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Entrées en poésie

Dans :  Arts › Principes pédagogiques › 
Avril 2001

L’école restreint souvent le contact des enfants avec la poésie à la récitation (notée !), la lecture par les maîtres de textes d’auteurs et l’écriture « à la manière de ». Comment dépasser ces pratiques pour « inviter l’enfant à mettre en mots leurs émotions, leurs rêves, la vision qu’ils ont des choses et du monde, leurs interrogations… »

« La poésie n’est sûrement pas ce jeu facile de rimailleries médiocres qui de surcroît n’ont aucun sens. Encourager les enfants à cette pratique ne leur apporte rien : aucune réflexion, aucune émotion, aucun plaisir, rien qui puisse nourrir leur personnalité. Mettre ces productions en valeur, c’est manquer de respect aux enfants, en donnant une fausse image de leur « être » et de leurs possibilités. »
 
Nous proposons ici, diverses entrées en poésie, issues des pratiques de classe du premier et du second degré, elles n’évitent pas les écueils évoqués (phénomènes de mode, écrits stéréotypés…) mais elles visent toutes à permettre aux enfants de vivre l’aventure poétique et la prise de risques qu’elle entraîne.
 
« Si le maître, volontairement ou involontairement a laissé croire aux enfants que la poésie naît de l’application mécanique d’une formule piquée ça ou là et non intégrée dans sa sensibilité personnelle, les conséquences se révèlent très vite, et dans toute leur horreur, à l’occasion de la production d’écrits. Le langage révèle également des symptômes : par exemple l’enfant dit « on fait poésie »… comme si la poésie était une excrétion ! »
 
Les passages entre guillemets sont issus d’un article de la revue « Chantier Pédagogiques de l’Est » .
 
Entrer en écriture chaque jour…
 
A partir de l’expérience de l’école Bizu (voir le Nouvel Educateur n° 126) sur la phrase du matin, trois classes de Picardie se sont lancées dans des moments rituels d’écriture. Si l’idée de départ était la même, « entrer en écriture chaque jour », si les objectifs étaient les mêmes, « favoriser les automatismes de l’écrit », les cheminements ont très vite varié et ce moment a pris des places différentes dans les classes.
 
De la phrase du jour au roman...
Cycle 3 année scolaire 1999-2000 (13 CM2 et 12 CM1) Classe de Denis Demarcy, école de Bonnay (80800) dans la Somme.
 
C’est en regardant la liste de diffusion des écoles que je suis tombé sur un texte d’élève de la classe d’Hervé Moulé à l’école Bizu, qui présentait son travail sur la phrase du jour. J’ai eu envie d’essayer avec mes élèves. Je l’ai donc proposé aussitôt et très vite des élèves ont pris l’habitude de venir sur la liste de diffusion pour lire les phrases du jour et pour en faire un compte-rendu à la classe.
 
Puis chaque matin, en début de journée, nous avons pris l’habitude de venir lire nos phrases. Ceux qui voulaient venir les lire pouvaient le faire et nous en restions là.
 
Puis tout doucement la phrase du jour est devenue texte. Nous partions à chaque fois d’un mot. Nous avions fait une liste de mots et des responsables piochaient un mot dans cette liste. Cela pouvait être liberté, soleil, fraternité, poisson, eau, oiseau, faim, guerre...
Au fil des jours les textes devenaient de plus en plus poétiques. J’ai ressenti alors très fort les influences qui émanaient du groupe, les phénomènes de mode, les choix qui s’affirmaient dans le groupe, par les échanges oraux, la classe se trouvait un certain style au fur et à mesure des séances. Au lieu de dire « Il ne faut pas copier », je disais plutôt « Si une formule entendue te plaît, fais-la tienne, approprie-la toi, transforme-la, adapte-la à ce que tu veux dire ». Comme en Arts Plastiques quand on prend un fragment d’une oeuvre qui va servir de départ à une autre production. On peut diviser, multiplier, cacher, mettre en relief une partie, atténuer une autre..
Ce qui me semblait intéressant c’était de faire écrire chaque jour, de travailler sur la durée comme je l’ai fait depuis de nombreuses années dans le cadre de notre journal quotidien.
 
Le matin, les distributeurs donnaient la moitié d’une feuille blanche (sans ligne, ça donne davantage l’idée de liberté et ça fait beaucoup moins scolaire). Les enfants travaillaient au crayon de bois en un temps donné. Pas plus de dix minutes. Ce qui demande une certaine concentration et ne permet qu’un premier jet condensé. Ce qui a été très surprenant dans ce travail, c’est l’extraordinaire fécondité qui est apparue rapidement. Les enfants ont produit très vite plus de dix lignes. Je ramassais les productions après leur lecture et me rendais compte des progrès dans tous les aspects de la production des textes : syntaxe, choix du vocabulaire, utilisation des règles orthographiques, relations grammaticales entre les mots. Cela me permettait de bien cibler mes interventions dans ces domaines. Le fait d’écrire de façon concentrée chaque jour permettait de mettre en place des automatismes.
 
Les enfants qui peinaient dans l’écriture pouvaient se faire épauler par d’autres. Les productions restaient individuelles (un texte, un auteur qui restait maître de son écrit mais avec la possibilité d’être aidé par le groupe classe.)
 
Au fil des semaines, les textes se diversifiaient et un thème pouvait amener aussi bien l’écriture de poésies, d’histoires ou de textes argumentatifs.
 
Les enfants adoraient ces temps de travail individuel de création personnelle mais vécus en commun avec une phase orale de partage où chacun venait devant le groupe faire cadeau de ses trouvailles.
 
La proposition d’un enfant de mettre son texte dans le journal nous a amené à utiliser le code de correction pour normer les productions au niveau orthographique, pour leur donner une bonne structure et une bonne cohérence.
 
Le maître place le code de correction et l’élève effectue les recherches nécessaires. Il s’ensuit alors pour l’élève une série de navettes entre son travail, les outils et le maître. Le maître aide l’enfant à aller le plus loin possible dans l’affinage du texte. Selon le niveau de compétence de l’enfant et selon ses possibilités de rester longtemps concentré sur un même écrit, on pourra lui demander d’aller plus ou moins en profondeur dans le travail de réécriture. A cette étape l’enfant se sert des outils mis au point dans la classe et dans le classeur de français.
 
La proposition de faire des recueils de textes poétiques suivant les thèmes a amené le groupe classe à des phases de correction collective avec amélioration des tournures, du vocabulaire et du jeu sur les mots.
 
En fin d’année nous avons travaillé sur des écrits plus longs. Nous avons produit de petits romans par groupes de quatre avec toujours cette écriture du matin et nous avons pu les éditer en juin.
 
A mon avis ce qui a beaucoup plu aux enfants au départ du projet, c’est un sentiment de liberté. Nous avons dans la classe un plan de travail très utile pour planifier, gérer la vie de classe mais qui risque très vite de devenir un carcan si on n’y est pas attentif. Nous ne devons pas devenir prisonniers de nos outils. Cette approche par la phrase du matin est entrée dans la classe comme une bouffée d’air pur. Le premier jet sert à poser l’essentiel, les idées force. Le travail de réécriture va permettre d’interroger les mots
 
Cette nouvelle approche des productions d’écrits m’a permis de prendre un peu de recul et d’entamer un travail de réécriture avec meilleur respect des rythmes d’apprentissage de l’enfant avec à terme une meilleure qualité des productions. Sans objectifs trop précis, trop lourds, je les ai laissés écrire tout en les accompagnant dans les phases suivantes.
 
En pédagogie Freinet ce sont toujours les systèmes de départ les plus simples qui fonctionnent le mieux et qui nous permettent d’aller le plus loin.
 
Mode d’emploi pour écrire la poésie du jour
 
1.Distribuer des feuilles blanches et des crayons de bois
 
2 Choisir un mot, exemple : liberté
 
3. Se donner 10 minutes pour écrire
 
4. Lire sa production aux autres si on le souhaite.
 
Pour le maître : Surtout ne rien faire au départ, il faut que cela devienne un moment de pure production pour montrer aux enfants que l’on peut écrire par plaisir et sans qu’une exploitation scolaire systématique n’arrive aussitôt.
 
L’envie et le besoin se feront bientôt sentir de retravailler les textes. Alors le maître accompagnera l’élève doucement au début, puis de plus en plus loin pour qu’il donne le meilleur de lui-même.
 
 
 
Nos outils
 
Un tas de dictionnaires :
-dictionnaire des noms communs
-dictionnaires Larousse, Hachette, Petit Robert...
-dictionnaire analogique
-dictionnaire des synonymes
 
Code de correction
3000 mots
petit guide de conjugaison
 
 
Pour écrire une poésie c’est très facile…
 
Il faut beaucoup de liberté, un peu de temps, beaucoup de silence, un crayon, du papier et se mettre à rêver sur un mot, une idée, un paysage, un souvenir, un papillon, un rayon de soleil… puis se mettre à écrire son rêve de façon naturelle.
 
Se relire, relire son rêve, corriger quelques mots par-ci, par-là, puis offrir le texte aux autres sur le papier ou à voix haute.
 
C’est ce que nous faisons souvent dans notre classe.
 
Animaux
 
Moi, j’aime les animaux
Sauf la puce et le pou ;
Puce, tu me stresses.
Quand je te vois
Je te frite avec une tapette
à mouche.
Pou tu m’énerves
Si je te vois
Je te torture et je te tue.
 
Kévin Miani
 
Printemps
C’est l’herbe fraîche
Printemps
C’est le soleil
Printemps
Oiseaux très beaux.
 
Ingrid
 
Je suis souvent le premier lecteur des textes des enfants. Dans « le texte du jour », il y a la spontaneité d’un premier jet. Ce texte est à respecter en lui-même, c’est pourquoi j’y applique le code de correction pour le rendre lisible pour les autres et pour l’auteur.
 
Mais beaucoup de textes nous ouvrent des pistes pour la création d’autres textes, pour l’auteur ou pour le groupe.
 
Quand l’enfant me lit ou me donne son texte à lire, après l’avoir remis au propre (on dit « lui avoir fait sa toilette) grâce au code de correction, je lui montre, après échanges sur son texte, la richesse de certaines phrases, qu’il serait intéressant de creuser (soit pour une idée à developper, soit pour un rythme, une recherche de sonorité, un procédé poétique…).
 
Ici, dans le texte de Kévin, je lui propose d’interroger la phrase « Liberté, c’est quand on sort de prison on est en liberté ». Ceci commence par l’opposition prison-liberté. Définir la liberté par le manque de liberté. Le groupe ou quelques élèves peuvent aider à cette réflexion. On aboutira sur une deuxième création personnelle ou collective. Ainsi Stéphane, en entendant notre échange, réagit au texte de Kévin en écrivant le point de vue d’un prisonnier qui regarderait par la fenêtre de sa prison :
 
Liberté
 
Regarde la liberté qui joue
Regarde la liberté, le vent et les arbres
Regarde la liberté, les fleurs fleurir
Regarde la liberté qui te demande pardon
Regarde la liberté qui te parle
Regarde la liberté qui te fait signe.
 
Stéphane
 
Cécile réagit aussi à cette idée et lance une nouvelle piste à interroger.
 
Il ne faut pas faire l’erreur de vouloir corriger collectivement le texte de l’enfant. Il faut l’accepter tel quel, en lui faisant sa toilette au niveau de l’orthographe et de la présentation. Puis montrer à l’enfant que ce texte nous apporte des matériaux au niveau de la langue qui nous parlent, qui nous interrogent. A nous de profiter de ces matériaux, de ce questionnement pour aller plus loin.
 
Notre travail de pédagogue consiste souvent à aider les enfants à faire émerger des questions, à leur apprendre à s’interroger sur le monde qui les entoure, à profiter et à utiliser les matériaux les plus divers pour les assembler d’une façon originale en créant du sens. C’est vrai, ici, en poésie.
 
Il faut insufler dans la classe, cet esprtit de respect de l’œuvre individuelle, tout en apprenant aux élèves cet esprit d’ouverture qui leur permet de se saisir de cette création pour s’en nourrir et avancer, pour aller plus loin dans le bonheur de créer.
 
Denis Demarcy
 
 
Classe de cycle 3 (17 CM1 et 7 CM2 ) de Gaëlle Véru
Ecole de Ravenel (60130) dans l’Oise
 
Tous les matins - après le moment d’organisation - nous faisons «Poésie du jour».
Les enfants et moi-même écrivons à partir d’un thème donné comme par exemple l’arbre, l’amitié, la mort, l’amour... C’est le groupe responsable de la semaine qui lance un thème. Nous avons environ 5 minutes pour écrire ce à quoi nous fait penser ce thème. Toutefois, l'enfant est libre de ne pas écrire si le thème ne l’inspire pas.
 
Ensuite, chacun lit son texte à la classe qui écoute attentivement puisqu’il s’en suit un vote du - ou des meilleurs - texte(s) du jour. Le poète du jour est chargé de recopier son texte, après correction, dans le recueil de la classe « Le coin des poètes ». Il peut également le taper à l’ordinateur, l’illustrer... La seule contrainte qui lui incombe, c'est le délai : il doit le faire dans la journée afin d’éviter qu’il ne l’oublie (décision prise récemment au Conseil). Néanmoins, chacun peut également écrire son poème dans le recueil de la classe.
 Ce moment quotidien se termine par une lecture de poèmes par le groupe responsable de la semaine, qui est chargé de sélectionner un ou plusieurs poèmes en rapport ou non avec le thème du jour (autre décision du Conseil).
 
Les enfants côtoient ainsi de plus près des textes d’auteurs qui souvent leur échappent. La poésie devient familière et quotidienne. C’est ainsi que l’on note une évolution dans leurs textes. Au début de l’année, les CM1 ( nouveaux arrivants dans la classe ) écrivent peu et souvent sous la forme d’une liste :
 
L’amitié
 c’est un moment très fort
entre deux personnes
 qui s’aiment,
 ou quand on a un ami.
Alors voilà, c’est ça l’amitié.
 
Annabelle (CM2)
 
L’esclavage c’est mal ! 
La liberté c’est bien !
 
Fabien (CM2)
 
Ils abandonnent le réel pour ne conserver que les images. Mais dans le courant de l’année, les enfants s'approprient davantage certaines tournures plus poétiques :
 
La misère nous fait pleurer.
Si je pars en vacances,
 je n’ai jamais le droit de sortir.
Quand il pleut,
nous ne pouvons pas sortir ou partir.
Misère, misère, arrête,
 tu me fais mal dans mon cœur.
Arrêt de m’enfermer,
je veux sortir un peu.
Je suis en colère à cause de la misère,
 parce que je suis toujours enfermée.
Misère, misère,
peut-être tu me feras sortir un jour,
 mais pour l’instant tu m’as enfermée.
Misère, je suis triste à cause de toi
alors maintenant sors-moi.
 
Cécilia (CM1)
 
Le faucheur
Lorsque les soldats partent en guerre, on sait que la moitié des soldats ne reviendra pas. Le faucheur emmènera leur âme loin, très loin. Mais des soldats reviendront. Ils auront réussi à échapper au faucheur.
Mais le faucheur n’a pas dit son dernier mot. Il gagne des âmes tous les jours, à cause des maladies, accidents, vieillesse...
Il y a quelques jours, le faucheur a gagné une nouvelle âme : celle de mon arrière-grand-mère.
Le faucheur est très content mais, moi, je suis très triste.
Fabien (CM2)
 
Les enfants semblent abandonner le concret des choses qui les entourent pour ne conserver que leurs images. Ils se libèrent davantage et laissent enfin parler leurs sentiments.
 
Pourquoi consigner nos textes dans notre recueil ? D’une part, parce que les enfants aiment lire et relire leurs textes ou ceux de leurs camarades, frères et sœurs... Certains y vont chercher des idées, d’autres les lisent pour le plaisir. Notre recueil de textes regroupe tous les textes écrits depuis 3 ans maintenant. D’autre part, parce que cela constitue un éventail de textes pour le journal, les correspondants... En outre, si les enfants décidaient d’éditer et de vendre leur recueil de textes - comme cela s’est produit il y a 2 ans - le travail en serait facilité.
 
Pourquoi n’accorder aux enfants que 5 minutes environ ? Tout simplement parce qu’après les enfants s'égarent très vite et n’écrivent plus aussi spontanément.
 
Classe de cycle 3 (8 CE2, 13 CM1, 6 CM2) de Patrick Bermond
Esmery-Hallon (80400) dans la Somme
 
 
Mes conditions particulières d'enseignant (Brigade sur 2 mi-temps) m’obligent à faire « Les poésies de la semaine » : le lundi et le mardi, lorsque je suis en classe de cycle 3. Chaque semaine, un thème est proposé aux enfants en temps limité : 10 à 15 minutes.
Chacun est libre d’écrire sur ce thème. Ce temps écoulé, les enfants volontaires lisent leur texte à la classe afin d'effectuer une sélection de trois textes : un par niveau (CE2/CM1/CM2). Telle était la décision du Conseil récemment.
A l’aide du code de correction, chacun corrige son texte. Puis, nous procédons à « une mise au point de textes » collective des 3 textes sélectionnés (orthographe, cohérence et mise en forme). Tout changement proposé ne peut intervenir sans l’accord de l’auteur.
La collègue titulaire de la classe, quant à elle, propose un large choix de poésies aux enfants et travaille plus spécifiquement sur les tournures poétiques. Ainsi, j’ai pu noter que certains enfants commencent peu à peu à les réinvestir à bon escient.
Après 3 mois, nous commencions à accumuler bon nombre de textes. Les enfants ont éprouvé le besoin d’être lus à l'extérieur. C’est pourquoi, lors d’un Conseil, les enfants ont émis plusieurs propositions : aller lire les textes aux camarades de l’école, les envoyer aux correspondants, les regrouper dans un premier recueil qui a été vendu lors du marché de Noël de l’école.
 
Le bonheur
 
Hier j’ai eu un petit frère et il s’appelle Enzo.
C’est le bonheur.
Anthony A. (CE2)
 
La misère
 
Je pars une semaine
 en vacances.
Je suis partie à la mer: fermé,
Au ski: fermé
Camper: fermé
En Bretagne: fermé
A la pêche: fermé,
Au golf, fermé.
C’était fermé
à tous les endroits.
C’est la misère.
Je rentre chez moi en colère.
Evelyne D. (CM1)
 
 
L’eau
 
L’eau c’est beau.
Je vais vous le dire
quand c’est le plus beau,
Non quand elle coule
du robinet,
Mais quand elle fait
une chute vertigineuse,
des hautes cascades,
comme dans la douche,
mais en plus beau,
Et il y a plus d’eau.
Comme à la cascade de Pise
dans les Alpes.
Emilie H. (CM2)
 
 
Ce qui est intéressant dans ce projet ce sont les échanges que nous pouvons avoir entre nous. Nous sommes partis de la même idée et dans le déroulement de ces phases d’écriture, il y a dans les trois classes des évolutions, des démarches différentes mais aussi des similitudes. Nous pouvons apporter souvent des solutions à nos problèmes et écouter l’expérience de l’autre nous donne du recul par rapport à nos propres pratiques et nous relance dans nos classes avec enthousiasme. Nous observons souvent des similitudes dans les trois projets comme par exemple les phénomènes de mode, les réactions des enfants qui écrivaient peu, les tournures de phrases qui reviennent souvent. Echanger sur nos pratiques nous permet surtout de ne pas tomber dans la routine et de pas nous éloigner de nos vrais objectifs : amener l’enfant à une autonomie d’écriture lui permettant une vraie expression et une vraie communication.
 
« Le principe fondamental de toute pédagogie est de s’émerveiller, de découvrir avec l’enfant et non d’imposer à priori. Il ne convient pas de préparer, de cadrer, mais d’écouter, d’être attentif et de réagir dans l’instant face à l’événement. Il faut davantage répondre aux questions de l’enfant, inventer à partir de ses intérêts, de ses préoccupations que questionner en adulte. Le pédagogue qui questionne connaît déjà la réponse à sa question non seulement hypocrite mais qui empêche toute autre réponse que la sienne propre. C’est la pédagogie de la pauvreté, qui fausse toute relation humaine entre questionneur et questionné, c’est la pédagogie du maître et de l’esclave.
 
Ce qui est vrai du groupe ou de l’enfant, l’est aussi du pédagogue qui possède sa propre personnalité, sa sensibilité, sa vision du monde,… autant de données avec lesquelles il ne peut pas tricher. En ce sens, je ne conseille pas à un enseignant de singer une méthode qu’il n’a pas inventée, mais plutôt de développer ce que René Char appelle « son étrangeté légitime ». A lui, selon ses goûts et sa vie, selon les routes qu’il suit et les intérêts qui l’animent, de créer sa manière d’enseigner, à lui de tirer parti de ses qualités propres pour inventer à son tour, pour donner à ses élèves ce dont il est capable. Tout pédagogue en ce sens devrait se doubler d’un créateur.
 
L’éducation consiste à développer les qualités naturelles de l’enfant, de lui permettre d’atteindre son équilibre harmonieux, parce que global, tenant compte de la totalité de l’être (sensibilité, humour, sociabilité…).
 
Il n’est pas de pédagogie innocente. Si certains pédagogues se montrent inquiets à la lecture de mes propos, je répondrai avec René Char « que le risque soit ta clarté ».
 
Jean-Hugues Malineau in « L’enfant et la poésie », Coll. Poésie (N° 28-29, janvier/février 1973)
L’écriture comme expérimentation
 
Hélène Bourdel
Professeur de lettres
Au lycée Lavoisier, Mulhouse, Haut-Rhin
Article paru dans la revue « Chantiers Pédagogiques de l’Est » n°319-320
 
Le vent nocturne
 
Oh ! Les cimes des pins grincent en se heurtant
Et l’on entend aussi se lamenter l’autan
Et du fleuve prochain à grand’voix triomphales
Les elfes rire au vent ou corner aux rafales
Attys Attys Attys charmant et débraillé
C’est ton nom qu’en la nuit les elfes ont raillé
Parce qu’un de tes pins s’abat au vent gothique
La forêt fuit au loin comme une armée antique
Dont les lances ô pins s’agitent au tournant
Les villages éteints méditent maintenant
Comme les vierges les vieillards et les poètes
Et ne s’éveilleront au pas de nul venant
Ni quand sur leurs pigeons fondront les gypaètes
 
Guillaume Apollinaire, Alcools.
 
Un texte comme « Le vent nocturne » de Guillaume Apollinaire, est d’un abord difficile pour la plupart des élèves de lycée. Pourtant, c’est un texte de grande valeur. D’autre part, mon souci est toujours de partir de l’expérimentation : quelle expérimentation est possible en français ?
 
J’ai fait à propos de ce texte le pari de l’écriture comme expérimentation. Ce travail s’est déroulé en trois phases, dans une classe de 1ère S.T.L. Biologie, dont le français n’est pas, de loin, la spécialité.
 
Travaux d’écritures
 
La méthode utilisée est assez classique dans les ateliers d’écriture.
 
1.En classe : « la nuit ».
 
Consigne 1 :
Ecrivez, sans censure aucune, une dizaine de mots auxquels vous fait penser le mot : « la nuit » (3 à 5 min).
En fait j’explique : « Je vais vous dire un mot, et vous allez écrire, en 3 à 5 minutes, les mots auxquels il vous fait penser. » Il faut préciser longuement : pas de censure, tout ce qui vous passe par la tête, sans vous demander : « est-ce que cela a quelque chose à voir ? » C’est personnel, vous n’aurez pas la même liste que le voisin, etc. Vous êtes prêts, Voici le mot : la nuit. »
 
Consigne 2
Dans cette liste, vous choisissez les cinq mots qui vous plaisent le plus (3 à 5 min).
 
Consigne 3
Vous écrivez un texte, intitulé « La nuit », autour de ces cinq mots (entre 10 et 30 min). L’ordre des mots, la longueur, le style… sont indifférents.
 
2. Même chose avec le vent.
 
Cela peut se faire à la même séance. L’écriture de ce deuxième texte peut être renvoyée à la maison – c’est ce que j’ai fait, pour ne pas saturer les élèves.
 
2 bis. Lecture publique des textes obtenus, par l’auteur ou par un autre élève s’il le désire. On peut librement commenter, sans condamnation.
 
3. A faire chez soi : « Le vent nocturne »
 
Consigne :
Reprenez les cinq mots sur « la nuit », et les cinq mots sur « le vent ». A partir de ces mots, écrivez un texte intitulé « Le vent nocturne ».
 
Là encore, l’ordre des mots, le style, la longueur, sont indifférents. Aucun rapport avec les autres textes n’est demandé.
 
Travail à faire chez soi
 
Préparer une lecture méthodique du poème d’Apollinaire, « Le vent nocturne ». Ce travail devait être fait pour le même jour que les textes.
 
Séance en classe
 
J’ai pu alors aborder l’étude de ce poème difficile.
 
Chaque élève lit son texte à haute voix, ou le fait lire par son voisin. Je théâtralise un peu en annonçant à haute voix, avant chaque lecture « Le vent nocturne ». Puis après l’avoir annoncé ainsi, je lis moi-même le poème d’Apollinaire.
 
Le poème d’Apollinaire ne paraît alors pas beaucoup plus étrange que les autres ! Entrés dans l’univers du vent nocturne, avec ses mouvements et ses fantasmes, nous pouvons aborder l’étude de l’imaginaire apollinarien.
Ensuite, rien que d’assez classique : lectures méthodiques proposées par les élèves, échanges, interrogations, je propose des compléments pour éclaircir certains points, etc. J’ai même rapproché le texte de tableaux de Chagall, en particulier de « Les oiseaux dans la nuit ».
 
Après une sélection des meilleurs textes, nous avons polycopiés une petite plaquette qui s’achève bien sûr, par le texte d’Apollinaire, qui n’est pas texte-source mais texte d’arrivée.
 
D’un bout à l’autre, l’intérêt des élèves n’a pas faibli et leurs réticences devant un texte à première vue opaque sont assez largement tombées. Apollinaire se rapproche, la littérature aussi.
 
 
Textes extraits de la plaquette « Le vent, la nuit, le vent nocturne » publiée 
 
 
Le vent
 
Le vent se lève, un courant d’air passe.
Où va-t-il ? Finira-t-il sa course entre
les pales d’une éolienne ou d’un
moulin à vent ? Ou s’amusera-t-il
comme ce souffle à faire tourbillonner
les pétales de cerisier ?
 
Delphine
 
Comme le vent efface le paysage
Le temps efface les souvenirs
Souvenir d’une brise
Souvenir d’un vent chaud
Souvenir d’un orage…
Mais patience, le vent tourne toujours
Et trouve toujours une voile où s’engouffrer
Les souvenirs ne sont pas envolés
Ils sont juste déplacés.
 
Jérôme
 
La nuit
 
La nuit arrive au galop.
Ses chevaux d’ombre envahissent le ciel embrasé
laissant place à la lune et à une pluie d’étoiles.
Le froid et la peur s’installent.
Je cherche dans la brume une lumière apaisante
et la lune, mystérieuse, qui me la procure.
 
Camille
 
Une nuit sans amour et sans étoiles
est une nuit triste mais avec son
petit mystère qu’est la lune qui
danse au-dessus de nos têtes.
Que se passe-t-il ? Que veut-elle ?
Pourquoi s’agite-t-elle comme cela ?
C’est peut-être un signe.
« Il est temps de faire la fête
Réveillez-vous » nous dit-elle.
 
Koumiba
 
Vent nocturne
 
Le vent souffle au loin, la mer
s’agite perdue dans le noir
éternel de la nuit.
J’ai sommeil sur ce bateau et
j’ai peur de rêver.
J’ai si froid quand le vent et
la nuit se mêlent à mon
âme. Cette âme égarée loin
des étoiles, loin de la terre,
loin des humains, loin de ce
vent nocturne qui transperce
nos esprits…
 
Hinda
 
Ça c’est passé en fin d’année
En plein milieu de la nuit
J’ai entendu des cris
C’était le vent qui faisait
Hurler les arbres
Ils sont tombés comme des feuilles
de papier
En emportant avec eux toutes les
joies des enfants qui riaient
Et en laissant derrière toutes
les peines
Qu’un jour ce terrible orage revienne.
 
Francis