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Décembre 1997
Définir et ajuster l’organisation de la classe, établir les règles de vie commune, réguler les conflits, favoriser l’entraide et l’accès à l’autonomie, chez Muriel Quoniam, le conseil est un moment privilégié de la vie de la classe. Qui plus est, la mise en place d’un conseil, avec tous ces objectifs appporte à l’enseignant une possibilité de décentration particulièrement bénéfique: «La mise en place d’un conseil dans ma classe maternelle m’a obligée à renoncer à une certaine idée du pouvoir.» M. Q
La force du conseil : s’exprimer en tant que sujet
Il m’a fallu parfois accepter de me placer en retrait, sans perdre de vue mes objectifs et laisser expérimenter des situations que je n’aurais pas choisies.
Par exemple, Clément (4 ans et demi) avait lors d’un conseil proposé d’établir un calendrier de la météo (inscrire le temps qu’il fait sur le calendrier offert par les correspondants). La décision avait été qu’il le fasse seul, tous les jours. Quelques conseils plus tard l’organisation fut remise en cause. Je vous livre une transcription de la discussion brute (voir encart 1) : les enfants apprennent à échanger, à s’écouter, à se respecter, ils tâtonnent, ils s’expriment et cherchent à se mettre d’accord. Enfin ils décident.
Si j’avais, d’emblée, refusé l’organisation initiale en suggérant par exemple le tour de rôle qui me semblait plus juste, cette discussion n’aurait jamais eu lieu... Or, la solution que les enfants ont adoptée est un compromis entre le «moi tout seul» de Clément, et le «chacun son tour» quasi obligé de la démocratie. Voilà qui est bien plus formateur et plus satisfaisant pour ce groupe que n’importe quelle autre forme imposée.
Clément (un des plus jeunes de la classe) a trouvé ainsi la possibilité de s’affirmer sans danger et de modifier progressivement sa position pour trouver un terrain d’entente avec les autres tout en préservant son désir !
La force du conseil réside dans cette capacité qu’il offre aux individus de s’exprimer en tant que sujet. Le «je» prend un sens, chacun s’exprime en son nom propre.
Le travail de la langue
Le travail de la langue est un objectif majeur de la maternelle. Dans le sillage de Laurence Lentin nous essayons tous de trouver des stratégies permettant à l’enfant de «parler».
Au sein de la classe coopérative, lorsque les lieux de parole fonctionnent, les «séances de langage» sont inutiles : la structuration de la langue et de la pensée s’élaborent par la force des choses.
Pour parler, il faut avoir quelque chose à dire, à communiquer. La vie de la classe et la gestion des conflits sont les meilleurs supports de langage qui soient, sans faux semblant. Même s’il ne maîtrise pas bien la langue, l’enfant se trouve personnellement impliqué. Il a besoin de se faire comprendre, alors il tâtonne, essaie, recommence et s’il n’arrive pas à articuler clairement son propos (pour des problèmes de syntaxe, d’articulation... ) un autre enfant ou la maîtresse l’aide, renvoie en feed-back et au besoin reformule le message et le complète.
En fait, le contenu du conseil dépasse la simple résolution de problèmes organisationnels ou relationnels...
Encart 1
Extraits d’un conseil.
Débat : le calendrier de la météo.
Alice : Je voudrais qu’on fasse le calendrier, que..., qu’on... j’ai envie qu’on change.
Amandine : Un petit peu tous les jours, chacun son tour.
Clément : Ca ne me plaît pas ça, parce que c’est moi qui avait proposé ça.
Anaïs : Je propose que ça soit Clément, et parfois un grand.
Nicole : Ouais, les grands d’abord et puis après les moyens.
Antonin : D’abord les moyens parce que Clément est un moyen.
Maxime (s’adressant à moi) : T’as qu’à faire comme pour Coquine (notre lapine), tu prends des feuilles et tu les passes dans ton ordinateur et puis tous les jours, tu appelles un enfant par jour.
Clément : J’aime pas ça.
Nicolas : Il faut faire chacun notre tour parce que toi, tu le fais beaucoup de fois.
Pierrick : Oui, mais c’est son métier, hein dis Clément ?
Valentin : C’est pas un métier !
Justine : Il faut être à deux pour les métiers.
Clément : Si j’y arrive pas, quelqu’un... je voudrais que quelqu’un m’aide, mais je voudrais le faire tout le temps.
La maîtresse : Clément propose d’être responsable de la météo avec quelqu’un qui l’aide. Maxime propose que celui qui l’aide change tous les jours. Seriez-vous d’accord pour que je fasse une liste avec tous les jours quelqu’un qui aide Clément ?
Lancer le conseil dans la classe
Matériellement, comment introduire cette réunion alors que les enfants n’en connaissent même pas l’existence ? En d’autres termes : comment créer le besoin ?
Le jour de la rentrée, à chaque fois qu’un enfant vient me rapporter une agression, un problème ou émet une proposition, ma réponse se fait toujours énigmatique : «Tu en parleras au conseil» ou «On règlera ça au conseil»... Inévitablement cela débouche sur des questions :
- «C’est quoi ?»
- «Une réunion.»
- «C’est quand ?»
- «Cet après-midi, après la récréation !»
Ainsi, le conseil existe et a un but... les enfants savent, en gros, ce qu’on va y faire !
Pour le premier jour, c’est moi qui installe les tables pendant la récréation (après deux responsables s’en chargeront) et qui fixe les points de l’ordre du jour de la vie de la classe : élaboration de la liste des métiers (souvent ébauchée, puis achevée à un autre moment), trouver un nom au journal de la classe (idem, les noms sont lancés, on y réfléchit et le vote se fera plus tard)... Les enfants comprennent vite qu’il peuvent lancer des idées et s’investissent très rapidement.
La «routine» du conseil
En m’appuyant sur quelques mots-clé, j’ai cherché à dégager les «invariants», les ingrédients indispensables à la bonne réussite d’un conseil quelque soit l’âge des participants. :
- régularité, le conseil est inscrit à l’emploi du temps, une fois par semaine.
- ritualisation, j’énonce les règles au début de chaque réunion, ainsi que l’heure, accompagnée de la phrase magique «le conseil est commencé !». J’écris la date et l’heure sur mon grand cahier où je note ensuite toutes les prises de parole ainsi que les décisions.
- Gestion de choses concrètes et application des décisions, la discussion précède l’action.
- Protection de la parole et de l’individu, possibilité pour chacun de s’exprimer et exigence d’écoute.
- Temps limité, 50 minutes maximum (l’heure de la sortie oblige à avoir terminé...)
- L’ordre du jour est toujours le même :
Vie de la classe
- la parole aux responsables.
- la classe fonctionne-t-elle bien ? Qu’est-ce qui ne fonctionne pas ?
- les propositions de projets ou d’activités.
- les critiques (entre enfants)
- les félicitations (entre enfants)
Entrer dans la citoyenneté dès la maternelle
Pour conclure, je voudrais dire que j’ai dû abandonner une ceretaine forme de pouvoir, j’y ai gagné en tranquillité et calme : ce n’est pas moi qui sanctionne, mais je fais respecter une règle que émane du conseil, mon rôle est clairement défini. La différence est de taille pour moi... et pour les enfants !
A l’heure où l’instruction civique redevient très en vogue : élaborer et s’approprier les règles de vie en groupe, respecter, tenter de comprendre et aider ceux qui ont des difficultés, n’est-ce pas une solution pour abandonner la violence comme mode de relation et entrer dans la citoyenneté dès la maternelle ?
Muriel Quoniam
école Franck Innocent
76 113 Sahurs
Règles de conseil
On parle de ce qui concerne la classe :
- les responsabilités
- ce qu’on a envie de faire, pas envie : les propositions, les questions, les critiques ou les râlages. On en discute et on décide.
On parle de ce qui est bien ou pas bien avec les copains :
- les félicitations
- les critiques
Le conseil nous aide à grandir, à décider tous ensemble des règles et à les respecter :
- on demande la parole
- on écoute celui qui parle
- on ne se moque pas
- on ne dit que ce qu’on sait
- ce qui est décidé doit être appliqué : la maîtresse est là pour faire respecter les décisions du conseil.
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