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Déconstruire le collège comme on vide un cartable

Février 2001

 

« Déconstruire le collège
comme on vide un cartable. »
Le groupe collège de la maison Robinson

 

 

 

Le groupe dit de collège mis en place en Octobre 2000, au sein de la Maison Robinson répond à un double objectif :
-donner prétexte à de jeunes préadolescents d'une cause sérieuse pour obtenir le droit et donner un sens acceptable à venir fréquenter la Maison Robinson en tant que lieu très attaché aux valeurs du jeu et de l'enfance.
-répondre au véritable problème de cette liaison CM2 6ème, qui année après année, voit des enfants vifs et actifs devenir en peu de temps des "incasables" au collège. Même sur le plan scolaire la chute vient alors redoubler et justifier secondairement la chute première dans l'estime des adultes.
Laurent Ott * nous présente le fonctionnement de ce groupe.
 
 
Nous ne voulions pas faire du scolaire à la Maison Robinson ; nous pensons en effet que le scolaire a déjà trop envahi de la vie des enfants, qu'il a trop annexé et souvent lâchement l'espace de la vie de famille et qu'il tient lieu à trop bon compte et à tous les niveaux de projet éducatif porté sur l'enfance.
 
C'est un espace tout autre que nous avons cherché à bâtir à la Maison Robinson, axé sur des relations ludo-éducatives poursuivie dans le temps.
 
Mais pour autant, nous ne pouvons ignorer cette réalité dans laquelle se meuvent et s'émeuvent nos "grands enfants", ces incasables, ces préadolescents pour lesquels d'ailleurs il existe tellement peu de structures et de loisirs adaptés…
 
Bref, pourquoi alors ne pas partir du collège, mais du collège autrement ?Il s'agirait alors moins de soutenir le collège comme institution que de le déconstruire en tant qu'espace étranger à la vie de l'enfant.
 
De quoi ont besoin ces quelques pré ados que nous recevons dans le groupe ? Nous leur avons dit très vite qu'il ne fallait pas compter sur nous pour faire leurs devoirs; ils savent d'ailleurs que pour cela, d'autres structures existent, pour les fréquenter assidûment, certains n'ont pas obtenu l'autorisation de nous rejoindre.
 
Nous n'allons certainement pas non plus leur donner de leçon ou leur faire un cours, aucun cours, rien et même pas de méthodologie ou de méthode. Non, nous allons juste prendre du temps et des rites au sujet du collège.
Qu'est-ce à dire ? Il s'agit d'un groupe fermé à la disposition des collégiens reçus ; il s'offre à les aider de mieux vivre au et le collège.
 
Déconstuire le collège comme on vide un cartable
 
Il se passe beaucoup de choses avec l'enfant quand on vide avec son consentement son cartable. Nul doute que l'inventaire que l'on peut alors faire ne se limite pas au matériel : il est aussi inventaire, des joies, des peines, des découragements, des émotions ressenties, des déceptions, des petites joies et des petites fiertés qui ont fait la journée et qui façonnent la vie au collège.
 
Rien de plus important donc pour l'accompagnateur et pour l'accompagné que de déconstruire la journée et la semaine, en vidant le cartable.
 
Toutes ces affaires retirées devront ensuite être examinées comme autant de petits patients. Que nous indiquent elles ? Sont elles froissées ou conservées, rangées ou perdues ? Portent elles en rouge des stigmates de honte ou des marques de réussite ? Sont elles toutes utiles ou inutiles ?
 
Il faudra qu'on s'occupe des affaires les plus malades : soigner les perforations de certaines copies ou commencer simplement à les défroisser. Peut-être faudra-t-il donner quelques chemises cartonnées pour la convalescence de certains documents.
 
Le Nord est parfois perdu depuis longtemps dans certains classeurs. On ne sera pas trop de deux pour s'y retrouver un peu…
 
On soigne les affaires. "Comme on traite son corps, on traite sa mère", disait Dolto. Comme on traite son cartable, on traite son collège pourrait-on ajouter… Mais le corps là aussi n'est pas loin non plus. Le soin des affaires est affaire de corps et de cœur aussi.
 
Même s'il n'était que cela, le groupe collège vaudrait une boussole !
 
Mais il n'y a pas que ça, parce que, bien sûr, on parle, et on raconte…On raconte ce qui s'est passé, ce qu'on a entendu, ce qu'on a vu, ce qui nous fascine…
 
"Et toi, qu'as-tu fait?"
 
Jeudi 9 Novembre
 
Les préadolescents qui font partie du groupe, nous les connaissons depuis plus de 2 ans ; on a tout de suite pensé à eux et à d'autres en décidant de ce groupe…
 
Ils ne sont que 3 ce soir…
 
Il y a PM : un enfant de 11 ans, un peu replié sur lui, un enfant complexe et exigeant ; pour lui ça lui coûte franchement la règle de devoir venir chaque jeudi, au point qu'il ne pensait ne plus pouvoir venir… Alors on a négocié l'accord suivant : il tient, il est là avec nous, au moins pendant le quoi de neuf ? Et puis après on le laisse vaquer seul à ses affaires ; il va taper un texte sur l'ordinateur, recopier des documents. Il a besoin d'être seul, mais… parmi nous.
L est là : elle est en 5ème ; elle rit tout le temps, elle rit tellement, L., que parfois on est obligé de la sortir de la classe au collège… Elle va essayer de ne pas trop rire ce soir car elle aimerait que ce temps lui soit utile. Pour L. la règle d'assiduité est dure aussi car "on peut se fâcher". C'est dur de préserver sa liberté au delà des disputes… C'est dur les disputes ; on va essayer que notre "atelier" soit préservé de la tyrannie des disputes.
 
J. n'est pas là et c'est un comble : il est le plus accroché ; il a redoublé sa 6ème car "il s'est trop laissé entraîner". Pourtant bon élève en CM2, J. est un enfant tendre et attachant, un peu rêveur. Ce groupe l'intéresse beaucoup et sans doute il sera là la semaine prochaine. La semaine dernière, il nous avait parlé de la Biologie qu'il n'aime pas et il nous avait demandé qu'on cherche avec lui un moyen de la lui faire aimer.
 
V. est là, comme toujours : elle amène sans cesse son cartable plein à la gorge, il faudrait presque une grue pour le soulever. On sort tout. Je regarde tout, je sais que j'y suis autorisé. Je commente, je demande ce qui est nouveau, ce que ça raconte, à quoi se rapporte telle ou fiche ou la raison des mots sur le carnet de liaison avec les familles…
 
On commence le quoi de neuf? Alors, qu'est-ce qui s'est passé de marquant au collège ? Rien, oh et puis si, il y a eu le cross du collège. A ce cross, tout s'est emmêlé. Il y avait les filles qui n'avaient pas envie de courir (« dans mon groupe, j'étais trentième sur soixante », nous dit L) et ceux qui voulaient trop gagner. Les enfants nous racontent d'étranges histoires qui ont beaucoup d'importance : tel ou tel cousin qui aurait dû gagner et qui aurait été poussé, disqualifié, retenu ici ou là. Les versions s'emmêlent. Les enfants se rejoignent pour raconter l'anecdote de ce père venu courir avec son fils et qui s'est emporté contre deux ou trois collégiens. Tout s'est envenimé, il les a poussés ; les collégiens sont revenus plus nombreux, les pierres ont volé, les profs sont arrivés, ça a été la panique générale…
 
Une question que je sais importante: « Et toi, et toi, donc dans toute cette pagaille, qu'est ce que tu as fait ? »
 
Chaque enfant explique alors sa stratégie pour faire avec le désordre, pour faire avec le brouillage des émotions et des ressentiments ; il est essentiel de donner à entendre comment on a cherché, comment on a réussi à se protéger de cette ambiance. V. est rentrée chez elle ; P n'a rien vu.
 
Mais le temps passe, l'atelier est court en ce début d'année, on se donne la liberté éventuelle de le prolonger à l'avenir.
 
A quoi peut-on vous être utiles ? demandent les deux adultes, à savoir Pierre et moi. P en profite pour s'éloigner comme il en a le droit. L. demande de l'aide pour apprendre une leçon, V. , elle avait méticuleusement mis de côté tout ce qui lui avait donné de la peine ; elle est extrêmement patiente, prête à travailler, très organisée. Elle a une façon bien à elle de réussir malgré les lacunes, malgré les difficultés.
 
Quand le temps sera fini, on n'aura pas eu le temps d'en faire le tour. On range les affaires, on discute encore un peu, et on se re-confirme que la semaine prochaine, même heure, on sera là pour chacun et chacune. Cette fois ci, il y aura J. De toute façon, on va le revoir dans la semaine. Il est possible aussi qu'on propose à deux ou trois autres pré-ados du quartier et qui fréquentent par ailleurs la Maison Robinson de se joindre à nous… Mais c'est une décision qui sera mûrement réfléchie.
L'atelier vu des adultes
Je ne donnerai plus jamais de cours particuliers : c'est un piège où on s'ennuie à côté de l'enfant. De même je ne ferai plus de soutien scolaire : ça tourne soit à la garderie, soit au stakhanovisme scolaire: il faut faire les devoirs, les enfants, les parents, les enseignants l'attendent et les animateurs au bout de l'échelle perdent dans ce monceau de contrainte toute possibilité de rencontre libre.
 
On a le temps dans notre atelier, le temps de dire, de parler, de regarder, de lire, de ranger, de regarder comment l'enfant fait avec le désordre, le sien, celui des autres, celui des institutions.
 
C'est ce temps de regard qui est si primordial.
 
Laurent Ott

 



 
 
LA MAISON ROBINSON DE LONGJUMEAU:
 
UNE VEILLE EDUCATIVE DE PROXIMITE
AU SERVICE DES PARENTS ET ENFANTS
 
L'Association INTERMEDES regroupe des travailleurs sociaux et des citoyens concernés par les questions de co-éducation aujourd'hui ; elle développe une action originale et innovante de "veille éducative" qui vise à :
·                lutter contre la solitude enfantine
·                favoriser l'initiative citoyenne des enfants dans leur quartier
·                soutenir la fonction éducative
 
Pour ce faire, notre action, appelée Maison Robinson et localisée à Longjumeau (91), réalise un travail de veille éducative de proximité sur le quartier sud de cette ville et fidélise à ce jour 130 enfants et leurs familles.
 
Notre structure intervient sur 3 terrains complémentaires qui garantissent son fonctionnement :
·                actions de rue en grand groupe pour se faire connaître, fidéliser les enfants et les parents.
·                soutien de groupes d'enfants porteurs de projets d'animation sociale, pour leur permettre de réaliser leurs potentialités ailleurs qu'à l'école et dans leur famille.
·                soutien d'individus isolés et de leurs parents.
 
Notre structure répond a trois critères d'actions qui nous semblent essentiels :
·                le mélange des âges et l'accueil des enfants chargés de plus jeunes
·                la gratuité et la liberté d'aller et de venir
·                la permanence et la durée visée de notre engagement auprès des enfants
 
Notre programme a la particularité d'aborder le soutien de la fonction parentale à partir de la demande des enfants.
 
Contacts:
Association INTERMEDES
28 rue des Marguerites,
91 160 Longjumeau
intermedes[arobase]wanadoo.fr
http://assoc.intermedes.free.fr/
 
 
 
Laurent Ott
éducateur et enseignant, 
auteur de « Les enfants seuls » , DUNOD, 2000
président de l'Association INTERMEDES :
Programme de soutien de la fonction éducative et de lutte contre la solitude enfantine (Longjumeau- 91)
 



 

 

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