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La première gorgée d'école

Avril 2002

 

Il est 7 h 30, comme tous les matins.

 

Les premiers rayons affleurent au sommet du Puech. Juste en face de la fenêtre que je viens d’ouvrir.

Le Puech, c’est une petite colline bien boisée, bien ronde. Toute agréable de rondeurs. Un téton, au matin, que le soleil rhabille. Faut dire que ma fenêtre est un peu voyeuse. Conçue pour être vue, mais aussi pour bien voir. Vestige d’une espèce en voie de disparition : la fenêtre d’instit-qui-habite-l’école. La classe unique en bas, le logement au-dessus.

Donc, à 7 h 30, au premier étage de l’école, ma fenêtre est ouverte.

Le Puech, je le connais par cœur. C’est la vue grand écran sur le village, quand on y monte avec fusain, feutre ou crayon à papier. Juste pour dessiner. Et puis au loin, les dents bleuies des Pyrénées, en toute majesté. Le Puech, c’est parfois notre parcours d’orientation, bataillant aux boussoles, parmi les châtaigniers, les chênes et les genévriers. C’est aussi notre géographie, d’où l’on peut voir d’en haut l’imbrication complice entre des hommes et un pays. Avec dame Garonne, en guise de jalon. Le Puech, c’est l’inévitable Vierge du sommet, avec les palombières à quelques pas de là. C’est enfin les rigolades du retour, pour les dégringoleurs de pente. Cueillettes, dessins, cartographies et autres trouvailles ne sont pas assurés d’arriver jusqu’en bas. Jusqu’à la classe.

C’est le Puech que je vois en ouvrant ma fenêtre.

Une cloche placide annonce la demie. L’église, au pied du mamelon. C’est un bout de l’Histoire. Nous avons exploré, la semaine dernière, les rares traces de la commanderie des Templiers, dont l’église était la chapelle. Imaginant l’ancien château, supputant, comparant, vieux plans et plan cadastral. XII° siècle, on examine le Moyen Age de près. On y marche dessus, on le mesure, on l’analyse, on le revit. Faudra d’ailleurs y retourner, cette semaine. Prendre les photos des vestiges qu’on a repérés, pour l’album. On avait oublié l’appareil, la dernière fois… Il n’est pas sûr que nous aurons le temps, cette semaine.

Ma fenêtre est une baie, bien plus large que sa taille.

Doucement, bonhomme, il n’est que 7 h 35 et tu ne sais pas encore ce que sera ce lundi, dans ta classe…

Plus près, le court de tennis. Adossé aux maisons de l’entour du clocher. Tennis, un groupe à chaque récré, deux contre deux, le court n’est qu’à 60 mètres de l’école. Mais ils sont 27, cette année, le tour ne revient pas assez vite. Alors il y a ce projet, dans la cour. Un jeu qu’ils ont inventé, tennis-ball. Deux équipes de quatre avec une balle en mousse. Et on tourne comme au volley-ball. Ca double le nombre de participants. Bon, faut prévoir une équipe de mesureurs et de surfaceurs pour partager la cour… Plan, dessin, traçage, règles du jeu pour les corres…

Entre le tennis et l’école, une pelouse. Bichonnée par l’employé municipal. Plantée de quelques conifères et de buissons taillés, propice en septembre à la pousse des champignons. Tous plus toxiques les uns que les autres, mais si beaux lors de l’exposition sous le préau…

7 h 45. De l’autre côté de la route, mes anciens élèves attendent le bus pour le collège. A quelques mètres du vieux portail qui enferme la cour. On s’est dit bonjour par la fenêtre. Cette cour qu’ils connaissent bien, mi-goudronnée, mi-pelousée, deux poiriers, un prunier et le bac à sable qu’ils avaient transformé en piscine, à chaque fin juin. Ils ne vont plus la reconnaître, bientôt. On y a suspendu nichoirs et morceaux de gras, cet hiver. On espère bientôt avoir des couvées de mésanges… Et puis ce projet en cours, peindre des jeux sur le goudron, marelle, escargot et autres… Pas n’importe où ni n’importe comment. Va falloir mesurer, dessiner à l’échelle, raconter pourquoi…

Et puis Roki, le chien de l’école, qui depuis un quart d’heure accueille les premiers arrivants. De 7 h 30 à plus de 18 h. Presque 11 h dans l’enceinte de l’école. Eh oui, c’est pas plus rose en rural que dans la banlieusade, pour certains mômes de 8 à 10 ans. Pourquoi les obliger alors aux manuels, quand les savoirs s’étalent autour de nous ?

Ma fenêtre est ouverte et la classe commence dans un peu plus d’une heure. J’y serai bien avant, juste un escalier à descendre.

Et mon « travail d’instit » se déploie sous mes yeux, dans le soleil naissant de ma fenêtre ouverte.

Je me souviens du temps où les préparations étaient le principal de mon « travail d’instit ». Conditionné, j’étais. IUFM, inspecteurs, conférences ou autres CPC. C’était du temps où ma fenêtre était fermée.

Ma première gorgée d’école, je l’ai bue en ouvrant les battants.