Avril 2001
La pédagogie Freinet est née de la guerre de 14-18 et de cette volonté d’un certain nombre d’éducateurs, militants syndicaux, d’œuvrer pour la Paix en redéfinissant une éducation populaire rompant avec l’embrigadement patriotique qui avait conduit à cette boucherie. Qu’en est-il aujourd’hui de nos pratiques d’éducation à la Paix.
A l’occasion du 11 novembre 2000, des échanges ont eu lieu sur la liste Freinet (liste de diffusion sur internet). Echanges sur les pratiques mais aussi sur la philosophie de vie et de travail qui les soutendent. Nous vous en livrons quelques extraits.
Je n’avais jamais participé à cette cérémonie dans mon enfance en tant qu’élève et m’étais toujours abstenue en tant qu’instit ; mais il y a 3 ans, j’ai pris un poste en classe unique et je me suis rendue au monument aux morts. Quel ne fut pas mon étonnement d’y retrouver la quasi totalité de mes élèves, quelques grands frères ou sœurs, quelques parents et beaucoup de villageois...
Le lendemain, en arrivant à l’école, les élèves ont compté les sous (ils avaient quêté pour le « bleuet ») et un enfant dont le père est écossais nous a parlé du « coquelicot ». Il paraît qu’on mettait les écossais en première ligne...
Au quoi de neuf suivant, j’ai apporté une photo de mon propre grand-père dans un camp de prisonniers, une de ses lettres ainsi que des dessins et des petits mots envoyés par ma mère ; et je leur ai passé une vidéo du CNDP, « Lettres du front » (très bien adaptée aux classes élémentaires).
L’an dernier, ils se sont surtout intéressés à la vie des poilus, aux armes (chars, aviation) et nous avons beaucoup discuté : à quoi ça sert les guerres ? Comme nous effectuons assez régulièrement des recherches
dans les archives, j’ai lancé une recherche sur les onze soldats inscrits au monument aux morts. A partir des registres de l’état civil, on a pu retrouver quelques renseignements : leur âge, s’il était marié, s’il était mort sur le champ de bataille ou lors du transport en ambulance, suite à des blessures ou de maladie ?
Nous n’avons aucun renseignement pour l’un d’entre eux, et des renseignements parcellaires pour 2 autres (il faudrait aller aux archives militaires). Ils étaient tous ouvriers agricoles et peu d’entre eux étaient originaires du village.
Nous avons découvert qu’un enfant « pupille » a été adopté par la nation ; son père s’était marié peu de temps avant sa mort sur un champ de bataille. Nous avons récupéré auprès de la population une photo et deux cartes postales (correspondace adressée à un soldat).
J’ai été aidée par un habitant passionné d’histoire locale et par des stagiaires PE2. Nous avons recherché où se situent les lieux de décès. Parallèlement, nous avons beaucoup discuté sur la guerre, la paix (ils faisaient souvent référence aux événements actuels du Moyen-Orient) et plusieurs créations poétiques sont apparues.
Le 11 novembre, nous avons participé plus activement à la cérémonie : après la minute de silence, les enfants ont expliqué leurs recherches et remis à chaque participant un petit dépliant avec dessin du monument aux morts, carte du nord-est de la France avec implantation des lieux de décès, photocopie d’une correspondance d’un des soldats, poème collectif des enfants et nous avons chanté l’hymne européen.
Un tel travail doit, à mon avis, s’inscrire dans le temps... toutes ces recherches sont très longues mais passionnantes.
Jacqueline Bizet
Ecole Publique de Saint Jean de Beauregard
Si
Si les hommes ne faisaient plus la guerre,
Si tout le monde offrait du bonheur,
Et de l’amour aux enfants,
Si tous les gens de la terre pouvaient arrêter la guerre,
Si tous les soldats du monde arrêtaient de tuer,
Si l’amour des parents suffisait pour que la guerre arrête,
Si les enfants-soldats arrêtaient de faire la guerre,
Si la guerre était finie…
Alors
Les nouveaux-nés ne seraient pas tués,
On serait content,
On pourrait être heureux,
Ce serait meilleur,
On pourrait faire la paix et se réconcilier,
On verrait la lumière.
Pour tous les enfants du monde
Arrêtez la guerre
Faites la paix !
Alexander dont le père est écossais nous a parlé du « coquelicot » et raconté que plusieurs membres de sa famille sont morts en France, mais surtout il nous a dit qu’en Angleterre, la vie s’arrêtait une minute, le 11 novembre à 11h : la circulation, les commerçants, les gens dans la rue.
Le « popy » est le nom anglais du coquelicot. Les soldats britanniques qui se battaient dans le nord de la France avaient la vision de ces fleurs qui s’étendaient à perte de vue. Les coquelicots sont des fleurs délicates, éphémères et de la couleur du sang. Ces fleurs rouges qui recouvraient les champs de bataille symbolisaient tous ces soldats tombés au champ d’honneur. L’épouse du général Haig (commandant des armées britanniques), très sensible au sort des blessés et des victimes de guerre fut à l'origine d’une organisation qui allait aider invalides, veuves de guerre et orphelins. Des usines furent installées dans diverses parties de la grande bretagne où l’on fabriquait en grande quantité des coquelicots pour les vendre au moment des célébrations du 11 novembre. Les profits de la vente vont directement aux anciens combattants et à leur famille.
En Grande-Bretagne et dans le Commenwealth, tout le monde achète un coquelicot et le porte à la boutonnière : la reine, le gouvernement, les présentateurs de télévision, les joueurs de football sur le terrain, l’homme de la rue...
A l’école de Gagny
En ce qui me concerne, mon enfance a été « bordée » par les récits de la guerre de 14. Mes grands-parents, des deux côtés, sont nés dans l’Aisne, particulièrement dans un espace géographique où le front s'est installé pendant les 4 années de la guerre.
Je me suis intéressé très tôt aux fusillés pour l’exemple et les chiffres avancés officiellement ne correspondent en rien à la réalité. Les exécutions de déserteurs, ou tout simplement celles de pauvres types qui en avaient marre ou qui refusaient la guerre, ont commencé bien avant 17 et les mutineries. Toutes les exécutions d’ailleurs ne se faisaient pas devant un peloton, mais il existait également les décimations : les troupes que l’on ne redescendait jamais à l'arrière et qui étaient décimées rapidement au front. Après la guerre, il y a eu des procès en réhabilitation d'un certain nombre de fusillés (autour des années 1921) et c’est à cette époque que ce drame a été connu à travers des rapports et des articles de pacifistes, mais aucun des fusilleurs n'a été inquiété.
Gagny (93) a été le point de départ des fameux taxis de la Marne. La Mairie avait organisé, il y a 2 ans, une exposition via la bibliothèque municipale. J’ai donc travaillé avec les enfants là-dessus. Je suis parti de la BD de Tardi « Images d'Epinal », (j’avais photocopié certaines planches, dont celle d’un fusillé), où toute l'horreur de la guerre est montrée. J’ai passé également des extraits des « Sentiers de la gloire » (la charge à la baïonnette et bien sûr la scène du fusillé). J’avais pas mal de documents également, dont quelques numéros du Crapouillot de Galtier-Boissière. J’ai photocopié quelques photos qui présentaient la vie et la mort dans les tranchées, loin des postures héroïques des monuments aux morts.
Ces documents ont été commentés par trois enfants, ensuite les photos et les commentaires ont été collés sur plusieurs panneaux. Ce travail a servi de base à un exposé des gosses à leur classe, puis nous l'avons donné à la bibliothèque.
Philippe Lamy
Groupe Est Parisien Ecole Moderne philippe.lamyfreesbee.fr
Mon grand-père s’en est sorti malgré sa rébellion contre son chef, mais je crois qu’il m’a le premier, sans le savoir, donné cette aversion de l’armée et du patriotisme. Je sais, c’est complexe et il faut aussi parfois être capable de se défendre.
Pour éduquer à la paix je pense qu’il faut passer par l’anti-militarisme, l’anti-patriotisme et l’anti-religieux. Il suffit de regarder autour de nous ces derniers temps pour voir les dégâts que ces sentiments provoquent.
La culture ne suffit pas. Un instit du Rwanda expliquait récemment à la radio que les premiers massacreurs étaient des gens très cultivés !!!
Bernard Monthubert
Sans moi
Je suis admiratif du boulot présenté par Philippe Lamy. Le courage de ces hommes qui ont désobéï me fascine et me terririfie. Celui de la chair à canon qui tartine les milliers de monuments aux morts des villages d’Europe me désespère. Et de savoir qu’il y en a eu encore en 39, encore en Indochine, encore en Algérie, encore en Irak ET QU’IL Y EN AURA ENCORE me noue la gorge d'angoisse.
Je n’irai jamais aux monuments aux morts le 11 novembre. Tant qu’il y aura des anciens combattants, pire, des futurs combattants venant y célébrer la « victoire ». Ne trichons pas, il y en a encore, il y en aura encore qui viennent et qui viendront fêter la victoire et les héros morts pour la France !
J’irai, un jour, pour pleurer et pour hurler « Plus jamais ça ! ». Quand j’aurai le courage. Ou, si l’occasion m’est donnée d'aller au fond des choses comme Philippe Lamy l’a raconté, j’irai avec ma classe, si c’est son choix, si c’est en vrai, chanter « Le Déserteur » comme cette collègue qui fut inquiétée pour cela, il y a peu, sans que nous soyons assez engagés pour la défendre pour de vrai.
En attendant, j’ai fait ce voeu. Je n’irai jamais. Une fois, je me suis fait piéger. J’ai dû acheter au Président des Anciens Combattants un truc à épingler avec du bleu blanc rouge, un 8 mai. En tant que directeur de l’école, je ne pouvais pas me... défiler sans créer un incident de plus dans les rapports entre élus et école. Cela m'en a coûté plus que je ne l’imaginais. L'impression d'avoir trahi.
Evidemment, je ne fais pas l'autruche et tous les sujets sont évoqués en classe. Sans détours.
Le 11 novembre et le 8 mai. Je ne fais pas l’impasse sur ces anniversaires et je les célèbre à leur juste mesure, comme la fin des horreurs, de l’enfer.
Mais je n’ai aucune confiance dans les drapeaux, les uniformes, les gerbes, les monuments à la gloire de, les médailles ou les clairons qui dramatisent l’événement pour l’édification des masses. C’est ainsi que l’on fabrique de la chair à canons. Sans moi.
Philippe Bertrand
Enfant je n’aimais pas l’histoire, elle ne me racontait que la guerre. La religion me faisait peur car elle torturait, tuait et faisait s’entretuer les hommes. J’ai commencé à m’intéresser à l’histoire quand j’ai voulu comprendre mon époque, quand je militais contre la guerre du Vietnam. Depuis j’ai beaucoup lu et vécu aussi, et mes craintes sont toujours là. Comme toi, je commémore ces jours comme des fins de guerre pour « ne plus jamais ça ».
Mais l’éducation quotidienne à la paix comme nous le voyons dans notre pédagogie est à mon avis ce qui pourra faire reculer cette culture de guerre du chacun pour soi qu’on veut nous imposer.
Catherine Chabrun
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