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Les chemins de l'expression et de la création

Octobre 2000

Que l’on prenne n’importe quel moyen de créativité, cela nous ouvre cette porte qui permet d’exprimer ce qu’on ressent, ce qu’on a envie de dire et de partager avec les autres. C’est ce qui nous nourrit et ce qui va nourrir les autres parce qu’on va l’offrir. C’est ça qui est beau !

 

Laurence Sémonin, a d’abord été institutrice dans le Doubs durant dix années, puis est devenue auteur comédienne (la Madeleine Proust - 3 nominations aux Molières 88-90-96). Après avoir écrit plusieurs nouvelles, elle vient de terminer son premier roman, le cris du milan, Editions J.-C. Lattès.

 

 

 

Le Nouvel Éducateur : Comment arrive l’envie d’écrire ? Comment rendre l’explosion possible ? Comment se passe le processus de création chez l’adulte ? Est-ce que c’est linéaire ?

 

Laurence Sémonin : Ca remonte à loin... déjà toute petite j’avais envie d’écrire des histoires, je les écrivais non pas à l’école parce qu’à l’école je n’avais pas la possibilité d’écrire ce que j’avais envie ; on n’avait que la rédaction avec sujet imposé. Aussi je me rappelle que pour mon premier texte libre, en CE1, j’ai découvert qu’en mettant des mots les uns après les autres je pouvais créer une histoire qui n’appartenait qu’à moi. C’était « Toto a vu les fesses de maman dans les WC ». De la grande littérature quoi ! (rires) Mais là, j’ai senti que je pouvais « inventer » quelque chose. Après, il y a 10 ans environ, j’ai eu l’envie d’écrire une histoire sur une vieille paysanne qui était morte, mais je m’apercevais que mon écriture était très classique, très conventionnelle, pas assez vivante. Ca ne me convenait pas, j’ai laissé tomber. J’ai attendu encore des années.

Et en 90, quand on m’a demandé d’écrire mon histoire de la Madeleine Proust, j’ai repris les notes de mon journal de tournées, et là, j’ai eu l’envie d’écrire l’histoire de mes grands-parents. Tout à coup, ce que j’avais à dire était vivant : c’était mon grand-père qui ramenait toutes ses bêtes qu’il avait tuées à la chasse et qu’il jetait sur la table... Il y avait là matière à décrire, avec des sensations, des sentiments que je voulais faire partager. C’était peut-être la première fois que je sentais qu’avec des mots j’allais pouvoir peindre ce que je ressentais.

Maintenant que je suis beaucoup plus centrée dans l’écriture, j’ai l’impression que je vois une image comme un peintre qui voudrait représenter ce qu’il ressent. C’est comme si je laissais les mots venir à moi pour pouvoir pétrir cette chose que j’ai envie de transmettre et de montrer aux autres. Et en même temps, c’est comme si j’écoutais « la voix des mots ». Prendre conscience qu’un sujet peut devenir vivant c’est comme si c’était lui qui se transformait plutôt que l’écrivain qui se contente de décrire.

 

Le Nouvel Éducateur : Tu es en train d’écrire un livre. Est-ce que tu écris un ou plusieurs livre ?

 

Laurence Sémonin : J’ai commencé à écrire un livre. Un ami m’avait parlé d’un concours de polar, et comme je connais bien le monde des oiseaux, et en particulier celui des rapaces, j’ai voulu raconter une histoire qui se passait dans le milieu des oiseaux. J’avais donc, au déaprt, besoin de bien connaître le sujet dont j’allais parler, j’ai beaucoup lu pour enrichir ma culture sur les oiseaux, puis j’ai cherché à savoir comment j’allais écrire l’histoire. Tout de suite, comme un flash, j’ai pensé qu’un milan royal allait raconter cette histoire. Comment allait-il s’exprimer ? J’ai décidé qu’il allait parler dans un style familier, avec de l’argot, comme un petit voyou, une canaille, un prince de la charogne. J’ai alors acheté des dictionnaires d’argot. Puis, parce qu’aime les descriptions lyriques, j’ai cherché à mêler les entiments, exprimés par le héros avec son langage, avec des moments poétiques où les éléments de la nature sont mis en action comme des êtres vivants.

Mais quand j’ai commencé le livre, je ne savais pas comment il allait finir.Durant l’écriture de ce livre, mon ami est parti retrouver les anges. C’est vrai que quand on écrit, on utilise des sensations personnelles, on invente pas toujours, souvent on va puiser dans notre mémoire, notre histoire. La mort de mon ami a certainement emmené mon roman vers une fin plus mystique. Le milan allait apprendre à ne pas se laisser submerger par ses souffrances, mais il allait découvrir que sa vie est à construire par soi-même. J’ai découvert que l’écriture c’était très physique. Quand je reste 10-14h à mon bureau, je fais de temps en temps des exercices d’assouplissement, j’essaie d’être vigilante à détendre mes épaules, mes bras, ma nuque, ma mâchoire tout en écrivant.

Quand j’ai voulu raconter la révolte des oiseaux, dans « le cri du milan », j’étais très angoissée. Pendant deux jours, je n’arrivais pas à m’asseoir à mon bureau. Je tournais en rond, je bouquinais, je regardais un documentaire enregistré à la télé, une boule au creux de l’estomac. Quand je me suis lancée, ça a jailli d’un seul trait. En six heures le chapitre était bouclé. Je suis tombée dans mon lit et j’ai dormi pendant 14 heures.

Je pense aussi aux incidences, aux répercussions de tous nos actes, de toutes nos pensées dans l’univers. Je l’ai constaté avec les oiseaux : Cet hiver-là, il y en a eu beaucoup plus que d’habitude qui venaient picorer sur le rebord de ma fenêtre. A la période des migrations, c’est devant mes fenêtres qu’une cinquantaine de milans royaux est venue répéter avant le grand départ. Et, pendant que je décrivais leur révolte, d’énormes nuages de corneilles sont venues tourner en rond, en braillant autour de ma maison. Impressionnant !

Mais avant tout dans l’acte d’écrire, je ressens une vraie jouissance, un immense plaisir dans une douceur de béatitude. Quand le roman a été terminé, je me suis sentie comme après un accouchement. Terriblement seule, désemparée, vidée, dépossédée (de quelque chose qui pourtant ne m’appartenait pas). Mais mon plus grand désir est d’être à nouveau disponible pour m’y remettre au plus vite, m’offrir à la musique des mots, à la voix des mots.

 

 

Le Nouvel Éducateur : Tu écris des livres, mais avant tu étais institutrice puis comédienne… Dans quelle mesure un autre mode d’expression aide-t-il la création par l ‘écriture ?

 

Laurence Sémonin : D’abord, je crois tout peut être source de création. Par exemple, on peut faire la vaisselle et en faire un moment où on est pleinement dans nos gestes et où l’on est uni à soi-même. Ca nous permet de nous ouvrir l’intuition. Et l’intuition ce n’est pas de l’ordre de la raison. C’est quelque chose qui nous rend disponible à recevoir des idées, à recevoir des mots et des images. Dans un second temps le fait même d’écrire régulièrement nous nourrit... « Remettre vingt fois l’ouvrage sur le métier ».

Si, dans ce que j’écris, la musique des mots, le rythme des mots me plaît, alors je n’y touche pas. Mais si je sens qu’il y a quelque chose de boiteux, qu’il faut changer un mot, reconstruire une phrase, je dois retravailler la phrase. Ce travail fait parti de la création. En plus je ne travaille pas à l’ordinateur : j’aime le mouvement de la main, la main qui écrit, qui raie, qui gribouille… je découpe, je rajoute, je scotche… c’est comme si ce travail artisanal venait encore nourrir mon inspiration.

Parfois quand je butte sur une phrase, je laisse de côté, en me disant d’y revenir plus tard. Je fais confiance. Et peut-être qu’en relisant tout depuis le début, et, arrivé à la phrase en question je vais être « dans ma musique », pour trouver la juste note de cette phrase. C’est un peu comme une symphonie. J’ai besoin qu’elle sonne juste à mon oreille, qu’elle soit en accord avec ce que je ressens, qu’elle me plaise à moi d’abord.

 

Sylvain : Pour ne pas lâcher cette espèce de fil qui permet à l’histoire de se dérouler, il faut en même temps se garder des moments de respiration, de liberté complète où on dévie du chemin sans oublier le fil qui nous mène jusqu’au bout.

 

Laurence Sémonin : Dans n’importe quelle circonstance de la vie, on peut imaginer notre chemin comme n fil : je veux atteindre tel but. A partir de là, on peut prendre des chemins détournés. Par exemple, des fois je suis en panne, alors je m’arrête et je vais à la fenêtre ou je fais autre chose. Mais pendant que je regarde dehors, dans ma tête la résistance qui s’obstine à vouloir trouver une solution va lâcher. Le fait de me détourner du sujet et de voir par exemple un beau paysage, ça m’ouvre à l’intuition… Le fait d’ouvrir un livre d’un auteur que j’aime et d’y lire quelques phrases. Plus on écrit, plus on est inspiré.

 

Sylvain : Comme dans nos classes, un enfant peut écrire puis s’arrêter, faire autre chose, aller dehors,… écrire dehors, ou écrire dedans…

 

Laurence Sémonin : … Perdre son inspiration et être en panne, et aller faire une peinture, un dessin ou un exercice…

 

Sylvain : … Mais il doit aller au bout de son texte, sinon c’est un échec ! Est-ce que ça t’arrive quelque fois ?

 

Laurence Sémonin : Oui, j’écris parfois des choses que je mets de côté. Ou bien, je les reprends pour les faire aboutir à un autre moment, ou bien, je m’aperçois un jour qu’elles m’ont permis de faire autre chose. C’est comme une semence qui fait germer d’autres idées qui nous font partir sur autre chose, mais nourrie de ce premier jet. Je pense que tout acte a un sens, que rien de ce qu’on fait est inutile.

 

Sylvain : On produit, on accumule, on produit, on accumule… on se construit des règles aussi ? A travers les écrits des écrivains on peut reconnaître des styles propres qui se sont certainement construit au fur et à mesure . Quand est-ce que ça arrive ?

 

Laurence Sémonin : Je lis énormément… tous les classiques : Balzac, Maupassant, Flaubert, Hugo, Giono, Lautréamont, Proust... On est nourri par les auteurs qu’on lit. C’est très important de lire, les poètes en particulier, ceux qui mettent des mots pas forcément conventionnels sur les choses, car ce sont des mots du cœur. Pas besoin de dire « Je suis allée me promener » mais peut-être « un souffle d’air, et mon pas sur la terre »… On a une odeur, une couleur, une émotion, c’est ça la poésie. L’écrivain ne cherche pas forcément à avoir un style, mais pour ma part, je me rend compte qu’en allant vers la vérité de ce qu’on veut donner avec une envie d’offrir une belle matière qui soit vivante, pétillante de vie, qui soit avec des odeurs, des sensations, des forces, avec une vérité… c’est comme une musique : chacun a sa propre musique différente de celle de l’autre. A force d’écrire on sent que ça y est, on arrive à être en phase avec soi. Maintenant, je sens que je m’approche de mon style. Je n’en suis qu’aux balbutiements de l’écriture, mais je suis mon fil !

 

Sylvain : En quoi le fait que tu écrives modifie ta manière de lire ?

 

 Laurence Sémonin : Autant autrefois j’ai dévoré des livres pour les histoires, maintenant je m’attache beaucoup plus au style, à « la patte » de l’auteur, à sa manière de dire les choses. Et c’est infini...

 

Sylvain : Est-ce que cela peut modifier ta manière de jouer en scène ?

 

Laurence Sémonin : Tout ce qui éclaire et qui nous élève nous fait grandir, et ceci dans tous les domaines de notre vie. Si on est plus sensible à la beauté des choses, de la nature, de la poésie, d’un sourire, et quand on arrive à la mettre dans ce qu’on fait, alors ça nous fait encore plus grandir. Ceci nous rapproche de notre qualité d’être humain qui ne demande qu’à s’épanouir et à se nourrir d’amour. Je suis sûr que dans mon quotidien, ne serait-ce qu’en balayant, au lieu de me dire « vite, je dois faire encore autre chose », si je suis pleinement dans mon geste, mon mouvement, je reçois davantage d’énergie que si je me torture la cervelle. C’est important d’oser rêver et de tenir chaque rêve au bout de ce fil. Savoir que dans l’univers tout conspire à réaliser nos rêves. Savoir aussi que souvent ça demande des efforts et du travail.

 

Sylvain : C’est une porte qui s’ouvre aussi.

 

Laurence Sémonin : Et plus j’écris, plus j’ai envie de dessiner, de peindre, de chanter. Les lettres de Van Gogh à son frère Théo sont magnifique parce qu’il cherche dire ce qu’il ressent à travers ses couleurs et son pinceau. Dire ce qu’on ressent, c’est quelque chose de fondamental et c’est quelque chose dont souvent on est privé dans cette société de technocrates et de productivité. Que l’on prenne n’importe quel moyen de créativité, cela nous ouvre cette porte qui permet d’exprimer ce qu’on ressent, ce qu’on a envie de dire et de partager avec les autres. C’est ce qui nous nourrit et ce qui va nourrir les autres parce qu’on va l’offrir. C’est ça qui est beau !

Un enfant qui va écrire une histoire, si en plus il y met de son cœur, s’il se livre lui-même, s’il ose parler de lui-même à travers un autre personnage, alors il va l’offrir aux autres enfants et les autres vont se reconnaître dans ce personnage parce qu’on est tous semblables, on a tous les mêmes souffrances, on est tous en quête d’amour.

 

Interview de Laurence Sémonin, réalisée par Sylvain Hannebique au Salon des Apprentissages de Nantes, Novembre 1999.