Raccourci vers le contenu principal de la page

Demander la permission

Avril 2001

CHRONIQUE DE L’ÉCOLE ORDINAIRE

 
Demander la permission
 
Les grandes idées pour leur mise en oeuvre nécessitent une foule de bricoles bien terre à terre, au grand dam des idéologues de toutes obédiences, même celles qui prônent le matérialisme. A l’école, les plus novatrices dérangent moins qu’un meuble posé d’une façon peu habituelle. C’est souvent avec ces presque riens que les ennuis commencent !
 
Convaincu de l’importance de l’expression orale, Robert, le maître du CM 1, veut installer un atelier magnétophone. Il envisage d’aménager un petit coin tranquille, à l’écart des trajectoires d’accès aux outils et à la documentation, en plaçant face à face deux armoires au fond de la classe.
 
Comme il est nouveau dans l’école et qu’il ne veut pas inquiéter la direc­trice dont il a entendu parler de l’allergie au changement, il se demande com­ment aborder avec elle cette épineuse question, d’autant plus qu’une de ses collègues a essuyé, il y a peu, un sec : « C’est dangereux ! Elle risque de tomber ! Et qui sera responsable ? », quand elle a sollicité l’autorisation de disposer son armoire en épi contre le mur.
 
Il tourne et retourne le problème, sans succès, avant de se décider à confier sa perplexité à un ancien de l’école:
“Comment tu ferais toi ?
- Moi ? Tu sais, je ne suis pas à ta place ! Mais à mes débuts, j’ai voulu parler de ce que j’avais l’intention de faire et ça a mal tourné avec l’administra­tion. Alors depuis, chaque fois que j’ai ins­tallé ma classe je n’ai rien demandé, et personne ne m’a fait de remarque ! Tous comptes faits, c’est logique : on ne peut pas te refuser ce que tu ne demandes pas ! Ne t’inquiète pas, personne ne viendra remuer tes armoires quand elles seront en place. Si ça te chante tu pourras tou­jours en parler après. Tu veux un coup de main ?
- Merci ! Tu as peut-être raison. Allons-y, je verrai bien !”
Ils y allèrent.
 
Le lendemain, à la récréation, au cours des échanges pour le moins infor­mels entre maîtres, Robert glissa, mine de rien :
“Hier, j’ai placé mes armoires face à face pour faire un petit coin d’enregis­tre­ment... Le plus long ç’a été de les vider !
- C’est une bonne idée, dit la directrice. Si les portes gênent, vous pou­vez les monter au grenier !”
La plus étonnée fut la malheureuse rabrouée quinze jours avant. Elle baissa son nez et ne dit rien.