Raccourci vers le contenu principal de la page

Les enfants captifs

Janvier 2001

Chronique de l'école ordinaire

 
Les enfants captifs
 
La pédagogie a beaucoup évolué depuis quelques décennies. Dans son vocabulaire. Pas question de la changer, il suffit de la dire autrement. Le maître d'école, après être devenu instituteur, est bombardé « professeur des écoles » dont le principal avantage est d'alimenter des discussions interminables sur son féminin alors que la majorité de la profession est féminine, le travail individualisé « pédagogie différenciée », les groupes de travail « groupes de besoins », les questions qu'on se pose « problématique », le « gavage » ou comment tenter de faire boire un cheval qui n'a pas soif « didactique »...
 

 

 

Le propre des instances qui se préoccupent des jeunes est leur vélocité à utiliser les vocables nouveaux, en particulier à propos des intéressés quand ils ne sont pas là. C'est ainsi que dans un Conseil dadministration de collège j'ai entendu : « Pendant qu’ils sont captifs il faudrait former les élèves à l'orientation ».
 
Une brusque bouffée professionnelle ma rendu pensif. L'orientation, c'est comme l'amour, ça s'apprend sur le terrain avec carte et boussole. Comment s'y prendre avec des captifs ? Avec une corde très longue ? Avec un élastique ? A quel piquet nouer la longe ? Comment la financer à l'aide des crédits scolaires ? Chacun a-t-il la sienne ou tout le monde est-il amarré au même câble ? Un territoire boisé n'est-il pas un handicap ?
 
J'avais mal compris. Il ne s'agissait pas de parcours tout terrain, mais d'orientation professionnelle, bien que ce soit un peu pareil.
 
Il n'empêche que ce « captifs » m’a laissé rêveur… Ces captifs ont-ils été capturés, captivés, ou captés ? Sont-ils les prisonniers de la guerre aux jeunes ? Ont-ils été condamnés pour péché de jeunesse ? Est-ce pour mieux les emprisonner qu'un ministre de l'Éducation Nationale a décidé de mettre les élèves au centre du système éducatif ? Est-ce pour le remercier qu'on l'a nommé Premier Ministre ? La captivité donne-t-elle envie d'apprendre autre chose que les ficelles du parfait fugueur, du parfait cafteur, du parfait passif ou du parfait gardien d'enfants ? Les écoles sont-elles des stalags ? Le travail y serait-il une corvée ? La fréquentation d'au moins une prison maternelle, une prison élémentaire et une prison secondaire est-elle nécessaire à la formation d'un citoyen libre, égal et fraternel ?
 
Et si ce terme avait été lancé à bon escient par quelqu'observateur officiel particulièrement clairvoyant et perspicace ? Il a vu. Il dit : « A l'école les jeunes sont captifs ». Il ne le déplore pas, il en tire parti : « profitons-en pour leur apprendre l'orientation ». Ce serait effectivement une mesure de salubrité publique de leur enseigner à se sauver intelligemment. Le choeur des Conseils d'administration reprend cette bonne idée. Il faut bien tenir compte de l'état des lieux dressé par une Autorité.
 
Et c'est tellement plus simple que d'aménager un milieu scolaire où on a besoin de venir pour apprendre, avec d'autres, en produisant !