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En Chantier n°7 : D'une traduction à l'autre : autour d'un poème de Walt Whitman

 

 

D’une traduction à l’autre :
Autour d’un poème de Walt Whitman


Voici le texte original du poète anglais Walt Whitman

When I heard the learn'd astronomer,
When the proofs, the figures, were ranged in columns before me,
When I was shown the charts and diagrams, to add, divide, and measure them,
When I sitting heard the astronomer where he lectured with much applause in the lecture-room,
How soon unaccountable I became tired and sick,
Till rising and gliding out I wander'd off by myself,
In the mystical moist night-air, and from time to time,
Look'd up in perfect silence at the stars.
1865

Voici la traduction de Jacques Darras dans le recueil Feuilles d'herbe Gallimard, 2004
Quand j'eus entendu parler le savant astronome,
Quand les preuves, les calculs, furent alignés en colonnes devant moi,
Quand on m'eut montré les graphiques les diagrammes, pour les additions, divisions et autres mesures,
Quand de mon banc j'eus entendu le savant astronome finir sa conférence sous les applaudissements de l'auditoire,
J'éprouvai tout à coup inexplicablement une nausée, une lassitude,
Et m'éclipsant sans bruit m'en allai dehors tout seul,
Dans l' air de la nuit humide et mystérieux, et de temps à autre,
Levai les yeux dans un silence total en direction des étoiles.

Et une autre traduction d'Anne Krief dans l'édition pour enfant de J'ai entendu le savant astronome, Gallimard Jeunesse 2006

J'ai entendu parler le savant astronome
J'ai vu les formules, les calculs, en colonnes devant moi,
J'ai vu les graphiques et les schémas,
Pour additionner, diviser, tout mesurer,
J'ai entendu de mon siège, le savant astronome
Finir sa conférence sous les applaudissements,
Et j'ai soudain ressenti un étrange vertige, une lassitude infinie ;
Alors je me suis éclipsé sans bruit : je suis sorti
Seul dans la nuit fraîche et mystérieuse,
Et de temps à autre,
Dans un silence total, j'ai levé les yeux en direction des étoiles.



Quelques commentaires de Philippe Geneste :
Le poème est extrait de Feuilles d'herbe, composé entre 1855 à 1892- se situe dans la partie intitulée Sur Le Bord de la route. Le poète y évoque son passé pour nous parler de la notion d'apprentissage. On peut, ainsi, formuler l'argument du texte : pour apprendre, l'enfant a besoin de se confronter au monde, au réel. Conférer des savoirs aux enfants dans un geste magistral de transmission donne la nausée, crée le malaise physiologique du petit d'homme. A l'inverse des événements subis par l'enfant du poème, il faut rendre à l'expérience enfantine du monde le pouvoir de permettre à l'enfant de cheminer vers les savoirs. C'est l'expérience qui porte l'enfant à l'âge adulte et non l'adulte du tout puissant qui peut être le père de l'homme.
On connaît la traduction de Jacques Darras (Feuilles d'herbe, Gallimard, collection poésie, 2004, p.373). Par rapport à cette traduction, celle d'Anne Krief vise à rapprocher le texte de l'enfant. Elle va par exemple préférer le passé composé au passé antérieur et ce dès le titre (quand j'ai entendu et non quand j'eus entendu). Cette traduction pose question car elle empêche de comprendre que l'enfant prend une décision et qu'il n'est pas spectateur passif dans le cours de la conférence du savant astronome, mais qu'il en tire, lui-même des conséquences à cause de la nausée qu'elle lui procure. L'idée même de nausée (How soon unaccountable I became tired and sick) est absente dans la traduction de Krief qui le remplace par « Et j'ai soudain ressenti un étrange vertige, une lassitude infinie ». Remarquons que la traductrice choisit de complexifier le texte (I became tired est rendu par une lassitude infinie) alors que peu auparavant, elle avait préférer employer le terme de schémas à la place de diagrammes (When I was shown the charts and diagrams). On ne comprend pas très bien ces choix opposés –simplifier dans un cas (quoique le terme de schéma est-il si simple pour un jeune enfant ? on peut en douter) et complexifier dans l'autre (lassitude infinie est plus complexe que le seul lassitude de la traduction Darras).
On regrettera, aussi, la traduction de « In the mystical moist night-air, and from time to time, / Look'd up in perfect silence at the star » par « et de temps à autres / dans un silence total j'ai levé les yeux en direction des étoiles ». En effet, le texte initial nous semble lier le silence à l'univers, au monde des étoiles alors que Anne Krief choisit de le lier à la nuit. De plus, c'est l'air de la nuit humide et non pas la nuit qui est convoqué par le poète. Le silence s'interpose, en quelque sorte, entre le regard de l'enfant et l'univers des étoiles. Là encore, il ne nous semble pas que la compréhension de l'enfant soit facilitée par le choix de la traduction.
Les mots de Whitman sont simples et libérés de la solennité du langage adulte et c'est pour cela que sa poésie est avant tout une poésie vivante. Et une poésie vivante est une poésie qui ouvre l'imaginaire, qui le laisse aller au gré des sens.
Philippe Geneste
 

 

Ce travail a été réalisé par le groupe Doc2d (Recherche documentaire au second degré)
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