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La citoyenneté en pratiques (2ème partie)

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Janvier 2001

 

Après une première partie (le Nouvel Educateur 124), présentant des pratiques de classes (conseil de coopérative, gestion des conflits par les enfants eux-mêmes, institutions d’école) Jean Le Gal pose les conditions de la mise en place d’une citoyenneté participative à l’école. Pour lui, l’action des éducateurs engagés sur le front des droits de l’enfant doit porter sur trois points : leur formation, la mise en adéquation des instructions officielles de l’Education Nationale avec la Convention Internationales des Droits de l’Enfant et la reconnaissance des pratiques innovantes.

 
Deux textes, l’un de Bernard Defrance, l’autre d’Eirick Prairat apportent un autre éclairage sur la mise en place de la citoyenneté et la question des sanctions.
 
Ces textes susciteront certainement réactions et réflexions, nous souhaitons ouvrir nos colonnes
à un débat sur la question de la citoyenneté participative, alors à vos stylos !

 

 

La PARTICIPATION est le critère de la citoyenneté et elle est,
aujourd'hui, un droit
pour les enfants et un combat pour les éducateurs.
 
L'enfant est un citoyen et doit pouvoir participer pleinement, en fonction de ses capacités de discernement et de sa maturité sociale, à la vie de la cité et de tous les lieux sociaux où il est amené à vivre.
 
Mettre en place des institutions qui permettent l'exercice du droit de participation des enfants et des jeunes aux affaires qui les concernent est donc non seulement un acte légitime pour les éducateurs qui le tentent, mais un devoir éducatif et citoyen pour tous.
 
Il nous faut aujourd'hui montrer que la participation et la citoyenneté à l'école sont possibles et demander à l'Etat, dans le cadre du droit à l'éducation, qu'il mette en place les moyens pour que les expériences novatrices se généralisent. Nous attendons donc des pouvoirs publics qu'ils s'engagent fermement et qu'ils apportent réponses et soutien à ceux qui agissent sur le terrain, car même si les expériences novatrices se multiplient, les oppositions continuent d'exister, liées souvent à des enjeux de pouvoir et, pour les enfants, à unereprésentation des adultes qui les considèrent comme incapables d'assumer des responsabilités.
 
Il s'agit donc de convaincre les éducateurs et de les accompagner dans leurs tentatives de changement.
 
Les pratiques citoyennes
doivent pouvoir s'appuyer
sur des textes officiels.
 
Fondée sur une philosophie éducative, sur une éthique de la relation, sur des principes politiques, la décision d'accorder des droits et des libertés aux enfants, à l'école, a été longtemps dépendante de l'enseignant. Il pouvait donc supprimer les droits comme il les avait octroyés, en particulier si un conflit avec la classe le mettait en difficulté : on a pu voir alors des enseignants remettre en place un pouvoir absolu et des pratiques coercitives abandonnées.
Cette situation de dépendance enfants ne peut permettre une réelle expérience de responsabilisation individuelle et collective.
 
Par ailleurs, ces principes et pratiques d'action éducative démocratique sont parfois contestés et attaqués, par des parents, des administrateurs et des enseignants. D'où le besoin, pour les militants des droits de l'enfant, d'obtenir des garanties institutionnelles et juridiques qui permettraient une légitimation de leur pratique pédagogique et une reconnaissance des décisions prises par les conseils d'élèves.
           
Aujourd’hui, en application de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant, la classe et l'école, mais aussi les autres lieux de vie, doivent devenir des lieux de pratiques citoyennes qui permettent à chaque enfant de :
-    participer aux décisions collectives en donnant son avis, en défendant son point de vue, en faisant des choix, qu'il s'agisse d'activités, d'organisation ou de règlements et règles de vie ;
-    s'engager dans des projets collectifs réels, négociés et contractualisés, dans lesquels il doit assumer sa part coopérative ;
-    prendre des responsabilités qui marquent son appartenance au groupe et dont il rend compte ;
-    s'ouvrir aux autres et de coopérer avec eux.
 
C'est par cette pratique sociale que les enfants et les jeunes peuvent acquérir, progressivement, l'assurance, la confiance en soi et les compétences, nécessaires pour s'impliquer.
 
Les enseignants doivent avoir
un pouvoir d'initiative
 
Le partage du pouvoir avec les enfants n'est possible que si les enseignants ont eux-mêmes un pouvoir sur leurs actes.
 
Les pédagogues novateurs, pour autoriser un pouvoir institutionnel des élèves, ont dû s'approprier un espace de créativité, se donner une marge de manoeuvre, conquérir un pouvoir sur leurs actes. Or cela ne va jamais sans risque dans un système encore fortement soumis à l'autorité de la hiérarchie : l'infantilisation des enseignants, par l'administration, est souvent évoquée comme une des causes des résistances au changement. Pour Gérard Mendel, cette situation expliquerait pourquoi "subjectivement les enseignants ne veulent et ne peuvent renoncer à l'autorité...à défaut d'avoir un pouvoir individuel et surtout collectif sur le contenu de leur acte de travail, il ne leur reste plus que le pouvoir sur les autres, sur les élèves (1)".
 
 
Pour mettre en oeuvre des démarches de changement, nécessaires pour instaurer la démocratie à l'école, pour vaincre des craintes légitimes car les obstacles et les résistances existeront, il faut de la détermination et un engagement profond des praticiens du terrain, mais aussi des connaissances sur la réalisation d'un projet d'innovation, sur les phénomènes de groupe et sur les pratiques de l'institutionnel.
 
Je suis convaincu que les enseignants, mais aussi les animateurs de centres de loisirs et les éducateurs, seraient mieux à même d'entreprendre des expériences novatrices, s'ils pouvaient eux-mêmes, durant leur formation initiale ou continue, exercer un réel droit de participation sur leur formation et expérimenter les démarches et institutions qu'ils seront amenés à proposer aux enfants.
Les pionniers de l'Education nouvelle et de l'Ecole Moderne ont, historiquement, depuis le début du siècle, construit leurs pratiques éducatives novatrices sur la reconnaissance de l'enfant, comme une personne ayant ses intérêts, ses besoins, ses démarches, ses rythmes propres, et comme un citoyen titulaire de droits et de libertés.
 
Ce champ de réflexion et d'action doit donc demeurer une des préoccupations fondamentales des éducateurs.
           
Jean Le Gal
 
1– Mendel Gérard, 1993, Les enseignants et le deuil interminable de l’autorité, in Cahiers Pédagogiques, La démocratie à l’école, 313.

 



 
 
Jean Le Gal,
maître de conférences
en sciences de l’Education,
chargé de mission aux Droits de l’enfant et à la citoyenneté
de l’Institut Coopératif de l’Ecole Moderne



 
 
LE GAL Jean, Participation et citoyenneté à l'école, Le Nouvel Educateur ; 79, mai 1996
 
Le GAL Jean, Le conseil d'enfants de l'école, Le Nouvel Educateur, 102,octobre 98 et 105, janvier 99
 
LE GAL Jean , Coopérer pour développer la citoyenneté, Paris, HATIER,Questions d'école, 1999
 
Sur le thème "Libre circulation"
LE GAL Jean, Le nécessaire changement de la réglementation scolaire,Journal du droit des jeunes, 185, MAI 99
 
Sur le thème "sanctions"
LE GAL Jean, Châtiments corporels ou intervention physique, Journal du
droit des jeunes, 185, mai 99
 
La construction
de la citoyenneté à l’École
 
A l’occasion de l’assemblée générale de l’ODCE de l’Oise, Bernard Defrance a proposé un autre regard sur la construction de la citoyenneté à l’école, par une redéfinition plus précise de la finalité de l’école, du citoyen et des principes du droit.
 
 



Comment donc peut se construire la citoyenneté à l’école ? Ca va être l’essentiel de notre réflexion. La question de la citoyenneté remplit les bibliothèques, on ne va pas la résoudre en une ou deux heures : il s’agit plutôt d’ouvrir des chantiers de travail, de réflexion et d’action.
 
La triple mission de l’école
 
Au fond, quelle est la finalité du travail que nous faisons à l’école ? Il y a une triple mission, je crois, aujourd’hui, à l’école, qui est :
·l’instruction : former des savants, des gens aussi cultivés que possible,
·la formation : acquérir les qualités nécessaires à l’insertion professionnelle,
· et l’éducation : former des citoyens.
 
Aujourd’hui, d’une certaine manière, c’est la deuxième fonction qui est en train, (alors que c’est la première qui longtemps était dominante, celle de l’instruction), à cause de la crise économique et des angoisses liées à l’augmentation du chômage, de prendre le pas sur les deux autres et on a, aujourd’hui, des élèves de 6ème qui s’inquiètent de l’éventualité de se retrouver au chômage. Surtout quand, dans leur famille, dans les quartiers difficiles, comme on dit, les grands frères ou les parents sont au chômage : nous avons affaire aujourd’hui à des adolescents qui arrivent à l’âge de dix huit ans sans avoir jamais vu un adulte travailler. Petite parenthèse : si ! Ils ont vu deux catégories d’adultes travailler, les enseignants (mais les enseignants " travaillent-ils " ? Ils font travailler… ce qui est un tout petit peu problématique parce que ça permet d’intérioriser le principe hiérarchique selon lequel le chef ne fait rien, il fait faire à ses subordonnés, c’est naturellement une image fausse mais c’est celle-là qui s’intériorise), et puis une deuxième catégorie, c’est celle, par exemple, des femmes de ménage qui passent la serpillière dans les couloirs.
 
Quand, arrivé à l’âge de dix-huit ans, on n’a vu que ces deux catégories d’adultes travailler et que l’on vous demande en plus de choisir un projet professionnel, cela pose déjà quelques difficultés. Un de mes élèves, l’an dernier, écrit : " Les profs nous demandent de dire en quinze jours ce que l’on veut faire pour les quarante prochaines années de notre vie  " et évidemment, ça pose quelques problèmes.
 
Alors la deuxième fonction, celle de formation, parasite un peu les deux autres. Et, paradoxalement, on s’aperçoit que, à s’obnubiler sur la formation professionnelle, on manque, précisément, ce qui pourrait constituer les fondements d’une véritable formation professionnelle efficace. Alors, pour ce qui est de la question de la socialisation, de la formation à la citoyenneté, je crois que la question qui se pose est celle-ci : le citoyen n’est pas seulement celui qui obéit à la loi, c’est aussi celui qui la fait, avec les autres. Et toute la question est de savoir comment, à l’école, nous pouvons apprendre, pas seulement à obéir à la loi, mais à la faire avec les autres. Alors, ce n’est pas à des militants de l’OCCE que je vais apprendre comment on construit une classe coopérative ! Dans ces classes, en effet, les enfants apprennent progressivement à gérer le temps, l’espace et les activités, et leur budget et régler les conflits par la parole et non pas par des coups. Mais il reste que toutes les classes et l’ensemble de l’Éducation Nationale, surtout dans les collèges et les lycées, sont loin d’avoir un fonctionnement coopératif !
 
Faire la loi
 
Alors, la définition du citoyen, c’est ça : c’est celui qui apprend à faire la loi et pas seulement à y obéir. Et ça aussi, c’est une longue histoire. C’est-à-dire que, pendant des millénaires, ce qu’il faut faire ou ne pas faire, ce qu’il est interdit de faire est fixé par les " transcendances ", qu’elles viennent du ciel ou du sol ; elles fixent les règles de comportements sociaux, jusque dans les moindres détails. Pour régler cette vieille question de la violence, comment ne pas s’entre-tuer, eh bien, il faut obéir. Il faut obéir soit à la nature, dans les systèmes religieux au sens anthropologique du terme , soit obéir à Dieu ou aux rois, aux représentants de l’autorité divine. Or, depuis Socrate, il n’y a plus, ou il n’y a pas de la même manière, cette transcendance des normes, des références. Alors on entend dire aujourd’hui : " Les jeunes n’ont plus de repères, les gens sont désemparés, il n’y a plus de " grands récits unificateurs… ", et les gens qui disent ça le déplorent la plupart du temps. Mais il n’y a pas à le déplorer ! Il n’y a pas à le déplorer parce que nous sommes là confrontés à cet enjeu fondamental qui est celui d’assumer notre liberté collective. Si nous sommes désemparés aujourd’hui par l’effondrement d’un certain nombre d’idéologies qui ont pu un temps se substituer aux systèmes transcendants religieux antérieurs, il faut savoir que d’être " désemparé ", c’est le contraire d’être " emparé " et que, si je suis " dés/emparé ", c’est aussi que je suis libre. C’est le contraire d’être " emparé " par des systèmes sociaux qui ont réponse à tout et du coup, je suis renvoyé à ma propre liberté. Alors, ça ne va pas sans désarroi, ça ne va pas sans incertitudes, lesquelles provoquent des réactions identitaires, nationalistes, ça ne va pas sans réactions idéologiques ou " retour du religieux " et on voit bien, aujourd’hui, la difficulté que cette question pose par exemple à la construction de l’Europe.
 
Être citoyen
 
Être citoyen, c’est effectivement pouvoir commencer à considérer l’autre comme un autre soi-même. Et si je prends l’exemple du racisme, on s’aperçoit que le racisme n’est pas tant un refus de la différence de l’autre qu’un refus de considérer que l’autre puisse être un autre soi-même. C’est la similitude que l’on refuse dans le racisme et non pas la différence. C’est parce que les juifs ne sont pas des hommes, parce qu’ils sont des untermenschen, que ce sont des " sous-hommes ", que les nazis peuvent alors se livrer au génocide. Si le juif est un homme comme moi, alors il ne peut plus y avoir de racisme. Marcel Conche, un philosophe contemporain, dit : " Un nazi qui aurait écouté un juif n’aurait plus été nazi " . C’est ça l’enjeu de la citoyenneté aujourd’hui.
 
Comment puis-je parler, travailler, m’affronter, coopérer avec l’autre, en tant qu’il est un autre moi-même et comment les différences qui sont les nôtres peuvent servir à nous enrichir mutuellement, à nous féconder mutuellement plutôt qu’à nous séparer ?
 
Je ne sais pas si cette définition provisoire peut suffire, mais le citoyen est bien celui qui, en effet, ne se réfère plus à des idéologies toutes montées, à des transcendances préétablies et qui doit construire avec les autres citoyens le sens qu’il entend donner à l’existence collective. Alors, question : est-ce que les classes coopératives le permettent ? Bien sûr ! À condition de bien distinguer les rôles respectifs de l’école et de la famille.
 
On entend très souvent, dans les stages, des récriminations de la part des enseignants à l’égard des familles. Grosso modo, pour caricaturer, au gamin qui se comporte de manière que nous estimons non conforme, nous lui disons : " Est-ce que tu ferais ça chez toi ? " C’est à peu près ça : " Qu’est-ce qu’on t’apprend chez toi ? "
 
Se pose en effet la question de la socialisation dans l’école et la question de la socialisation dans la famille. Il y a souvent des confusions, qui malheureusement ne nous aident pas beaucoup à résoudre le problème. " Démission des parents ", dit-on souvent. C’est un discours, un leitmotiv que nous connaissons bien. Alors, c’est un discours qui, moi, m’agace un tout petit peu… Je vous citais à l’instant le cas de ces enfants qui sont les seuls à se lever le matin pour aller travailler, pour aller à l’école ; dans certaines familles, le rapport économique lui-même est complètement renversé puisqu’ils sont également les seuls à rapporter de l’argent, des familles entières ne vivant qu’avec les allocations familiales, le RMI et quelquefois le produit des trafics divers auxquels se livrent les fils aînés. Certains responsables d’HLM auxquels on paie le loyer en liquide, savent très bien d’où vient ce liquide. Et les allocations familiales, c’est très intéressant parce que ça permet au mouflet, dès la 6ème, 5ème, de dire à ses parents : " Écoutez, m’emmerdez pas, parce que sinon je sèche l’école et on vous sucre les allocs ! " Il y a parfois une espèce de renversement, de déstructuration du lien familial, dans ses fondements économiques mêmes, et on en mesure bien aujourd’hui les ravages.
 
Je crois que l’école est faite pour apprendre un certain nombre de choses, notamment l’accès à la citoyenneté, que ni la famille, ni la vie sociale extérieure ne peuvent apporter.
 
Et effectivement, l’école est faite pour faire " sortir ", éduquer, ça veut dire " faire sortir de… " . Faire sortir de quoi ? Du milieu familial, de l’identitaire, de l’ethnique, du communautaire, de l’identification à une bande de quartier, etc.. Ils sont obligés de se parler parce que les procédures, les règles existent qui enrayent, qui répriment la violence, et donc, à partir de là, peut-être auront-ils une chance de se découvrir mutuellement en tant que, comme je le disais tout à l’heure, autre soi-même, d’accéder à l’universel. Alors, ne pas trop s’inquiéter de ces " bagarres ", c’est un problème du moment, il sera dépassé, réglé et puis on passera au moment suivant. Peut-être faut-il, dans un certain nombre d’endroits, en passer par là ?
 
Mais toute la question est de savoir comment ces règles peuvent se vivre à l’école. Lorsque dans la classe nous instituons la discipline, nous essayons de faire en sorte que les élèves découvrent que : si nous séparons les " combattants ", si je fais taire les bavards, c’est pour qu’ils puissent parler. C’est ça le paradoxe de la pédagogie et de la discipline : je fais taire le bavard pour qu’il puisse parler. Alors, j’ai travaillé dans des classes où en effet, les enfants découvrent ça, que toute interdiction n’a de sens qu’à être simultanément une autorisation.
 
Nul ne peut être juge
et partie.
 
Je crois que l’enfant fait l’expérience, dans l’immense majorité des cas, dans la classe, d’un pouvoir qui est encore un pouvoir d’essence religieuse. C’est-à-dire d’un pouvoir où les différentes fonctions ne sont pas distinctes et articulées. 
 
Ce n’est pas le magistrat qui a été cambriolé qui peut juger son propre cambrioleur. Sinon, le jugement n’aurait aucune validité et serait cassé. Nul ne peut être juge et partie, sauf dans la classe, précisément, où, comme enseignant, je peux être à la fois celui qui a été atteint par des injures, par le désordre, par l’agressivité des élèves et celui qui va les sanctionner. À partir de là, même si la punition que je donne à l’élève est objectivement juste, si elle est adaptée, équilibrée, si je n’enfreins pas l’arrêté de 1887 qui interdit les châtiments corporels ou humiliants, si j’utilise donc les moyens qui sont à ma disposition pour maintenir l’ordre de manière rationnelle, correcte, eh bien, même dans ce cas-là, la confusion des pouvoirs entre juge et partie fait que l’enfant ne peut percevoir la punition que comme la vengeance de celui dont l’autorité a été momentanément bafouée. Il s’agit pour moi de rétablir mon autorité, et la perversion induite par la confusion des pouvoirs à l’intérieur de la classe aboutit à ce que l’enfant apprend à se soumettre à une personne, au lieu que l’élève apprenne à obéir à la loi.
 
Or, le citoyen n’obéit pas aux autres personnes mais à la loi.
 
Quand je donne un ordre, ce n’est pas moi qui donne un ordre, je ne fais qu’exprimer une règle à un moment donné nécessaire pour que nous puissions travailler ensemble. Si les enfants apprennent à se soumettre à quelqu’un au lieu d’apprendre à obéir à la règle ou à la loi, effectivement, ils apprennent la soumission. Et la soumission c’est le contraire de l’obéissance.
 
Assemblée Générale de l’OCCE de l’Oise novembre 1995, conférence de Bernard Defrance





Quelques principes du droit.
 
1. La loi est la même pour tous.
 
2. Nul n’est censé ignorer la loi : à partir de la majorité civique.
 
3. Nul ne peut être mis en cause pour un acte dont il n’est pas l’auteur ou le complice.
 
4. Nul ne peut être mis en cause pour un comportement qui ne porte tort qu’à lui-même.
 
5. Toute infraction entraîne punition et réparation.
 
6. Un mineur est déjà sujet de droit, mais pas encore citoyen.
 
7. Pour une même infraction, un mineur est moins lourdement puni qu’un majeur.
 
8. Nul ne peut se faire justice à soi-même.
 
9. Nul ne peut être juge et partie.
 
10. Le citoyen obéit à la loi parce qu’il la fait avec les
autres citoyens.
 
11. L’interdit de la violence ne se discute pas démocratiquement puisqu’il permet la discussion démocratique.
 
12. La violence n’est légitime que dans deux cas : l’urgence c’est-à-dire la légitime défense ou l’assistance à personne en danger, et après épuisement de toutes les voies de droit pour rétablir le droit.
 
 
Les sept niveaux de règles
 
1. L’arbitraire personnel, les caractères particuliers.
 
2. La politesse, les coutumes, les habitudes.
 
3. Les rites culturels et religieux.
 
4. Les règles techniques de travail et de fonctionnement social.
 
5. Les déontologies, les règles du droit, civil et pénal.
 
6. Les règles morales, les valeurs.
 
7. Les principes éthiques.
 
Les six premiers niveaux peuvent se discuter, démocratiquement.
 
Les interdits du septième niveau ne se discutent pas puisqu’ils sont précisément ce qui permet qu’il y ait discussion.



 
 
Bernard Defrance
Professeur de philosophie
Lycée Maurice Utrillo, Stains
 
 
La sanction :
Intervention d’Eirick Prairat
au congrès de l’ICEM
 



Au cours du congrès de Rennes en août 2000, Eirick Prairat est intervenu sur le nécessaire caractère éducatif que doit présenter toute sanction dans le cadre d’une éducation citoyenne.
 
Fondement et fins de la sanction, des sujets à mettre en débat dans nos établissements scolaires.



 
Je voudrais faire deux remarques introductives. La première, pour dire que mon propos n’est pas un propos de sociologue. Il n’est pas non plus de dire comment on punit aujourd’hui dans les établissements scolaires français. Je ne vous présenterai pas un bilan ou un état des lieux sur la sanction qui serait une sorte de complément aux enquêtes d’Eric Debarbieux sur la violence. Ma préoccupation est d’ordre philosophique, elle consiste à penser le concept de sanction éducative. Qu’est-ce qu’un sanction éducative ? Voilà la question qui me préoccupe.
 
Seconde remarque, je voudrais m’excuser parce que je vais dire des choses simples, élémentaires, mais je crois qu’il est bon de les dire, car cette question de la sanction a longtemps été une question taboue, véritablement frappée d’indignité intellectuelle. La sanction est un impensé de la réflexion éducative contemporaine. On peut aujourd’hui faire l’éloge de la loi sans dire un seul mot de la sanction, ce qui est, reconnaissons-le, un tour de force intellectuel.
 
La question du fondement
 
Qu’est ce qui fonde le droit de punir ?
 
On peut dire les choses de manière compliquée et savante avec Hegel, mais on peut aussi les dire sans Hegel et plus simplement.
 
Pour le dire simplement, disons que dans l’ordre de la morale, il n’y a pas de sanction. Le monde désintéressé de la morale ignore le principe de rétribution, il est étranger aux lois de l’équilibre et de la compensation.
 
La morale n’est pas là pour punir ou pour réprimer. Elle commence là où aucune punition n’est possible, là où aucune répression n’est efficace, là où aucune condamnation n’est nécessaire.
 
Fonder la sanction, c’est donc la ramener dans sa sphère de validité. C’est l’inscrire dans un espace marqué au sceau du droit et en admettre la double présupposition :
 
-la reconnaissance du principe d’indentité juridique entre les sujets (Pierre vaut Paul qui lui même vaut Marguerite).
-l’objectivation des Libertés en une série de droits explicites. En ce sens, la réflexion sur le règlement intérieur, qui est l’incarnation d’une normalité juridique dans les établissements, est essentielle puisqu’il rend pensable et légitime le recours à la sanction.
 
Fonder la sanction, c’est l’inscrire dans l’espace juridique de la réciprocité et de la mutualité.
 
En d’autres termes la sanction présuppose un cadre, objectivé de nature juridique, de règles.
 
La question des fins
 
Préciser le fondement ne nous dit pas ipso-facto, à quelles fins on doit sanctionner.
 
Une sanction qui se prétend éducative vise trois fins d’égale dignité :
 
Une fin politique
 
La sanction n’est pas une stratégie de réactivation du pouvoir de l’adulte, de l’éducateur, du maître ou du prof, mais elle est là pour rappeler la centralité de la loi, d’où l’importance de la qualité de la règle : que vaut le rappel à la loi, lorsque la loi est inique ou lorsqu’il s’agit d’une petite règle tatillonne ?
 
Ce qu’il faut aussi dire, c’est que restaurer la primauté de la loi, c’est dans le même moment péserver l’intégrité et la cohésion du groupe.
Le « vivre-avec » autrui est articulé au « vivre-devant » (la loi). Il faut réhabiliter la loi et sa valeur d’instance
 
Une fin éthique
 
La sanction vise à faire advenir un sujet responsable en lui imputant les conséquences de ses actes.
 
L’idée n’est pas d’attendre que l’enfant soit responsable (car on peut attendre longtemps) mais de le sanctionner de telle manière que l’on anticipe en lui la venue d’un sujet responsable. C’est en pariant sur la liberté d’autrui qu’on l’actualise, c’est en traitant l’adolescent comme un sujet responsable qu’il le deviendra ou tout du moins qu’il a des chances de le devenir.
 
La logique éducative prend le contre-pied de la logique déductive classique. En matière éducative, il faut bien souvent parier sur l’existance de ce que précisement on a charge de faire advenir.
 
La sanction éducative a une fonction de responsabilisation.
 
Une fin psychologique
 
La sanction est un coup d’arrêt, elle est là pour signifier une limite, pour arrêter un fantasme de toute puissance, une dérive violente, une attitude régressive. Elle est bien souvent là pour casser la spirale du faire mal - se faire mal. Elle est là pour faire césure. D’où l’on voit que préciser les fins, c’est déjà pré-définir la forme, car si elle est là pour faire césure, elle ne saurait être un double, un calque, une simple duplication de l’acte fautif.
 
La sanction vise à réorienter un comportement à la dérive. Sa finalité psychologique ultime est d’ouvrir de nouveaux commencements. En ce sens, une sanction qui compromet l’avenir d’un fautif, n’est jamais une sanction éducative.
 
Trois remarques pour finir
 
La première s’inscrit dans le prolongement de ce que je viens de dire à l’instant. Une sanction qui compromet l’avenir d’un contrevenant n’est jamais éducative, je pense ici au problème de l’exclusion qui n’est pas une sanction nécessairement éducative, tout en étant légale. Sanction légale et sanction éducative ne sont pas des propositions identiques, superposables. C’est par ce décalage de la légalité et de l’éducatif que s’introduit la réflexion éthique.
 
Si l’établissement scolaire fonctionne au droit, à la norme juridique, la classe fonctionne au rituel, de par sa configuration « physique », de par sa nature « interactive », de par sa fonction qui est d’être un « lieu d’exercice », la classe est un lieu de ritualité. Il n’y a pas d’analogie, de symétrie entre rapport au savoir et rapport à la loi (1). Il faudrait montrer, tout au contraire que l’apprentissage, que la transmission requiert de la ritualité. Le lien entre socialisation et savoir ne passe pas par la question de la loi, mais par celle des rituels. Penser le cadre socialisant de la classe, ce n’est pas seulement penser les règles et les modes de production de la règle, c’est aussi penser les médiations infra-juridiques que l’on peut mettre en place au sein de la classe.
 
Dernière remarque, elle concerne la question de la légitimité de punir. Il ne vous a pas échappé que cette question est souvent l’objet de litige, d’échanges assez vifs voire conflictuels avec les parents. La question des règles de fonctionnement et des sanctions doit faire l’objet d’une rencontre, d’une information, d’un échange avec les parents. C’est essentiel, non pour extorquer un consentement, mais pour clarifier et préciser les enjeux et les modes de fonctionnement.
 
La légitimité de l’école n’est plus une légitimité institutionnelle stricte, c’est une légitimité mixte, institutionnelle et procédurale. C’est à dire que l’école ne peut plus faire silence sur la manière dont elle fonctionne et notamment sur la manière dont elle sanctionne les contrevenants à l’ordre scolaire.
 
1-Eirick Prairat, La sanction, Paris, l’Harmattan 1997, voir le chapitre « Petite phénoménologie de la loi »



 
 
Eirick Prairat,
maître de conférences
à l’IUFM de Lorraine, auteur de :
Eduquer et Punir, 1994 Presses Universitaires de Nancy,
La sanction, petites médiations à l’usage des éducateurs, 1997, l’Harmattan,
Penser la sanction, 1999 l’Harmattan