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A chacun son projet commun

Décembre 2000
CHRONIQUE DE L’ECOLE ORDINAIRE
 
A chacun son projet commun
Pendant des années, lorsqu’on se prenait les pieds dans un problème pugnace, l’unanimité clamait : « Créons une commission ! » Actuellement la réponse universelle est plutôt : « Faisons un projet ! » Net progrès !
Moi qui vous cause, il m’ a été donné de participer à une tentative que je veux bien vous conter…
C’est après une période assez échevelée au cours de laquelle fut octroyé le samedi après-midi pour les cogitations pédagogiques, qu’un projet grandiose secoua les maîtres dans la cour de récréation. Un projet qui ne peut sourdre que de somptueuses remises en cause de la société, de l’université et de l’usage de la plume Sergent-major : « On se fatigue beaucoup dans chaque classe à inculquer la tenue du cahier du jour … Et si on harmonisait la disposition pour toute l’école ? »
On se réunit donc en assemblée générale (de 6 personnes), le Conseil d’école n’existant, hélas, pas encore. On proposa, discuta, composa, tapa du poing, prit la parole, la coupa. Bref, on se concerta. L’affaire, à l’usage, s’avérait fort complexe :
-de quelle longueur, de quelle couleur tracer le trait séparnt les travux de deux jours successifs ?
-frise ou pas frise ?
-si c’est un « grand trait », inclut-il la marge ?
-à combien de carreaux de la susdite marge commencer à écrire la date ?
-fait-on souligner celle-ci ?
-si oui, d’un trait de quelle longueur ? De quelle couleur ?
-convient-il de toujours faire « sauter des lignes » ?
Toute la problématique de la date se reposa pour chaque titre, aggravée par une question de fond sournoisement masquée jusqu’à présent : stylobille ou porte-plume ? Le débat frisa le pugilat… L’avenir de l’Ecole Publique était en jeu. Un inspecteur primaire le confirma plus tard en commentant les nouvelles (de l’époque) instructions officielles de français qui toléraient la bille infâme : « Nos élèves vont fuir à l’école privée où l’on écrit encore à la plume ! » Mais n’anticipons pas.
Or donc la fermentation cérébrale était à son comble. Heureusement qu’on avait écarté provisoirement de l’ordre du jour les couleurs des soulignures grammaticales, l’outil à noter les corrections, la marge à élargir ou non lors de la rédaction des « paragraphes », la largeur de la colonne « opérations » dans la résolution des problèmes, la copie ou non des consignes des devoirs !
Au bout de 12 heures de négociations (quatre samedis après-midi) il apparut alors que, tous ensemble, on n’était d’accord que sur deux propositions :
-chacun voulait effectivement que les cahiers du jour soient tenus de la même façon par tous,
-la sienne !
Ce constat précisé, et compte tenu des objectifs nationaux, on put énoncer le contenu même du projet dans une belle unanimité :
CHACUN FAIT COMME IL VEUT !
 
On le mit même en œuvre dès le lundi suivant, le cœur léger ; on était enfin d’accord.
Nous avions découvert que si constat et objectifs sont bien formulés, le projet va de soit. Il continue d’ailleurs à aller, malgré le départ de chacun des protagonistes.
Dernièrement on l’a modernisé queqlue peu : la discussion autour de la réalisation d’un journal d’école a fait naître trois journaux de classe…
 

Jean-Louis Maudrin