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Savez-vous écrire "entonnoir" ?

Dans :  Français › Techniques pédagogiques › 
Mai 2002

 

Savez-vous écrire «ENTONNOIR» ?

 

Mes élèves ont depuis toujours du mal avec ce mot. Il résiste et reste l'objet d'orthographes très diversifiées. Pour résoudre ce problème, j’avais envie d’utiliser l'idée d’un tâtonnement expérimental...

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Mettre l’élève en état de recherche. Une question, des hypothèses, vérification, si on trouve on s’arrête là sinon on continue… 

Et on confronte sa version avec les autres, on en discute et puis on poursuit la recherche jusqu’à ce qu’une réponse satisfaisante soit trouvée. 

Cette méthode est-elle vraiment efficace pour l’acquisition d’un savoir ? Même si c’est indéniable, l’intérêt et la participation des élèves sont largement sollicité. 

Comment faire pour le vérifier ? (et facilement...) 

Voici donc la petite expérience que j’ai menée avec un échantillon de 29 élèves de 5e. Ceux-ci ont été partagés en deux groupes 14 et 15 élèves, dans chacun de ces groupes le niveau scolaire des élèves est globalement identique. 

1er groupe : la méthode que j’ai toujours utilisée 

Au cours de la leçon, je signale l’orthographe de ce mot en intervenant auprès de l’élève qui interrogé vient de se tromper. Après avoir effacé la faute, j’écris donc en majuscule  ENTONNOIR en gros sur le milieu du tableau, recommandant à chacun de le recopier avec une attention particulière et expliquant que ce mot est difficile, qu’il donne pas mal de fil à retordre, j’insiste, m’attarde, explique et finit par menacer qu’au prochain contrôle, il en coûtera un point de moins à tout élève qui l’écrira mal orthographié… et nous reprenons le fil de l’étude. 

2ème groupe  

Arrive le moment ou l’élève interrogé va écrire le mot, cette fois je laisse faire. Et pose malgré tout la question suivante en me dirigeant vers le tableau :  

« Êtes-vous d’accord avec cette orthographe ? Êtes vous sûrs ? » 

Évidemment des doigts se lèvent. Je note les propositions : 

ANTONNOIR (ce qu’a écrit l’élève interrogé)

ENTHONOIR

ENTONNOIRE

ENTONNOIR 

Les premières propositions sont sincères, pour les autres, il s’agit plutôt de trouver  une orthographe originale pour chacun des « sons » du mot… Peu importe, je note tout : 

ANTONOIR

ENTONOIRE

ANTONOIR

ENTONNOIRE  

Quelle est la bonne orthographe? Ils ne sont pas d’accord. On votera et chacun devra choisir (obligatoirement, il y a toujours des volontaires pour comparer le nombre de voix à celui des votants, toute abstention sera signalée…) 

Difficile quand on n’a pas «une petite idée». Quelques discussions s’engagent 

Alors on choisit en fonction de l’élève qui a proposé. Aurélie la très bonne élève a proposé ENTONNOIRE et Cyrille ENTONNOIR, mais Cyrille ne brille pas par ses résultats… 

On passe donc au vote : 

7 pour la proposition d’Aurélie,

2 pour Cyrille (lui et son copain ),

3 pour la version d’Arnaud interrogé,

Vanessa vote pour sa version avec un H sans convaincre personne,

Fabien sans trop y croire pour l’orthographe qu’il a proposée. 

C’est Romuald qui vérifiera dans le dictionnaire. Il est ravi de jouer ce rôle, lui le rebelle. 

Sa parole est attendue, il le sait (du coup, je me risque à lui dire qu’il a quelques progrès à faire en lecture, ...ouf…, ma remarque est passée sans qu’il en prenne ombrage…)                      

Contrairement à toute attente, Cyrille avait raison.  Ce n’est pas souvent que cela lui arrive…

Et le cours continue, sans menace ni recommandation… mais ils ont tous participé. 

Pour mesurer l’efficacité de chacune des deux méthodes, je décide le lendemain de demander à chacun d’eux et individuellement, en dehors de mon cours, d’écrire le mot sur un petit papier où j’ai indiqué leur nom et prénom (c’est pendant une sortie que nous faisons ensemble à l’Océanopolis de Brest…) : 

1er groupe 14 élèves

7 ont bien orthographié

7 mal

la moitié des élèves ne savent toujours pas écrire le mot. 

2eme groupe 15 élèves

13 ont bien orthographié

2 mal

et en écrivant le mot correctement, beaucoup disaient, « c’est Cyrille qui a trouvé »… comme si la personne de l’élève avait servi d’accroche à la mémorisation… 

Oui je sais qu’en toute rigueur scientifique cette petite expérience n’a pas valeur de loi généralisable. Mais tout de même les résultats parlent d’eux-mêmes. 

Et je ne peux m’empêcher de penser à tous ces débats qui secouent le monde enseignant où l’on voit s’affronter les tenants du savoir contre ceux du pédagogisme. Comme si l’un excluait l’autre. 

N’est-ce pas ici l’occasion (aussi petite soit-elle !) de pouvoir confirmer que l’acquisition d’un savoir est favorisée par une démarche pédagogique active. 

Alors n’hésitons plus un seul instant… Le collège a vraiment besoin de changer.

Martine Jouan-Prod’homme

Professeur de Sciences Physiques

au collège Jean Moulin

de Locminé dans le Morbihan

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