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Une année sur Acticem

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Décembre 2000

Rentrée scolaire 1999 : l’école élémentaire de Marmoutier a accès à internet. Elle dispose d’une salle informatique dotée de neuf nouveaux ordinateurs, reliés en réseau. Yves Comte* dispose d’un P.C. connecté dans sa classe. Cet équipement, plusieurs collègues l’ont souhaité. Maintenant qu’il est là, il s’agit de démontrer son utilité.

 
 

 



Les prémices
 
Convaincu des vastes possibilités en matière de correspondance, je pense tout de suite aux fonctions de courrier. Mais, à qui écrire ? Comme l’année démarre et que notre site d’école donne les adresses internet des maîtres de chaque classe, l’idée nous vient de proposer aux élèves d’écrire à leur maître de l’année dernière.
               
Paradoxal ! direz-vous. Ils disposent de l’accès à la planète entière et ils communiquent en virtualité avec le maître ou la maîtresse qu’ils pourront croiser en chair et en os pendant la récréation. Vous pourriez même ajouter : Encore une démonstration de cette déshumanisation des rapports qu’engendrent ces nouvelles technologies.
               
Paradoxal, en effet... Figurez-vous que nous n’en sommes qu’au premier des paradoxes de cette communication et que d’autres nous attendent encore. Parce que d’abord, tous les élèves se laissent prendre au jeu des messages au maître de l’année passée, même ceux qui sont nouveaux dans l’école ! Parce qu’ensuite un échange réel a lieu sur environ deux semaines et qu’il s’exprime là des choses qui n’auraient pas été exprimées autrement. Il flotte dans l’air comme une complicité silencieuse entre anciens élèves et enseignants. Un passage est vécu et un regard distancié et responsabilisant peut être porté dessus.
               
J’ai découvert que cette communication électronique rapprochait les proches, tout en stimulant l’intérêt pour le lointain qui devenait facilement accessible. (Voir les échanges de Jérôme avec l’école d’Engenthal).
 
Découverte d’Acticem
 
Lors de la réunion de rentrée du groupe départemental du Bas Rhin, emporté par une fougue toute nouvelle, je lance un appel à tous les “ branchés ” pour mener des échanges électroniques réguliers. Quelqu’un évoque l’existence de la liste de diffusion Acticem accessible sur le site web Freinet. Pourquoi ne pas essayer et s’inscrire ?
 
Un foisonnement perturbateur
 
Ma classe est donc inscrite sur Acticem et les courriers tombent tous les jours. Nous sommes, mes élèves et moi surpris du volume, une moyenne de 4 à 5 nouveaux courriers, et souvent autant de réponses ! Mais nous sommes aussi tout de suite accrochés par la diversité des courriers. C’est là que je me rends compte que je n’avais absolument pas prévu ce qui allait nous tomber dessus.
Répondre à un courrier de temps en temps, c’était sympa et tellement pédagogique. Que des élèves mènent une correspondance individuelle, ça s’intégrait harmonieusement au plan de travail et c’était bon pour faire de l’expression écrite...
 
Mais cette explosion de vie qui nous pétait à l’écran tous les matins, c’était dément. Au début, face à la nouveauté, nous avons répondu à tout ce qui arrivait, nous avons bousculé l’emploi du temps bien établi, et tant pis pour les ateliers lecture, et zut pour les textes libres, bon les maths on rattrapera... la musique, on la met en sourdine.... Après deux semaines de bricolage, une évidence s’impose il faut revoir tout cela et réorganiser le travail dans la classe.
 
L’organisation des échanges
dans ma classe
 
Dans ma classe, un élève a le métier du courrier électronique. Tous les matins quand démarre le plan de travail, il relève le courrier, lit, sélectionne et imprime ce qui lui semble intéressant. Quelquefois je jette un coup d’oeil et lui donne mon avis. Puis il distribue les messages selon un roulement qui garantit à chaque élève un tour de lecture. Les messages sont lus à la classe avant ou après la récréation du matin. Après la lecture d’un message je demande s’il y a des réactions ou si quelqu’un est intéressé. Les messages qui ne trouvent pas d’écho sont classés dans notre classeur de courrier, les autres sont traités individuellement en plan de travail ou collectivement après discussion au conseil. Il m’arrive aussi d’utiliser certains messages comme support d’activités en math, français ou sciences.
Répondre à des messages peut prendre du temps, l’élève qui choisit de répondre ou d’écrire inscrit cette activité dans son plan de travail. Le texte est toujours d’abord écrit au brouillon. Après correction l’élève la tape sur l’ordinateur, je contrôle une dernière fois et d’un seul clic, il est expédié. C’est génial !
                 
Des possibilités offertes à la classe
 
Les élèves ne sont pas intéressés par toutes les propositions qui leur sont faites, loin de là. Beaucoup de choses passent sans trouver écho auprès d’eux. C’est qu’ils ont aussi du travail et des projets par ailleurs. J’ai souvent retenu des courriers en me disant que je pourrais les exploiter collectivement : des problèmes, une recherche d’expressions françaises, des charades, des mots à retrouver. Mais une vie de classe est tellement remplie que ce ne sont restés que quelques feuilles égarées dans mon cartable. Pourtant je pense qu’il est tout à fait possible de traiter ces échanges de façon plus collective et qu’ils peuvent même constituer le socle vivant de travaux plus directement disciplinaires comme le calcul, le vocabulaire, l’orthographe, la grammaire.
 
Bilan provisoire
 
Le bilan que je pourrais dresser de cette expérience est peut-être un peu plus nuancé. En effet, un brin de lassitude semble s’être installé, les échanges sont-ils devenus plus stéréotypés ? Ou est-ce la fatigue propre à cette fin de trimestre ? Il est exact que ma classe n’a pas vraiment réussi à tenir un rôle moteur dans l’animation des échanges. C’est sûrement en partie de ma faute, l’organisation que j’ai élaborée est davantage tournée vers la consommation de courriers que vers la création. Une piste à étudier pour l’année prochaine.
 
Néanmoins, il reste que l’équipement informatique de l’école aura permis une communication soutenue dans laquelle les élèves se seront largement investis. Cette communication régulière et authentique aura donné l’occasion :
- d’écrire
- de se familiariser avec les fonctions de courrier d’internet
- de découvrir le monde proche et lointain
- de mener des recherches en math et en français
- de faire des expériences en sciences
- d’aider et d’être aidé
- de discuter, de donner son avis
- d’être curieux, mais aussi d’être responsable (suivi d’une correspondance ou d’un thème)
- et, un rien péremptoire, d’émerger à une nouvelle conscience planétaire.
 
Pour finir, la grande force de cette forme d’échange est selon moi sa souplesse. Contrairement à une correspondance à deux voix, le principe de la liste de diffusion permet de ne répondre qu’à ce qui nous intéresse et ce au moment où cela nous intéresse. On peut très bien envisager de ne fréquenter cette liste que pendant quelques semaines. Le degré d’implication peut lui aussi être gradué ; de simple lecteur consommateur à animateur de la liste. Si vous êtes comme moi à courir après 36 projets différents, ce n’est pas inintéressant de savoir que l’on pourra mettre le courrier en veilleuse pendant un certain temps.
                              
Yves Comte
 
 
 



 



Qu’est ce qu’une liste de diffusion
 
En matière de courrier électronique la comparaison avec le courrier sur papier est en général assez éclairante. On dispose d’une boîte aux lettres avec son adresse, toute personne connaissant votre adresse peut vous écrire via le service postal.
 
Une liste de diffusion, est un service spécialisé qui possède sa propre adresse, tout ce qui est envoyé à cette adresse est transmis aux abonnés de la liste.
En général il s’agit de listes thématiques. En s’abonnant on est généralement assuré de recevoir plein de courrier sur le thème qui vous intéresse. Ce courrier n’est autre que les échanges rendus publics des différents abonnés. Quand on envoie sa petite lettre à l’adresse de la liste ce sont automatiquement tous les abonnés qui la reçoivent.
  
La liste Acticem (Action Communication Télématique Internationale Classes Ecole Moderne) s’est dotée d’une charte à laquelle souscrit tout nouvel adhérent, le but en est de :
?       permettre des échanges entre les classes qui, à travers le monde, pratiquent la pédagogie Freinet.
?       développer des recherches dans le sens de la pédagogie Freinet.
?       connaître la vie des jeunes dans leurs activités créatrices.
                                                                                                             
(extrait de la charte de l’abonné)



Quelques points forts
 
Correspondance
 
Début d’année, beaucoup de courriers sont des propositions de correspondance. Plusieurs élèves de ma classe démarrent une correspondance individuelle avec des bonheurs variables. Que c’est grisant de découvrir toutes ces classes, tous ces enfants qui communiquent, tous ces noms de lieux inconnus. Courant 2eme trimestre, nouvelle vague d’appel à correspondre. Certains élèves déçus par leur correspondant cherchent un nouveau partenaire, d’autres qui n’avaient pas encore correspondu se lancent, des boulimiques veulent avoir davantage de courrier à leur nom...
 
On nous écrit de loin
 
Au fil du temps nous voyons apparaître dans notre boîte des textes de Belgique, de Suisse, d’Ouganda (“ l’école des grands lacs ” rien que le nom nous faisait à chaque fois rêver d’Afrique), de Russie pour une recherche de correspondants, et même du Brésil pour Noël. Je tapisse la classe de plusieurs cartes de grande dimension : France, Europe, planisphère, Alsace. Les courriers sont l’occasion de situer nos interlocuteurs. Mes élèves sont fascinés par le nombre d’écoles qui communiquent, il leur semble que la France est aussi exotique que les pays étrangers. Pensez donc des endroits comme   Amailloux dans le 79 (Classe des Poneys) “ Oh ils aiment les chevaux ! ”, Beaumont-Pied -de-Boeuf dans le 53 (Ecole Bizu) “ Ca fait penser à bisou... ”, l’école Célestin Freinet de Triel “ Qui c’est Célestin Freinet ? ” et encore plein d’autres. Dire qu’à chaque fois il y a de vrais enfants et de vraies classes derrière chaque adresse !
C’est dingue, on nous écrit de tout près
 
Et puis un jour, on nous écrit d’Engenthal. Ce village se trouve à une dizaine de kilomètres. C’est celui de Jérôme, un élève un peu discret de notre classe, gardé en journée par ses grands-parents, il est donc scolarisé dans notre école. Après la lecture du courrier, Jérôme, un peu surpris, est questionné. Il connaît plusieurs des enfants qui ont signé, l’un d’eux est même son voisin. Il se charge donc de leur répondre. Les jours suivants il nous rapportera en avoir discuté avec son voisin.
- Dites donc, c’était vrai tous ces trucs sur Internet, les enfants existent je les ai rencontrés !
 
Enigmes mathématiques
 
C’est d’ailleurs l’école d’Engenthal qui nous envoie la première énigme mathématique. Nous en verrons passer toute une série pendant l’année. Le plus souvent elles intéresseront mes élèves et ils y répondront soit individuellement, soit collectivement. En tout cas ce sont toujours de bons moments de recherche pour la classe et une excellente manière de rendre les maths plus vivantes. Ah, la couleur de la mule de Hassan, les centimètres de neige tombés à Engenthal en 24 heures, le calendrier de l’avent à se partager à trois, l’augmentation de la population mondiale en une minute....
 
C’est interactif
 
Vers Noël, une classe maternelle propose une histoire de Père Noël façon livre dont vous êtes le héros. Tous les jours elle nous envoie un épisode et propose 3 possibilités pour continuer le récit. Ambre-Eline répond pour la classe, elle collecte les différents épisodes et nous les lit.
Fréquemment nous voyons passer des demandes de renseignements pour des exposés que des élèves sont en train de préparer. Il est arrivé à trois reprises qu’un élève de notre classe ait travaillé sur le même sujet : Amandine sur le cheval, Sophie sur le diabète et Virginie sur la SNCF. C’est avec une grande fierté que nous partageons alors nos connaissances, même si c’est quelquefois un peu long à taper.Et puis, il y a aussi les enquêtes et les débats. Mes élèves en raffolent. La première enquête que nous avons reçu tournait autour de la question : “ As-tu déjà été amoureux ? ” C’est avec un grand sérieux et une discrétion remarquable que Florent a interrogé les élèves de la classe durant les temps de travail individualisé. D’autres enquêtes ont suivi : le métier des parents, les soins dentaires, d’autres encore dont je ne me rappelle plus.
 
On s’implique
               
Jusque là, nous n’avions fait que de profiter des propositions des autres usagers de la liste. Nous répondions, mais nous n’avions rien apporté de neuf. C’est le débat proposé par une école de la liste sur le thème des animaux en cage qui va nous en donner l’occasion. Au conseil, un élève propose de faire le débat sur les animaux en cage, je l’enregistre. Cela plaît beaucoup, nous nous réécoutons plusieurs fois. Amandine propose alors de lancer un sondage sur Acticem, la question posée étant : Quel est ton animal préféré ? Pendant deux semaines elle rassemble et traite les réponses. C’est l’occasion d’utiliser les pourcentages et de faire des choix en considérant qu’une réponse du genre “  Mon animal préféré, c’est le lapin en sauce. ” ne correspond pas à ce qui était attendu.
Tempête et marée noire
 
Après les vacances de Noël, nous atteignons des sommets avec les échanges autour des tempêtes des 26 et 27 décembre 1999. A travers les multiples courriers échangés les élèves perçoivent les dimensions de la catastrophe. Toute la France semble avoir été touchée. Tous les jours nous entendons des témoignages d’enfants sur les dégâts causés et vécus. L’émotion est forte à travers des mots d’enfants. “  Papa et maman étaient partis au travail quand la tempête est arrivée. J’étais tout seul jusqu’au soir. Quand ils sont rentrés j’étais dans le noir, il n’y avait plus d’électricité. ” Nous rassemblons tous les courriers dans un album intitulé : La tempête.
En parallèle nous voyons passer beaucoup de courriers sur la marée noire. L’un d’eux recommande un site proposant des expériences pour mieux comprendre. Nous le visitons et retenons une expérience à faire en classe. Nous reproduirons ainsi une “ simili-marée noire ” et comprendrons que ce n’est pas une mince affaire que de nettoyer tout ça.
 
C’est loin la mer ?
               
Simultanément les copains ougandais chercheront à savoir quelle est la mer la plus proche de chacune des différentes écoles de la liste. Bonne question pour nous pauvres alsaciens on ne peut plus continentaux. La recherche s’engage à l’aide de photocopies de cartes de règles et de compas. Grosse découverte, pour notre école la plage la plus proche n’est pas en France mais en Belgique. Et oui, pour économiser du kilomètre nous devrions aller nous baigner à la Mer du Nord, et tant pis si elle est plus fraîche.



 

 

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