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Handicap et inégalités sociales

Novembre 2000

En ce mois de novembre, anniversaire de la convention sur les droits de l’enfant, il me semble utile et révélateur de s’intéresser à son article 23 :

« 1. Les États parties reconnaissent que les enfants mentalement ou physiquement handicapés doivent mener une vie pleine et décente, dans des conditions qui garantissent leur dignité, favorisent leur autonomie et facilitent leur participation active à la vie de la collectivité.

2. Les États parties reconnaissent le droit des enfants handicapés de bénéficier de soins spéciaux et encouragent et assurent, dans la mesure des ressources disponibles, l'octroi, sur demande, aux enfants handicapés remplissant les conditions requises et à ceux qui en ont la charge, d'une aide adaptée à l'état de l'enfant et à la situation de ses parents ou de ceux à qui il est confié.

3. Eu égard aux besoins particuliers des enfants handicapés, l'aide fournie conformément au paragraphe 2 est gratuite chaque fois qu'il est possible, compte tenu des ressources financières de leurs parents ou de ceux à qui l'enfant est confié, et elle est conçue de telle sorte que les enfants handicapés aient effectivement accès à l'éducation, à la formation, aux soins de santé, à la rééducation, à la préparation à l'emploi et aux activités récréatives, et bénéficient de ces services de façon propre à assurer une intégration sociale aussi complète que possible et leur épanouissement personnel, y compris dans le domaine culturel et spirituel. (…)»

Des études récentes invitent, effectivment, à s’interroger sur la manière dont la France met en œuvre ces principes. Force est de constater que nous n’avons pas à être fiers de notre politique dans ce domaine.

Selon une enquête de l’INSEE[1], dans notre pays, pourtant un des plus riche du monde, les « inégalités face au handicap sont très marquées selon les milieux sociaux », aussi bien chez les personnes vivant en institution que chez celles vivant en milieu ordinaire. Parmi ces dernières, la proportion des personnes déclarant au moins une déficience est 1,6 fois plus élevée chez les ouvriers que chez les cadres. L'origine sociale joue aussi sur la façon dont les handicaps se traduisent en pratique. « Á déficiences semblables, les difficultés dans la vie quotidienne, mesurées par les incapacités, sont plus fortes dans les milieux modestes. »

Il n’y a donc dans ce domaine, pas plus que face à la mort, d’égalité sociale ! C’est ce que dénonce également un ouvrage publié récemment par des chercheurs de l’INSERM :

« Les inégalités de santé concrètement mesurées par les taux de morbidité [proportion de maladies] et de mortalité [proportion de décès], la fréquence des handicaps moteurs ou des troubles mentaux, l'espérance et la qualité de vie sont AUSSI des inégalités sociales. [2]»

Ils en tirent la conclusion évidente que «(…) la manière la plus efficace de réduire les inégalités de santé est de réduire les inégalités dans la société. » Constatant que « les programmes préventifs efficaces le sont plus parmi les catégories sociales supérieures que dans les classes sociales défavorisées », les auteurs estiment que cela impose de « penser d'emblée [les actions de prévention], et d'en mesurer ultérieurement les effets, en termes de réduction des inégalités et non seulement en termes d'efficacité globale ».

Si on s’intéresse à la façon dont l’Éducation nationale gère les problèmes des enfants handicapés, on constate, là aussi, l’écart entre les principes qui devraient permettre de leur accorder des soins spéciaux, de leur offrir l’accès à l'éducation, aux soins de santé, à la rééducation, à la préparation à l'emploi et la réalité. Au contraire, on s’aperçoit que, de plus en plus souvent, ce sont de jeunes enseignants sans formation qui se trouvent nommés sur les postes de l’enseignement spécialisé. Quelle que soit la bonne volonté des collègues, ces enfants, qui nécessiteraient des soins particuliers, ne bénéficient pas de toute l’attention dont ils auraient besoin. Ils devraient au contraire disposer d’enseignants particulièrement formés, ne fuyant pas le poste à la fin de l’année quand ce n’est pas avant.

Le manque de place dans les institutions conduit à laisser entièrement à la charge des familles la recherche d’un établissement ce qui s’apparente parfois à la quête du Graal. Inutile de préciser que certaines familles y réussissent mieux que d’autres.

Ce n’est pas l’intégration de ces enfants dans les classes traditionnelles, sans qu’aucun moyen supplémentaire soit attribué, qui résoudra le problème, même si cette mesure s’appuie sur de bons sentiments et une volonté de ne pas enfermer ces jeunes dans des structures trop ségrégatives.

Une réelle politique de l’éducation spécialisée est indispensable pour honorer notre signature de la convention internationale des droits de l’enfant !

 

Jean-Marie Fouquer

 


[1] « Le handicap se conjugue au pluriel » dans INSEE Première,18 octobre 2000.

[2] Annette Leclerc, Didier Fassin, Hélène Grandjean, Monique Kaminski et Thierry Lang (sous la direction de), Les Inégalités sociales de santé ; Éditions La Découverte, 448 pages.