Raccourci vers le contenu principal de la page

Sénégal : Diawar : une école Freinet

Septembre 2001

Du 22 au 24 février 2001, Jean-Michel BAVARD a pu partager la vie des enseignants et élèves de l’École publique de Diawar. Ce village d’un peu moins de mille cinq cents habitants se trouve tout à fait au nord du Sénégal, à un kilomètre de la frontière mauritanienne, le long du fleuve Sénégal. Isolé, il faut deux bonnes heures d’une piste chaotique et poussiéreuse avant de l’atteindre. Étonnant et émouvant de découvrir l’effigie de Célestin peinte sur les murs de cette école du fin fond de l’Afrique. 

L’école de Diawar accueille environ trois cents élèves répartis en six classes (de la classe pré-scolaire au CM2). Près d’un enfant sur deux poursuivra sa scolarité au collège, remarquable taux de réussite à l’examen d’entrée en sixième pour le Sénégal. 

Après un accueil toujours aussi chaleureux agrémenté des trois verres successifs de thé (“le premier est fort comme l’amour, le deuxième amer comme la vie et le troisième doux comme la mort”), la journée pouvait débuter.

 

 Le conseil de coopérative

 

Les élèves avaient tout d’abord décidé de nous convier à un Conseil de coopérative regroupant des délégués des six classes. Des problèmes d’autodiscipline furent essentiellement abordés ( difficultés de mise en place pour certaines commissions, problème des retardataires...). Nous avons pu apprécier une grande maturité des élèves: les interventions furent brèves, argumentées, ciblées... De la valeur et de la cohérence de l’argumentation dépend le résultat du vote qui suit chaque débat. Les filles prennent une part active à ces élaborations. Les maîtres n’interviennent que pour émettre des propositions quand un blocage intervient et rappeler les règles élémentaires du mandatement: “... Si vous prenez des décisions sans consulter vos camarades de classe, pensez-vous que cela va passer ?” Les débats se déroulent en français mais sont ensuite traduits en wolof afin de permettre la compréhension de tous, des plus petits en particulier encore non-francophones. Le bureau de coopérative organise et anime ces conseils (convocation, ordre du jour, tour de parole, compte-rendu...) puis veille ensuite à l’application des décisions prises.

 

A l’issue de ce conseil, nous avons échangé librement. Les enfants étaient très curieux de découvrir le pourquoi de notre visite, nos motivations. De nombreuses questions portèrent également sur le syndicalisme.

 

J’ai ensuite écouté un exposé réalisé par des élèves de la classe des grands d’une dizaine d’années sur le colonialisme (les raisons, les formes de l’exploitation...). Ces élèves avaient travaillé à l’aide de documents mis à leur disposition et avaient aussi pris la peine de consulter des aînés du village. La fin de l’exposé se conclut par trois phases: autocritique, critique et parole du maître. Là encore, un libre échange m’a permis d’éclairer ces élèves avides de connaître notre perception occidentale de ce sombre passé.

 

Les commissions

 

Prises en charge par un groupe d’une dizaine d’élèves représentant là encore l’ensemble des classes, elles animent toute la vie collective de l’école et sont au nombre de huit: hygiène et environnement, formation pratique, presse, santé, sport, maraîchage, loisirs et fêtes, boutiques.

 

Nous serons reçus consécutivement par chacune de ces commissions qui nous exposera son rôle et ces travaux.

 

- “Hygiène et environnement”:

Ses responsabilités sont de veiller à l’entretien et l’agrément de la cour: ramassage des ordures, plantation d’arbres (les plus grands plantent avec l’aide de paysans, les petits arrosent...). Les CM2 veillent à la propreté des toilettes. Cette commission sensibilise aussi l’ensemble du village aux problèmes environnementaux par des affichages, des rencontres avec les adultes...

 

- “Formation pratique”:

Animée par les femmes du village, elle permet d’initier les enfants à toutes sortes de techniques: fabrication d’objets divers, cuisine, dessin, guirlandes pour les fêtes... Mais il s’agit aussi d’apprendre à tresser afin que les enfants puissent s’entraider à réaliser ces gestes essentiels à la coquetterie féminine. Ici, peut-être plus qu’ailleurs encore, le mot “besoin” reviendra

souvent: le manque de matériel, de moyen... est criant et émouvant.

 

- “Presse”:

Les membres de la commission passent dans chaque classe récolter les articles (les plus petits peuvent publier des dessins). Ceux-ci seront ensuite corrigés, mis en page puis dupliqués. Le journal est ensuite vendu 50 F CFA à un enfant et 100 F CFA à un adulte. Chacun peut ainsi être informé des événements du village. La parole des enfants est par cet outil particulièrement valorisée et précieuse dans un village où les journaux ne parviennent pas!

Auparavant existaient deux journaux: celui des élèves, de la coopérative scolaire donc, et celui des adultes du village. Afin de réduire les coûts de fabrication, ils sont désormais réunis en une seule édition. Enfin, le projet d’informatiser le maquettage de ces pages sera réalisé prochainement.

- “Santé”:

Il s’agit pour ces élèves de soigner les petites plaies de leurs camarades et de remplir alors le carnet de visite de chacun. Ils sont formés aux premiers soins par l’infirmière du village. Par contre, s’ils diagnostiquent un mal plus sérieux au cours de cette première visite, ils prennent la décision d’orienter leur ami(e) vers le dispensaire. Si une épidémie se déclare dans le village, ils informent toute la population des précautions à prendre, des prescriptions à suivre. Enfin, lors des campagnes de vaccination, les plus grands aident l’infirmière à vacciner chacun.

 

- “Sport”:

Ces enfants ont pour tâche d’organiser, d’animer des rencontres auxquelles tous participent: football, passe à dix, saut en longueur, relais...

 

- “Maraîchage”:

Primordiale, j’y reviendrai, dans cette région où l’essentiel des moyens de subsistance est tiré de l’élevage et de la culture et où la plupart des jeunes viennent et se destinent à la paysannerie.

Chaque classe peut décider d’élever un jeune bovin (qui sera ensuite revendu à un paysan) ou de cultiver une certaine surface du jardin scolaire, jardin irrigué. La classe choisit également sa semence que lui fournira la coopérative scolaire (gambas, tomates, patates, choux, aubergines, oignons, melons, menthe...). Des paysans viennent aider, apprendre les techniques, apporter leurs conseils... Une fois les frais décomptés (semences...), les bénéfices de la récolte seront partagés en deux, la première moitié pour la classe, la seconde pour le paysan qui a apporté son aide et son savoir.

 

- “Loisirs et fêtes”:

C’est cette commission qui avait organisé notre accueil: à quelles activités nous associer ? Veiller à notre hébergement (réunir les matelas nécessaires...).

Mais à ces commissaires revient aussi la tâche d’organiser la kermesse scolaire, des représentations théâtrales... auxquelles tout le village

est convié.

 

- “Boutique”:

Il s’agit de donner à chaque élève les moyens d’acquérir les fournitures scolaires nécessaires par une sorte de coopérative d’achat et de vente, fournitures entièrement à la charge des familles. Ces matériels seront en effet vendus moins chers qu’à la boutique du village. Un adulte se rendant en ville sera par exemple chargé d’acheter des cahiers de 48 pages à 120 F CFA l’unité. Ces cahiers seront revendus 130 F CFA aux familles, les 10 F CFA de différence allant à la coopérative scolaire. Cela quand la boutique du village vend le cahier 175 F CFA.

 

Conclusion provisoire

 

On le voit, expérience passionnante et particulièrement riche. J’ai été impressionné par la prise en charge forte et effective de la vie de l’école par les élèves eux-mêmes. Par l’osmose aussi entre l’école et le village, chacun s’enrichissant de l’expérience, des savoirs de l’autre et faisant ainsi bouger peu à peu les rapports sociaux. L’école de DIAWAR est aussi une note d’espoir. L’école sénégalaise demeure en effet profondément marquée par l’école coloniale. Ne serait-ce que par le fait que le wolof, la langue maternelle de la plupart des sénégalais, reste interdite d’entrée à l’école (sa prise en compte par un bilinguisme wolof - français est annoncée mais sans que cette réforme ne soit entrée dans les faits jusqu’ici). Du coup, les enfants se sentent souvent peu concernés, étrangers même à leur propre école. Cette école a encore du mal à convaincre une large part de la population, parmi les plus modestes en particulier, de son intérêt social. A ces questions et ces enjeux, les enseignants de DIAWAR avancent au quotidien des réponses d’un intérêt évident. Mais nous-mêmes, qui sommes souvent si démunis face aux violences scolaires ou la passivité de certains élèves, n’avons-nous pas à puiser dans ces pratiques qui redonnent à tous un sens émancipateur évident à l’école publique ?

 

Jean-Michel BAVARD (Oise)

Article paru dans la revue « L’école émancipée »

 

Une rencontre avec le comité de parents

 

J’ai aussi tenu à rencontrer des parents d’élèves ; voici quelques-unes de mes questions et les réponses qu’ils ont apportées à mes interrogations :

 

Question : Quels sont les rôles des parents d’élèves, des adultes plus généralement, dans le fonctionnement de l’École de Diawar ?

 

Réponse : Prenez la commission “maraîchage” et notre participation à son fonctionnement en collaboration avec les élèves et leurs maîtres, elle a permis à l’école de prendre en compte le milieu essentiellement agricole qui est le nôtre. L’école et son utilité ont ainsi été pleinement reconnues. Elle a aussi permis un autofinancement de l’école permettant aux familles de n’avoir plus à aider financièrement certaines activités scolaires. Les parents aident à la formation des enfants en matière de maraîchage, d’élevage... ce qui sera particulièrement profitable à ces jeunes qui deviendront ainsi des paysans compétents. Les mamans interviennent tout autant au cours d’activités comme la cuisine. Ces interventions ont encore permis à certains parents qui ne venaient pas à l’école d’y venir désormais régulièrement et donc de parler avec les enseignants du travail scolaire de leurs enfants.

 

Q : Le fait que les enfants de Diawar soient scolarisés dans une école pratiquant des méthodes actives et coopératives a-t-il changé leur comportement à la maison et modifié les équilibres familiaux ?

 

R : Au niveau des familles, les choses n’évoluent que doucement, cela dans une société où ce sont le plus souvent les plus anciens qui prennent les décisions, où les jeunes doivent seulement recevoir mais ne rien donner. Cela a pourtant commencé à changer. Ainsi au cours d’une assemblée de village, les enfants ont apporté un point de vue qui a été apprécié. Depuis le Bureau de coopérative scolaire est représenté à ces assemblées. 

 

L’avènement de cette nouvelle génération et l’appui de l’école devront nous permettre de faire fonctionner le village plus efficacement : consolidation de la maternité, centre social, dispensaire...

 

Une chose est sûre donc : tout vient de l’école, il nous faut renforcer l’école pour que la situation évolue, notre objectif étant que les enfants puissent donner leur avis à tout moment. Pensez, j’ai moi aussi fait l’école ici quand j’étais enfant, je n’osais même pas regarder mon maître. Il y avait une frontière entre enseignants et élèves. Aujourd’hui, les enfants préfèrent venir et rester à l’école car ce milieu est devenu beaucoup plus favorable. Cette situation ne peut qu’amener les parents à se poser des questions.

 

L’assemblée des parents a aussi des projets d’équipements, ils font des démarches auprès des autorités pour rechercher des financements, parfois encore se cotisent pour en accélérer leur réalisation...

 

Q : Et concernant l’alphabétisation ?

 

R : La demande est forte: les adultes qui gèrent les familles sans être allés à l’école comprennent de plus en plus que c’est un handicap. L’Union des agriculteurs incite aussi à l’alphabétisation. Les femmes ont cependant du mal à concilier ces apprentissages et leurs différentes tâches. Pour répondre à cette demande, des tentatives ont donc été mises en place. Malheureusement le manque de financement nous a jusqu’ici empêché de travailler dans la durée.

 

Q : La situation des femmes donc ?

 

R : Les hommes sont plus alphabétisés que les femmes qui ont un plus petit niveau car souvent empêchés par l’ampleur des tâches qu’elles ont à accomplir. Par contre au niveau de l’école, elles interviennent largement car ce sont elles qui s’occupent essentiellement des enfants, mais aussi grâce à leurs compétences dans de nombreuses activités : peinture, teinture, tricot, art culinaire, tressage... Dans le cas du tricot, certaines ont même appris cette technique à d’autres femmes qui peuvent ainsi désormais accroître leurs revenus en vendant les vêtements qu’elles ont fabriqués.