Raccourci vers le contenu principal de la page

Ecrire quoi ? Ecrire quand ? Avoir envie d’écrire ?

Dans :  Français › Techniques pédagogiques › 
Septembre 1997
Bernard Collot, membre de l’ICEM et co-fondateur des Centres de recherche des petites strucutures de la communication (CREPSC),questionne l’entrée en écriture, il avance ses éléments de réponse aux interrogations que tout enseignant se pose lorsqu’il désire faire écrire ses élèves.
 
 

 

 

 

 “Chez moi, “ils” n’écrivent pas”.
 “les miens” n’écrivent rien d’intéressant”... combien de fois avons-nous entendu ce refrain. Et combien de fois il a été la cause du découragement et du renoncement.
 D’abord il faut tout de suite tordre le coup à cette habitude qui autorise un enseignant à juger de ce qui est intéressant ou non. Nous jugeons intéressant ou pas d’après des critères totalement extérieurs à celui qui écrit. Souvent conformes à notre idée de la culture , à nos envies... ou à l’image de ce que les écrits des enfants donneront de... nous-mêmes. Les poèmes d’un Baudelaire, les tableaux d’un Van Gogh, la musique d’un Morrison ou d’un Berlioz... sont aussi les reflets d’un mal être, de souffrances... et aussi dûrement le moyen pour eux de vivre. Faut-il être malheureux pour écrire, peidre, sculpter... ? Faut-il produire des oeuvres^pour se permettre de créer, pour permettre de créer?
 Une fois pour toute, ce qui caractérise une création ce n’est pas l’impact qu’elle aura sur un public mais le simple fait d’avoir été créée. Et c’est dans ce fait seulement qu’elle est bénéficiaire à son auteur. Notre travail d’éducateur n’est pas d’émettre un jugement quelconque sur la valeur, mais de toujours la regarder comme telle.
 
 Ecrire n’est pas évident
 
 Mais écrire n’est pas évident... même et surtout quand on sait écrire. Je suis sûr que chacun d’entre vous en sait un peu quelque chose, vous qui “savez” écrire. Surtout écrire en laissant d’autres vous lire, surtout écrire pour que d’autres le lisent.
 L’acte d’écriture en lui-même est un phénomène que l’on devrait mieux analyser.
 Nous avons tous pu constater qu’on écrit pas ce qu’on dit ou que l’on ne dit pas ce que l’on écrit. La projection de soi dans les différents langages (corporels, graphiques, oraux... écrits) n’est pas la même et subit un certain nombre de contrôles spontanés et culturels. Ces contrôles pouvant vite devenir et devenant souvent des “blocages”. La forme du langage exprime elle-même une autre version de soi-même ou l’exprime très différemment.
 Les écrits font partie de ce que j’appelle les langages différés. Lorsque l’on parle, lorsque c’est le corps qui s’exprime, c’est l’expression instantanée et continue de soi. On a peu le temps de se voir. Ce sont souvent les autres qui nous renvoient l’idée de ce que l’on est de par ce que l’on a dit ou fait. Et ce renvoi est lui-même instantané, continu, diffus, irrégulier, imprévisible, parfois imperceptible. On peut même, ne pas se rendre compte de cette projection de nous-même, ne pas vouloir voir le renvoi des autres. Onn’a pas besoin de se représenter l’autre. On n’a même pas besoin de se “mettre” dans une situation de communication: dès l’instant où l’autre est là, il y a communication, même si elle nous échappe.
 
 Une projection de soi
 
 Avec les écrits, il en est tout autrement. C’est le support qui va recevoir d’abord notre image... et la renvoyer à nous-mêmes. La communication, c’est d’abord avec soi qu’elle va avoir lieu. Et il va y avoir deux décalages:
                - celui entre l’élaboration de la pensée, de la communication et le moment où cette pensée sera fixée sur un support et nous sera renvoyée. Entre ces deux moments, nous aurons changé.
                - celui entre le codage de la pensée et son décodage, ce dernier renvoie l’image de soi. Et une image forcément déformée ou transformée ou simplifiée ou caricaturée par le langage lui-même.
 Accepter de se projeter, accepter que cette projection soit l’image qui va m’être renvoyée et qui va être envoyée aux autres. Il n’est pas possible d’accéder à ce stade de la communication avec une identité incertaine.
 Nous ne répéterons jamais assez cette évidence: les langages se construisent dans des groupes, ce sont eux qui permettent au groupe et à l’individu d’exister. Avec cette récuscivité qui rend l’existence de l’un comme l’autre souvent difficilemais sans laquelle rien n’est possible. Les problèmes d’identité ne peuvent se concevoir que par rapport aux autres, et on ne peut être avec les autres que si on perçoit sa propre identité.
 Et dans l’écrit, l’Autre, ... c’est d’abord soi, les autres n’tant souvent que des potentialités, voir même des virtualités présentes dans un espace et un temps incertains. Il faudrait que l’un et les autres apparaissent de plus en plus nettement, que leur représentation soit de plus en plus réelle pour que puissent se déclencher les actes d’écriture. Et plonger dans cet espace-temps avec un nouveau langage ne peut être possible que si les autres langages ont déjà permis “d’être” dans un espace physique.
 
 Pas un problème de méthode
 
 Le problème de l’écrire-lire n’a donc pas grand chose à voir avec une quelconque méthode que des aveugles cherchent vainement depuis cinquante ans. Mais lorsqu’on l’aborde en ayant en tête ces quelques “fondamentaus”, tout devient différent.
 Voilà aussi pourquoi dans une classe unique, sans méthode savante, tous les enfants apprennent à lire et à écrire ! Le problème de l’écrire-lire est d’abord et avant tout celui de la construction et de l’existence de groupe. l’écrire-lire est alors indispensable pour étendre ses cercles et se rattacher à celui de l’humanité dans l’espace, le temps et l’imaginaire.
 Mais en attendant ! En attendant que tout cela se fasse... tout seul, comment faire pour provoquer, inciter à l’acte d’écriture ? Il y a quelques trucs !
 
 Des trucs !
 
 Il y a d’abord le dessin, la peinture. Tout enfantdevrait pouvoir dessiner quand il le veut, à tout moment... et quelque soit son âge. Et sans que cela soit un exercice, sans qu’il y ait des jugements de valeur portés sur son expression. Cela, tout le monde le sait,... mais on ne le considère pas souvent comme essentiel, plus essentiel qu’un exercice quelconque.
 Il y a ensuite l’utilisation d’autres outils des langages différés, en particulier le magnétophone. Pour moi, c’est au magnétophone que le premier acte d’écriture conscient est réalisé. Lorsqu’on peut s’en servir librement. Ce qui demande la résolution d’un problème d’organisation. J’ai toujours réussi à installer un atelier enregistrement, même dans un placard avec un casque. Et il faut que chaque enfant puisse y faire ce qu’il y veut, comme il gribouille pendant des jours avant qu’apparaisse une forme sur son papier. Qu’il puisse se ré-écouter, s’effacer, recommencer, faire écouter à un copain, y dire des “bêtises”, rire de ses bêtises.
 Et ce peut être aussi le premier acte de communication vraie: que fait la maman lorsque le petit lui fait voir son texte ? Neuf fois sur dix elle lui dit: “lis le moi!” De quoi dégoûter s’escrimer à mettre des mots pour les autres... quand les autres vous les font lire! Mais lorsque le petit apporte à la maman une cassette qu’il a faite à l’école, cette fois, la maman va être obligée de l’écouter ! CA y est, nous sommes dans un processus de communication ! Cet “écrit-lire” a du sens ! Il est très rare qu’un enfantqui peut s’amuser avec un magnétophone ne rentre pas rapidement dans l’écrit gutembérien.
 Il y a aussi la vidéo.
 
 Un maître qui écrit
 
 Et il y a des “trucs” liés directement à l’écrit.
 Le premier est ...d’écrire soi-même ! Un maître qui se met à écrire des poèmes, mais encore plus des “bêtises”, ça fait de l’effet ! surtout s’il met ses écrits affichés avec ceux des enfants.
 Et un maître qui n’écrit pas des choses si terribles que cela, qui danse mal mais qui danse, qui peint mal mais qui peint, qui chante mal mais qui invente des chansons... s’il le fait avec, comme les enfants cela peut être bien mieux que le maître artiste.
 
 Se laisser aller !
 
 Et puis il y a l’écriture automatique.? On l’utilise souvent la première fois que l’on se trouve face à une classe nouvelle qui est encore dans le contexte de “l’exercice”.
 Cela commence comme un exercice. Vous pouvez même prendre un air sérieux ou sévère. “Prenez une feuille et un crayon. A mon signal vous devez écrire sans vous arrêter même si c’est n’importe quoi, sans réfléchir”.
 Et il faudra probablement que vous soyez très sévère^pour empêcher dans le silence total, les crayons de s’arrêter ! Et les enfants vont souffrir. Au bout de quelques minutes, faites stopper les crayons, demandez à tout le monde de regarder ce qu’il a écrit, mais ne regardez surtout pas vous-même.
 Préparez la poubelle et demandez à tout le monde de déchirer et de jeter ce qu’il a écrit. Et régalez-vous de ce qui va se passer, de la stupéfaction, des hésitations puis de la joie. Ils ont tous fait cet exercice comme d’habitude, pour le “maître”. Et c’était pour la poubelle ! On pouvait vraiment mettre n’importe quoi !
 Lorsque vous allez le refaire pour la seconde fois, tout va changer. Il faudra encore surveiller les stylos qui se lèvent, les hésitations à écrire n’importe quoi, ême les onomatopées, à répéter dix fois le même mot si rien d’autre ne vient...
 Puis peu à peu, tous les écrits automatiques ne seront pas forcément déchirés. Certains voudront garder les leurs, peu à peu certains auront envie de vous les faire voir, peu à peu certains auront envie de les lire aux autres... et la partie sera gagnée !
 L’objectif de cet “exercice” est de sortir de l’enfermement “écrire pour le maître”, “écrire comme il faut”, écrire “des choses bien”, “écrire sans fautes”, “écrire après avoir réfléchi”. C’est aussi de se laisser aller à l’écriture, sans plus se préoccuper que du plaisir d’écrire. C’est presque inconsciemment se laisser aller à se projeter et, peu à peu, d’accepter sa projection de soi. Plus tard, on peut travailler cette projection, l’embellir, la compléter, la modifier... la rendre plus communicable, plus percutante...
 On peut faire de l’analyse des écrits automatiques. Mais après tout, est-ce que cela a vraiment de l’importance pour nous ?
 
 Rire ensemble
 
 Et puis il y a les jeux d’écriture. Issus comme l’écriture automatique des inventions des surréalistes. Le plus connu est le cadavre exquis. Une série de feuilles circule. On commence une phrase. Elle s’arrête incomplète au premier mot de la seconde ligne, on plie pour que la première ligne ne soit pas visible et on passe à son voisin qui poursuit à partir du mot visible. Au bout d’un tour chacun déplie la feuille et lit un texte... dont il ne sera l’auteur que de quelques mots ! Alors que de rire ! Que de plaisir !
 A partir de cette idée, toutes les variantes sont possibles: cela peut être le mot tournant, l’histoire tournante, l’injure tournante etc. (1)On cache, on ne cache pas.
 Et puis toutes les possibilités de détournement de proverbe ( “Pierre qui roule n’amasse pas d’allocations familiales”), de vers, de titres, d’articles ...
 Il n’y a plus qu’à laisser aller son imagination. Nous avons même fait pendant un an des jeux de ce type par télématique entre deux classes reliées par le fameux EXL100. Le texte de l’autre classe se lisait sur l’écran... et il suffisait de continuer en direct. Chaque séance durant vingt minutes. Vingt minutes de plaisir intense, de création permanente, de rire, de délire. Je me souviens en particulier d’un Zorro, coincé dans un tunnel qui en débouchait sur le dos d’une chèvre, de dialogues téléphoniques entre des interlocuteurs dont chacun ignorait la fonction etc.
 Dans cette situation, c’est le groupe qui devient important. De l’ensemble surgit le délire, un délire qui n’est plus intolérable puisqu’il appartient au groupe. Petit à petit on peut se libérer, laisser aller les mots, leur donner du sens. Pendant un temps on oublie la raison, l’orthographe, la syntaxe... l’écriture devient plaisir, nécessité, épanouissement, libération..
 Après... après vous avez beaucoup de travail pour corriger toute la production écrite de votre classe !
 Bernard Collot
article paru dans: “Ecole rurale, école nouvelle... Communautés nouvelles”
 
 1) Voir de Paul LEBOHEC “Ah ! vous écrivez ensemble”. Supplément à l’éducateur du 15.03.83. PEMF