En Chantier n°8 : Enseigner la théorie de l’évolution

Nadine Hua-Ngoc, documentaliste au lycée Montaigne à Bordeaux, s’est posé avec des élèves de seconde la question de l’importance croissante de la remise en cause de l’évolutionnisme. Il existe de nombreux sites présentant le créationnisme comme une théorie fiable de l’origine du monde, « iconographie très attractive, fiche très claire pour chaque animal, représentant le fossile et l'animal actuel, semblables. Leitmotiv à chaque page ou presque : le Créateur a voulu que chaque espèce fût telle qu'elle est aujourd'hui, Darwin et les autres ont tout inventé¹. En janvier 2007 plusieurs centaines de collèges, lycées et universités ont été inondés d’exemplaires de l’Atlas de la création. Cet ouvrage volumineux magnifiquement illustré contestait la théorie de l’évolution en la présentant comme un « tissu de mensonges antireligieux ». Selon l’auteur, un certain Harun Yahya (pseudonyme du prédicateur musulman turc Adnan Oktar), « les thèses de Darwin expliquent le nazisme et le terrorisme ». L’opération de diffusion de cet ouvrage fut organisée par des intégristes musulmans turcs et des évangélistes américains.
Il y a depuis quelques années une offensive anti-évolutionniste venue des Etats-Unis² qui se répand un peu partout dans le monde. Elle arrive en France³ et pose parfois des problèmes dans les cours de SVT par exemple.
A cela s’ajoute le fait que Darwin apparaît parfois comme l’occasion d’exprimer une révolte, un refus d’une République contestée parce que vécue comme inégalitaire⁴. Carole Diamant, professeure de philosophie et auteure de Ecole, terrain miné, écrit : « si l’on admet qu’il y a trente ans on enseignait tranquillement la théorie de l’évolution, c’est forcément un problème qu’on n’y arrive plus aujourd’hui. J’y vois le signe d’un vrai trouble de l’identité, qui prospère sur un sentiment de mépris, de manque de reconnaissance de culture dont ces jeunes sont issus. Alors comment les reconnaître ? Cette question est cruciale pour que l’affect ne l’emporte pas sur la raison ».

En février 2009, j’ai demandé à des élèves de première et de terminale de mon tranquille lycée de petite ville de province de répondre anonymement aux questions suivantes :
Questions :
Comment penses-tu que les êtres humains sont apparus sur terre ?
Que sais-tu de la théorie de l’évolution ?
Penses-tu que l’école doit enseigner cette théorie ? Pourquoi ?
Es-tu croyant, si oui quelle est ta religion ?


Elèves atelier philo
Ils étaient dix ce jour-là, ce sont des élèves de section L, S et ES qui choisissent de venir à cet atelier facultatif, ceux qui viennent sont donc a priori curieux et intéressés. Parmi ces élèves aucun ne pense que Dieu a créé Adam et Eve qui seraient à l’origine de l’humanité.
Ils ont une idée plus ou moins vague de l’évolution : l’homme vient du big bang, l’homme descend du singe, les espèces évoluent.

3 élèves pensent que la théorie de l’évolution doit être enseignée à l’école car nous sommes dans un pays laïc et parce qu’il il s’agit d’une science et non d’une croyance.

4 élèves pensent qu’il faut l’enseigner à l’école mais qu’on n’est pas obligé d’y croire.

1 élève pense qu’il ne faut pas l’enseigner car « on ne peut imposer une manière de penser ».
Une élève (la seule catholique – tous les autres sont athées) dit qu’il faut l’enseigner car c’est sur cette théorie que les scientifiques se sont accordés.

1 élève musulmane n’a pas voulu répondre au questionnaire.

Elèves de STG
Ce sont des élèves victimes de la sélection scolaire, ils se retrouvent dans cette section parce qu’ils n’ont pas pu aller ailleurs, ils viennent généralement de milieux beaucoup plus modestes que les élèves de section générale. C’est dans ces sections que l’ont trouve, dans mon lycée, le plus de jeunes issus de l’immigration.
Sur 18 élèves (16 filles, 2 garçons) qui ont remis le questionnaire.
- 7 pensent que c’est Dieu qui a créé Adam et Eve et que les humains se sont ensuite reproduits. Parmi ces élèves 4 sont catholiques, 3 sont musulmans. L’idée de la théorie de l’évolution est vague : l’homme descend du singe. Parmi eux seul 1 élève pense que la théorie de l’évolution ne devrait pas être enseignée car « il faut respecter les croyances de chacun », les 6 autres élèves pensent qu’il faut l’enseigner car elle est intéressante et puisque que « l’homme descend du singe, il évolue » ! Deux élèves regrettent de ne pas en savoir plus sur cette théorie qui leur semble intéressante.
- 11 élèves pensent que l’homme est le résultat d’une évolution des espèces, parmi eux 7 sont athées ou ne savent pas et 4 sont chrétiens. Seule 1 élève pense que cette théorie ne doit pas être enseignée à l’école car elle remet en question la religion et comme l’école laïque se doit de respecter les religions il y a une contradiction.
Le résultat du questionnaire des élèves de première L n’est pas sensiblement différent de celui des terminales STG, on trouve proportionnellement plus d’élèves athées. Un quart des élèves affirme des positions créationnistes. Parmi les élèves athées et évolutionnistes un bon tiers pense qu’il ne faut pas enseigner la théorie de l’évolution pour ne pas imposer un point de vue allant à l’encontre de la liberté d’opinion.

Si l’on en croit l’article de Télérama (« Mais que vient faire Darwin dans le 9-3 ? ») ces chiffres semblent à peu près conformes à ceux trouvés par Jean-Pierre Dramisino et Françoise Esteves professeurs d’un établissement calme en banlieue lyonnaise. D’après leur sondage 30 à 50% des élèves se déclarent créationnistes.


Bilan de ce questionnaire :
1. Beaucoup d’élèves ne comprennent pas la distinction croire/savoir, la théorie de l’évolution est pour eux une croyance comme une autre.
2. Certains se contredisent en étant à la fois créationnistes et persuadés qu’il faut enseigner l’évolution à l’école. On retrouve ici ce que nous constatons tous souvent : il y a ce qu’on pense parce que c’est à l’école et il y a ce qu’on pense chez soi. Fabriquons-nous des élèves schizophrènes ? Si l’on est pessimiste c’est ce que l’on peut penser. On peut aussi se dire que l’école fait évoluer leurs idées sans qu’ils les lâchent d’un bloc s’il y a contradiction.
3. Enfin, je n’ai pas constaté de refus d’entendre parler de Darwin et de l’évolutionnisme bien au contraire.