'enfant artiste, 1963).

Bref, un climat de confiance qui permet de socialiser l’œuvre personnelle. L’enfant présente ses travaux à la classe qui l’écoute et devant laquelle il « fait parler » sa production ; de cette rencontre naissent des échanges au sein de la classe.

Un climat d’échange et de construction mutuelle des savoirs

Selon Madeleine PORQUET : «(…) Nous voyons la classe comme un carrefour, un lieu d'échanges, de recherches, de mises au point. »

Citons quelques pratiques actuelles

• Des échanges ont lieu au sein de la classe, à différents moments de la démarche

- avant de se mettre au travail : comment se donner envie de faire, se mettre en projet ?
Comment se donner des idées ?
Constituer un référent commun, inciter à la recherche en reprécisant aux enfants qu’ils peuvent se tromper, recommencer.

- pendant l’atelier :
favoriser les «relances» en s’arrêtant, en regardant son travail et celui des autres, l’adulte veillant à privilégier la divergence, à favoriser l’entraide, la coopération : échanges de savoirs, de savoir-faire…

- après l’atelier :
- proposer un temps de bilan collectif ou de petit groupe où chacun peut présenter ce qu’il a réalisé, faire part de sa démarche, dire ce qui a été facile ou difficile … dire ce qu’il a appris.
- échanger pour faire le point sur ce qui a été fait, ce qui reste à faire, mutualiser les idées, les procédés, etc.,  prendre conscience de l’écart possible entre l’intention de départ et la réalisation … en tirer parti.


• Il y a aussi d’autres moments privilégiés pour favoriser les échanges :
Une présentation à l’extérieur :
Aux autres classes, aux familles, aux correspondants, dans une revue "L’art Enfantin" puis aujourd’hui "CréAtions". Présentation d’une œuvre, d’une exposition, d’une rencontre avec un artiste, ou encore lors de débats : par exemple sur "le beau, le laid", "Qu’est-ce que l’art ?", etc.
• Les élèves échangent et apprennent en donnant à voir :
Ils peuvent décider de ce que deviendra leur production : la garder en classe, l’emporter à la maison, la montrer à d’autres …
Certaines productions (essais de techniques, recherches gestuelles …) peuvent être « recadrées » par l’enfant qui choisit et détoure les fragments qui lui « plaisent » et/ou qui font sens comme autant de référents personnels d’une expérience. Ces fragments peuvent être archivés (cahier de vie, portfolio personnel, affichage), compléter le répertoire commun à la classe librement consultable lors des ateliers.

Par la médiatisation des productions, l’élève prend aussi conscience des enjeux de l’exposition. La présentation, souvent, donne ou accentue le sens :

*Pourquoi donner à voir? Quelles fonctions donne-t-on à «l’accrochage»?
Par exemple: pour valoriser les enfants, pour mettre en évidence la diversité des « réponses » ou pour rendre explicite une démarche pour ceux qui n’ont pas expérimenté,etc.
* Que donner à voir?
À quelle hauteur? pour quel public?

Varier les modalités de présentation en prenant en compte l’espace et les supports Mettre à disposition des accessoires permettant de voir autrement
*Rendre les enfants acteurs du projet de présentation 
Par exemple: confier à un petit groupe la présentation d’une série de productions puis après quelques temps nouvel «accrochage» des mêmes réalisations par un autre groupe.


La part du maître pour encourager la pratique créative singulière

Elise Freinet ne donne pas de directives qui supporteraient une orientation déterminée de l’Art, mais plutôt quelques suggestions pour libérer l’expression des enfants, habitués à reproduire le moulin à café et le chapeau du directeur
Ces conseils restent valables en pédagogie du dessin libre aujourd’hui.

Elise Freinet propose au maître par exemple  de traquer :
Le détail original qui est l’antithèse et l’antidote du pompier et des stéréotypes
C’est-à-dire l’inédit, l’inattendu, le "pas comme les autres", "la facture personnelle, l’originalité des graphismes, le rythme d’ensemble dans le trait et la couleur, les caractéristiques des éléments, le style propre de l’élève Le signe d’exigences affectives révélatrices des individualités, nous renseigne sur la nature profonde de l’enfant, un guide pour l’éducateur". (...)
"En maternelle, l’originalité vient de la maladresse manuelle, mais la maladresse n’explique pas des caractéristiques qui se répètent, se renforcent jusqu’à jouer le rôle de symbole. A préserver et non à corriger." (cf. L'enfant artiste, Elise Freinet, 1963).

Pour mettre en valeur le détail original, on peut le reproduire, le mettre en couleur, etc.
Même une maladresse peut être point de départ de l’originalité. Le hasard et l’imprévu peuvent être une composante artistique.


Un autre moyen : la figure décorative
« Inventer, ordonner, embellir, ouvrir les ailes à la fantaisie, faire plus beau que nature. Sans tomber dans la décoration géométrique (condamné par le IO), mais inventer réellement des décorations »
Encourager l’écriture personnelle, c’est traquer et valoriser « le détail décoratif qui enrichit le sujet en rappelant la réalité, même de façon évasive »
On sent, dans les suggestions que donne Elise Freinet de mettre en valeur le style personnel de l’élève l’importance du dessin présenté comme la voie royale pour cultiver la singularité et libérer l’expression.
Pour Elise Freinet, le dessin a un statut particulier (ancêtre de l’art : décoration des grottes préhistoriques).
Souvent, le dessin se suffit à lui-même : il comporte un sens complet, une signification générale et il contient déjà la marque de la personnalité.

Mais la couleur n’est pas pour autant abandonnée. Le dessin et la peinture s’épaulent, et vous trouverez dans L’enfant Artiste les développements d’Elise Freinet sur l’importance du graphisme et de son rapport avec la couleur

Finalement, au fond, pour Elise Freinet, « le plus important n’est ni le dessin ni la couleur »
"C’est une affaire de tempérament, une affaire de pure intuition".

Aujourd’hui, ces conseils ont été intégrés dans la pratique du dessin libre. Mais les modes d’expression s’étant diversifiés et multipliés, le graphisme n’occupe plus une place aussi centrale et décisive dans la création plastique des classes On continue en valorisant plutôt ce que l’on nomme les « trouvailles ».

 

Un milieu riche, nourricier grâce à l’ancrage culturel

L’ancrage culturel est nécessaire, il inscrit la pratique dans un champ artistique.
Il offre des référents de différentes cultures et de différentes époques. Il permet à l’élève d’enrichir ses recherches pour nourrir son projet personnel et ce faisant, de se constituer une culture artistique.

Impact de l'ancrage sur les productions
Dès les années 1950, cet ancrage existe et passe en particulier par la découverte des musées et la diffusion de reproductions d’œuvres de grands maîtres dans les écoles.
Mais, à la lumière des témoignages, on constate que les résultats ne sont pas toujours à la hauteur des attentes des enseignants. Certains se plaignent de la pauvreté des travaux de leurs élèves; d’autres constatent comme Paul Le Bohec, en 1964, que « la production des écoles, considérées sur plusieurs années », peut révéler des « époques de création » et même « un style de classe ».
Il s’interroge sur ce qu’il appelle l’« esprit d’école », tente d’en analyser les causes : uniformité des âges dans une même classe, même niveau de maturité, possibilités équivalentes, instinct d’imitation naturel chez l’enfant, mais surtout l’influence du maître dont « L'étroitesse d'esprit comme la générosité du maître se manifestent dans les outils qu'il offre, la place qu'il donne, le temps qu'il permet et les genres qui lui plaisent. »
Les enseignants Freinet, pour garantir la liberté et la singularité de l’expression artistique de l’élève, cherchent des solutions et vont tout d’abord dynamiser les échanges au sein de l’atelier et de la classe, comme nous venons de le voir, mais aussi repenser les modalités de l’ancrage culturel aux différents moments du processus créateur, diversifier les techniques.

De toute évidence, il ne suffit pas d’afficher de belles reproductions pour nourrir l’expression des élèves ou de lâcher les élèves, comme pour un chemin de croix, dans les couloirs d’un musée.
Les praticiens comprennent qu’une œuvre d’art ou un document devient un réel référent culturel, lorsqu’il est :
- multiple et varié
- questionné par des regards fertiles et des échanges actifs
- mis en lien avec la pratique
- et avec les autres disciplines et autres modes d’expression.


• Au sujet de la relation aux œuvres originales
Soulignons que l’important nous parait d’offrir une multiplicité d’œuvres, de rencontrer l’art sous des formes diverses (peinture, photo, vidéo, sculpture, installation, dessin, performance etc.) et ainsi de se confronter à des langages et à des univers singuliers, ceux des artistes mais aussi ceux des enfants.

(cf Article complémentaire: Quelles relations favoriser entre l'élève et l'oeuvre originale?)


• Cet ancrage est possible avec une documentation riche et de qualité, des supports variés et adaptés à la situation
Par exemple:
- les livres et les revues de la BCD
- une banque d’images

Laurence Maurand : "(…). En écho avec l’expérimentation sensible et le regard sur les œuvres, l’apport d’autres références aiguise la curiosité, stimule l’imaginaire, et le désir de faire. D’un document à l’autre, chacun se familiarise avec des démarches qui, loin d’être modélisantes, autorisent une multiplicité de points de vue, aident à sortir des stéréotypes, mobilisent sens critique et réflexion et donnent envie, à nouveau, d’essayer, d’expérimenter, de faire. C’est tout un processus qui s’enclenche qui permet d’établir des relations entre des informations et des savoirs d’ordre différent, de définir de nouveaux projets d’expression, de continuer à expérimenter et à apprendre. » (cf. Article sur le Point Art de Limoges).


Ce qui compte c’est d’apprendre à voir le singulier
C’est voir qu’il existe au delà de la chose exacte « un univers supplémentaire » qui apporte une notion d’étrange, d’inédit qui débrayera l’imagination.
* Donner de l’importance aux détails qui plaisent dans les objets qui s’offrent à nous, au détriment de la simple ressemblance.
« Ces détails savoureux arrachent le motif à l’objectivité courante, banale »
(cf. L'enfant artiste, Elise Freinet, 1963).
Valoriser les images oniriques du monde
« Jeter à bas, comme Picasso, un réalisme étroit, autoritaire, déniant à l’exécutant toute opinion, tout sentiment. » (...) "Sans tomber dans le systématique, permettre qu’on chahute l’équilibre des choses, qu’on rompe avec la loi des proportions, qu’on fréquente le grotesque et le caricatural."
(cf. L'enfant artiste, Elise Freinet, 1963).

On sent ici la proximité de la pédagogie Freinet de l’époque avec l'Art Singulier mis à l’honneur par Dubuffet (Art Brut)

• Cet ancrage est possible avec les échanges
- Dans la classe: par exemple avec le recours au dispositif de la boîte à surprise,
- et hors de la classe: "en offrant toutes les possibilités d'élargir son horizon " : En 1950, on évoque déjà les échanges interscolaires, les fêtes, les expositions, les musées, etc. Progressivement, ces échanges se sont encore diversifiés : rencontre d’artistes locaux, partenariat avec des associations, visite d’expositions et de musées, exposition parallèle de travaux d’élèves et de travaux d’artistes, projets de créations communs à différents établissements, participation à la revue CréAtions avec la rubrique « carte blanche », artothèques mobiles entre les écoles, etc.

• L’ancrage culturel intervient aux différents moments du processus artistique, au début, au milieu et à la fin.
Par exemple, on peut entamer la séance par la présentation de quelque chose d’insolite, la lecture d’une histoire, pour que les enfants développent des images mentales, échauffent leur imaginaire comme par exemple avec un travail d’association d’idées, la recherche de champs sémantiques et symboliques à partir d’un mot, etc. Souvent, on montre les images d’une manière prématurée, on livre la magie d’une histoire. Il s’agit d’avoir une approche multiple en nourrissant l’imaginaire avant de pratiquer.


• L’ancrage culturel permet de combiner savoir et créativité, de tirer parti de la transversalité, en développant conjointement une approche rationnelle et une approche sensible, en créant des ponts entre les différents domaines d’apprentissage et les disciplines mais aussi entre les modes d’expression.
Entre les modes d’expression déjà, car :
« Une même expression (…) peut trouver sa voie, à la fois dans le geste, le chant, le trait, l'objet créé et le texte dit ! N'oublie-t-on pas trop souvent, la musique créant l'ambiance sur la lecture d'un poème, la danse autour d'une sculpture, le décor peint pour l'action dramatique ? » Lise Brunet

Le rôle de la verbalisation est très important :

- par la verbalisation, l’enfant, surtout chez les plus jeunes, complète le message qu’il nous livre, la langue orale vient étayer l’expression plastique et nous devons, comme le dit Elise Freinet, « laisser parler l'enfant. Bavardages! Etrangers, en apparence, au dessin et qui en constituent l'âme ».

- L’oral et l’écrit sont importants pour structurer les savoirs :
Par l’écriture, l’enfant apprend à objectiver sa démarche à la fois de créateur et de spectateur pour laisser une trace dans son carnet de bord, pour faire un compte-rendu dans le journal de la classe ou sur le site de l’école.

Dans les années 50, les enfants publient surtout leurs créations (dessins, poème), aujourd’hui, de plus en plus, ils présentent aussi leur démarche de création, racontent leur cheminement, individuel ou collectif, retracent les étapes parcourues, précisent les étapes futures, constatent les effets produits, L’écrit vient développer le regard critique de l’enfant. Le dispositif du carnet de bord est très intéressant à ce titre, mais pas seulement (cf dossier spécial carnet de bord de la revue en ligne créAtions).


Enfin, un art d’atelier qui cherche toujours à élargir les champs du possible de la création

En particulier par l’accès à des modes d’expression diversifiés
, Sans oublier de diversifier et de multiplier également les outils, les supports.

Pour Paul Le Bohec: « Chaque technique permet une progression dans un seul secteur de l'éventail maximum des possibilités de création. Se limiter à une technique, c'est limiter la progression. Les techniques sont variées au maximum. »

• Souci d’actualiser les techniques
Depuis le début du mouvement, les enseignants Freinet, par ce souci permanent qu’ils avaient de leur rôle de passeur de culture, sont restés en prise avec l’actualité aussi bien technologique, scientifique, qu’artistique et en ont fait bénéficier les classes.
En 1950, la pédagogie du dessin et de la peinture, modes d’expression dominants à l'école, est principalement influencée par les conceptions d’Elise Freinet, qui était elle-même artiste et très marquée par les maîtres de l’Art Moderne. Les enfants travaillent aussi déjà le modelage, la sculpture, la gravure (sans doute grâce à la présence généralisée de l’imprimerie), la broderie et le tissage.
Progressivement, entre 1960 et 1990, l’art pictural se développe avec la multiplication des outils offerts aux élèves et des techniques comme la sérigraphie par exemple. Mais les enfants fréquentent plus que jamais la céramique, le plâtre, le ciment, le fer, la technique de la broderie, celle de la tapisserie, on aborde très tôt la photographie, le cinéma d'amateur, l'animation, les marionnettes, la danse... etc. et dans l’ensemble, on voit que les pédagogues Freinet n’ont pas cessé de développer les explorations techniques qui déconditionnent, en s’appuyant sur les moyens offerts par le milieu. Et ils ont su transmettre à leurs successeurs cette curiosité à l’égard des nouvelles technologies et des modes contemporains d’expression.

Aujourd’hui, sous l’influence de l’art contemporain (en arts visuels, en danse, en architecture, en stylisme, etc.) et celle des nouvelles technologies, il faut ajouter le traitement de l’image numérique, les installations in situ, etc. Le dessin libre est très pratiqué aujourd’hui dans toutes les classes de type Freinet.
Ces influences extérieures ne sont pas restées sans impact sur les productions des élèves.
Le dessin et la peinture, donnent lieu à des productions d’élèves très différentes selon les époques : influences de l’Art moderne avec l’abandon des codes de la perspective par exemple, influences du mouvement abstrait avec des peintres comme Pollock aussi, qui vont orienter l’expression dans les classes en accordant plus ou autant d’importance au geste et à la matière qu’au trait, à la ligne ou au figuratif. A noter qu’au départ de leur parcours, les enfants sont souvent du côté de l'art concret, c'est à dire qu'ils aiment mettre des couleurs ensemble, jouer avec les matières, biffer, marquer leur empreinte, laisser leur signature, leur écriture palimpseste qui se construit, s’efface tout en laissant des traces et qui les confronte à la marche de la vie.... l’enfant crée des formes pour qu'elles se mesurent entre-elles (par contrastes), la figuration vient souvent bien après.
Dans le domaine des images fixes comme celui des images mobiles, en musique également, le mouvement, le hasard, l’éphémère et l’inachevé prennent une dimension esthétique de plus en plus reconnue à l’école.

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Vers table ronde