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On a écrit un article pour le quotidien local

Dans :  Français › Techniques pédagogiques › 
Mai 2002

 

Une réaction en chaîne ou comment une activité de classe presque scolaire peut déboucher sur un projet de plus grande envergure. Récit par le professeur de français.

Reconstitution du crime !  

Deuxième quinzaine d'octobre 

Les 3e B tiennent un "Journal de Bord" : on prépare l'étude de l'autobiographie (mon choix pour la lecture parallèle : Vallès, l'Enfant).  

Consigne : pendant les 13 jours à venir, écrire au moins un paragraphe de  3 lignes chaque jour sur ce que l'on a vécu, de près ou de loin (on peut faire état d'une nouvelle "du dehors" si elle a marqué l'esprit ) ; je précise  que je ne demande en aucun cas un "Journal intime" évidemment.  

Objectif : au jour le jour, observer, raconter, expliquer - et peut-être, réagir, argumenter. Je ramasse les "Journaux" la veille des vacances. 

Rentrée des vacances de Toussaint :  

Je rends les "Journaux de Bord". Constat inquiet : sur 28 copies (soit 28 x 13 jours = 364 paragraphes minimum), un seul paragraphe évoque le conflit Israël / Palestine, qui a pris pourtant de une ampleur préoccupante fin octobre. Rien d'autre sur l'actualité. Mais comme une rengaine, le constat par les ados d'une vie repliée sur soi. Proposition : on va s'intéresser à l'actualité, via la Presse !  

J'ai dans ma manche en réserve une proposition de l'agence locale du Progrès (quotidien Rhône-Alpes à large diffusion) : chaque semaine, des élèves sont invités à y écrire un article de 2500 / 3000 signes sur un sujet à leur convenance, parution à programmer ; ils peuvent rencontrer un journaliste auparavant.  La proposition reçoit un bon accueil. 

Je prends contact. Rendez-vous avec le journaliste le vendredi 1 décembre, en classe. 

Dernière semaine de novembre 

Des élèves volontaires achètent le Progrès avant de venir en cours, choisissent 3 (ou 4) articles à la Une, observent la mise en page, le sujet, et la place prise par l'article en pages intérieures. Joli exercice d'improvisation ! Au moment de la présentation, je fais observer quelques banalités (pour moi ?) sur la qualité éphémères de l'info, même dans un quotidien, vite jeté. Des idées émergent : quels sujets sont privilégiés en Une ? Notion de rapport de proximité... Problèmes de survie financière… 

Je propose aux élèves de ne pas oublier les questions qu'ils soulèvent : ils en auront besoin le vendredi. 

Jeudi, j'apporte 2 articles de faits-divers de l'été (donc "périmés") ; on étudie les connecteurs dans les phrases (c'était dans mon planning !) et par la même occasion, une série d'observations émerge sur le style, la construction des phrases, la rareté des liens logiques, l'organisation chronologique, et le rapport récit / style direct). Idée géniale !... car, le vendredi, le journaliste donne une série de conseils d'écriture "pour faire vivant", et je "bois du petit lait" : consignes sur le choix des temps (passé composé + présent de narration), sur la connection des phrases, sur l'emploi du style direct... Mince, ce qu'on vient d'étudier, ça importe aussi au journaliste ! 

Vendredi 1 décembre  

Le rendez-vous a été fixé pour la deuxième heure. Auparavant, on écoute un exposé normalement programmé à cette heure, puis les volontaires du jour s'apprêtent à faire leur "Revue des articles de la Une", comme leurs copains des jours précédents. L'invité se pointe, en avance : panique !

Jeune, le journaliste (également directeur de l'agence locale).  

La revue des articles se fait pourtant, d'une voix chevrotante, mais ça fonctionne ; notre professionnel est surpris par les points de vue ; la discussion enchaîne : pourquoi tant de place donnée en Une à l'accident du camion ? (+ 25 % de ventes prévues sur les communes concernées !). Des élèves sortent leur liste de questions : ciel, je n'avais pas osé le leur demander, de crainte de figer les spontanéités !!! Ça roule !  

Questions sur la langue de bois de la Presse, réponse "politiquement correcte" ; on passe poliment à la suite (mais après le départ du journaliste, les élèves et moi en reparlerons, et on se mettra d'accord sur ce que l'on a pensé de la réponse !). 

Ensuite, conseils sur l'art d'écrire un article (voir ci-dessus), et photo. Sujet retenu pour l'article : un bilan sur l'expérience (en cours) de recherche d'un stage pour la semaine précédant Noël. 

Mardi 5 décembre 

Chaque élève rédige un témoignage de 8 lignes sur sa recherche de stage. Je récupère à la fin de l'heure, corrige vite-vite, constitue des groupes selon les thèmes qui ressortent (ici, je retiens 2 axes : recherche auprès de la famille proche, auprès de relations, ou à l'aveugle sur le seul critère professionnel - et gradation des difficultés dans la recherche). Ça fait 5 groupes. Pour 5 paragraphes successifs dans l'article. 

Jeudi  7 décembre 

Cours de 11 h 30 à 12 h 30, je squatte la salle de permanence (une grande salle : impossible de travailler en grands groupes dans ma classe, on se monte dessus !) : j'explique à chacun des 5 groupes ce qui les réunit, dans quel ordre je propose de distribuer les écrits dans l'article, je propose un point fort pour chacun, et je demande à chaque groupe de se choisir un donneur de parole et un "secrétaire" : ils travaillent comme des anges ! A la fin de l'heure, j'ai 5 textes (dont l'un a déjà beaucoup approché le fameux style journalistique" ). 12 h 30. Aidée d'élèves, je tape les textes sur ordinateurs, je les corrige, je note les redites d'un groupe à l'autre, et j'imprime en plusieurs exemplaires. 

Vendredi 8 décembre 

Les groupes se reforment. Lecture des 5 textes dans l'ordre prévu : on "sent bien" ce qui se répète, et les textes où le style "passe" mieux que dans d'autres. Négociations faciles. Retour à l'écriture par groupes ; remise au propre (ça va vite).  

Puis on cherche des titres possibles tous ensemble ("brainstorming") : on sait que c'est le seul point que les journalistes contrôleront. 

A midi, avec quatre ou cinq élèves, lecture finale (miracle, le calibrage imposé est presque respecté !), petites coupes... Et c'est parti ! (par Internet). 

Parution  : vendredi 15 

Entre temps, je leur ai passé la vidéo que j'ai tournée, il y a peu d'années à l'imprimerie du Progrès  (quand c'était moins compliqué de sortir les élèves de nuit avec quelques parents), et... la vidéo de l'entretien avec le journaliste (j'avais posé mon caméscope au fond de la classe, derrière les élèves pendant sa visite !). On a donc pu reparler posément du moment de "langue de bois" du journaliste - concernant les nouvelles que la Presse occulte, celles qu'elle ressasse, ou celles qu'elle déforme...

 Annie Dhénin

Collège de Chazay

 

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Une semaine dans la peau d’un adulte

Au collège de Chazay, la plupart des élèves de 3ème ont cherché un stage d’une semaine  pour fin décembre. Ils découvriront ainsi  la vie d’une entreprise : témoignages. 

“ Comme d’autres d’élèves, j’ai choisi la facilité : la famille ” déclare Sandrine, qui avoue ne pas avoir eu de mal à trouver son stage… près de sa tante. Cela nous a tout de même demandé un minimum de démarches : il faut au moins rencontrer le patron afin de lui prouver la sincérité de nos motivations. (Reconnaissons que certains élèves ne désirent pas réellement faire ce stage ! ) Et puis, il n’y a pas toujours un rapport avec l’orientation à venir : “ Je fais mon stage dans le droit, par simple curiosité, pour comprendre certaines démarches juridiques . ” dit Déborah. Comme quoi la facilité n’ouvre pas  toujours sur la solution la plus simple.

Pour quelques-uns, le stage a donc été simple à trouver ! Manon : “ J’ai demandé à ma mère qui a demandé à mon cousin qui a demandé à un ami …”

 “ Moi, j’ai  laissé chercher les parents car je trouve que demander à une entreprise directement, ce n’est pas facile ! ” explique Alexandre. 

Une idée de notre métier futur 

Mais la plupart des élèves de notre classe ont cherché leur stage tout seuls (“ comme des grands ! ” dit Valérie).

Certains d’entre nous avons trouvé très rapidement (2 demandes en moyenne) : “ Nous nous sommes surtout adressés aux commerçants : peut-être que ce secteur peut accueillir plus de stagiaires ?” Nous avons été chanceux, car la plupart de nos camarades avaient certainement les mêmes objectifs que nous, et leurs recherches ont été plus longues et difficiles.

 “ En effet, ont-ils dit,  nous avons tous trouvé un stage dans l’artisanat ou le service, mais avec quelques difficultés pour certains : tout d’abord, les entreprises ne nous prennent pas toujours au sérieux à cause de notre âge, notre motivation ne leur paraît pas très convaincante.

Par ailleurs, durant la période de Noël, l’entreprise a moins de temps à nous consacrer, elle est parfois trop petite, ou manque de place ”.

Chloé : “ Quand je me suis présentée chez mon vétérinaire, il avait déjà accepté une stagiaire du collège ! Raté ! ”

Parfois, nos lettres sont restées sans réponse ; ou bien, on nous répondait que le stage était trop court… ou trop long ! Malgré tout, nous avons fini par trouver !

Lorsque nous avons un but précis, tout se complique . “ Je voulais un stage dans le Droit et j’ai failli baisser les bras devant tant de refus ”, témoigne Marine . Il a fallu accepter certaines contraintes (longs trajets…). Ça va, on est motivés ! Hélas, quelques-uns d’entre nous ont dû renoncer à leurs rêves.  “ J’ai dû me contenter de faire un stage moins passionnant que celui que j’avais prévu de faire ”.

Nous savons que pour l’entreprise, ce n’est pas toujours facile, de prendre un stagiaire, mais il faut qu’on sache que nous prenons notre orientation très au sérieux. Ce stage n’est pas une semaine de vacances, mais bien une aide à notre orientation future. “ Mon rêve a été réalisé : je fais mon stage dans une entreprise de reporter photographe ”, déclare Céline.

Comme quoi, la persévérance  gagne toujours ! 

La classe de 3B

 

Bilan 

D'abord, la qualité de ce travail d'équipe :

- oui, je suis assez contente de cet article, qui me semble assez bien témoigner d'une expérience sociale dans le tissu professionnel local (largement local). D'ailleurs, on mettra l'article sur le Site Internet (partie "Actualité bien sûr). Mais ce n'est pas l'essentiel (ce serait beaucoup de travail et de temps pour 3000 signes, après tout !) ; 

- il y a eu surtout une grande adaptabilité des élèves à diverses situations de contribution, avec des moments de travail individuel / en groupes / en groupe classe ;  

- il y a eu des élèves capables de s'impliquer, de négocier, de s'effacer (parce qu'il fallait laisser quelques lignes de plus à l'autre groupe !) ; 

- il y a eu des élèves soucieux de leurs lecteurs, et qui ont fait l'effort de comprendre ceux des patrons qui leur ont refusé un stage... poliment (même gentiment parfois, sur un ton désolé) ; et qui ont traité par l'humour ceux qui ont donné les (mauvaises) raisons les plus contradictoires ! ; 

- il y a eu des élèves aptes à entrer rapidement dans une règle du jeu (écrire autre chose qu'une rédaction - mais on avait déjà commencé !) ; 

- il y a eu des élèves capables de se donner des animateurs sans désigner des chefs... ou des porteurs de serviette ! ; 

- il n'y a pas eu de vedette, et on ne distinguait pas les "bons" élèves des "... ?" élèves  dans les groupes !   D'ailleurs, quand nous sommes passés très légitimement à l'évaluation notée de cette activité (pourquoi n'auraient-ils pas eu une note pour ce travail, à côté de toutes celles qui tombent dans le trimestre !), j'ai proposé une note globale (la même pour chaque groupe - à charge pour chacun dans les groupes de redistribuer éventuellement un 1/2 point (ou plus) de sa note à celui (ceux) qui avai(en)t le plus travaillé dans le groupe : ils ont tenu à garder tous la même note ; et ça m'a fait un énorme plaisir, car cela couronnait ce travail très solidaire, où chacun avait fait ce qu'il avait pu en toute bonne foi. 

Il y a eu une autre évaluation objective : l'arrivée d'un gros paquet de journaux en justificatifs, le jour où l'article est paru : chacun avait au moins un exemplaire et on a pu en distribuer, afficher l'article partout dans le collège... Très grande joie, réelle fierté des élèves - je n'aurais pas cru que cela leur ferait tant d'effet. 

Bon ! je ne vois pas pourquoi on ne recommencerait pas ! Mais pour l'heure... ils vont partir en stage.