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Septembre 2001

 

Roki

 
Un lutin nous est tombé dessus, un matin à 9 h moins 10, juste avant d'entrer en classe. Bien sûr, il n'a pas atterri par hasard dans notre cour. C'est la cour d'une petite école, où chaque enfant a la mémoire des enfants d'avant. C'est une histoire qui ne pouvait arriver dans une GROSSE école, bien sûr...
 
Chacun avait réagi différemment à la mort de Sam, notre chien d'école. Sam, c'était depuis dix ans notre conseiller pédagogique, d'une humeur étale, aussi bien en classe qu'en récré. Calmant les uns, stabilisant les autres, partageant le goûter avec les non-partageurs ou fronçant le sourcil avec ceux qui confondent virtuel et réalité. Sam n'était pas un chien. C'était un psychothérapeute.
 
J'ai mis 3 jours à annoncer sa mort, en réunion de coopé, sous la pression des questions. Chacun s'est protégé - y compris moi - avec des mots, des dessins ou des textes. Ou bien des pages blanches, mais avec un oral à vous tirer les larmes... Quelle richesse dans l'hétérogénéité d'une classe ! Quelle richesse dans l'expression des sentiments, par des voix différentes en âge et en sensibilité !... Bref, ce furent d'intenses moments, dont on n'a fait ni album, ni livre de vie, ni quoi que ce soit de communicatif. C'était juste de l'intime dans un groupe-classe. Mais l'affaire avait fait le tour du village ( des 2 villages, en fait, car c'est un RPI).
 
Deux mois après, au Quoi de Neuf :
-On a une surprise. Mais faut qu'on sorte, parce que c'est dehors, dit l'un des mômes.
Et nous voilà, les enfants et moi, dans la cour.
-C'est près du grillage, la surprise, au coin du bac à sable...
De l'autre côté de la murette d'école, une maman d'élève, près de sa voiture. Mi-figue, mi-raisin, elle ouvre le coffre. Et nous présente une boule de poils. Un instant inquiète, la maman, en scrutant mon visage. Et puis superbe, hilare, sous les vivats des enfants. Heureuse comme un roi mage...
 
Je suis pris de court, faut dire, par ce plébiscite à travers le grillage. En un éclair, je flaire le traquenard. Les mômes auscultent ma tête : et si par hasard je faisais la grimace ? Je dois à mon sang-froid d'avoir conservé un visage lisse. Mais je dois aussi à ma lâcheté d'être resté sans réaction, quand le chiot a changé de mains. Il était dans la cour, désormais. Étiqueté chien de l'instit, sur son passeport vacciné, tatoué, vétérinarisé... Mais en réalité déjà chien de l'école, à la première seconde du premier cri de joie. En d'autres lieux ou d'autres circonstances, ça s'appellerait un putsch. Les enfants avaient assiégé leurs mères, jusqu'à ce qu'elles craquent. Une école sans chien, ce n'est pas vraiment une école !
 
Les mamans s'étaient réunies, l'instit devait être malheureux, sans chien... Merci, Mesdames, de veiller à l'équilibre psychologique de l'instit de vos petits. Ca part d'un bon sentiment...
-Et les enfants, pensez donc, ils sont tellement habitués...
 
Et me voilà donc avec ce lutin, un Labrit de 2 mois, pendant le temps scolaire et hors-temps aussi... car c'est un chien à plein temps, ce cadeau ! Roki, il s'appelle désormais. Roki arracheur de fleurs du jardin et grignoteur de tout ce qui traîne...
 
Mais il apprend vite, le bougre, et déjà il fait la fête à chaque enfant tous les matins... On est parfois obligé de le bouter hors de classe, dans la journée, car il est encore un peu fou. Et puis on a inventé un nouveau métier : nettoyeur des incongruités de Roki. Figurez-vous que les candidats se bousculent... Et puis Roki a déjà pris en mains mes 3 ou 4 super-instables : ils se poursuivent les uns les autres et font la trêve sur la pelouse, pour se reposer... avant d'entrer tranquillement en classe. Et puis il y a aussi quelques CE2 qui ont peur de leur ombre. Roki mordille leurs bas de pantalons : ils sont en train de prendre de l'autorité et de l'assurance avec le bébé-chien... Et puis il y a ceux qui sous prétexte de surveiller les bêtises de Roki, en profitent pour se payer une course avec lui jusqu'aux toilettes... Et puis il y a les désordonnés, qui laissent moins traîner le pull ou l'anorak en rentrant de récré... Bref, Roki n'est qu'en formation, mais déjà intervenant en classe.
 
Il ne nous reste plus qu'à grandir ensemble, les enfants, le chien et moi...
Michel Barrios



La Chronique

de l’ours des Pyrénées