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Pour un engagement éducatif, pédagogique, social et politique des éducateurs Freinet

Dans :  Principes pédagogiques › 

L’engagement éducatif, pédagogique, social et politique des éducateurs Freinet et du mouvement international de l’école moderne pour la défense des droits de l’enfant et une démocratie participative.

La démocratie participative est devenue un thème majeur de réflexion et d’action pour le Mouvement International de l’Ecole Moderne et un engagement éducatif, pédagogique, social et politique pour les éducateurs Freinet.

 

par Jean Le Gal[1]

 Cet engagement s’inscrit dans notre histoire, dans notre filiation avec les pionniers de l’école nouvelle, de l’école socialiste et de l’éducation libertaire, Paul Robin en France, Francisco Ferrer en Espagne, Paul Geheeb en Allemagne, Janusz Korczak en Pologne, Makarenko et Pistrak en Union soviétique, Neil à Summerhill et bien d’autres dont il nous reste encore à découvrir toute la richesse des créations institutionnelles et éducatrices.
Tous ces pionniers considérent l’enfant comme étant une personne dont la dignité, les intérêts et les besoins doivent être respectés. Ils leur reconnaissent la capacité à exercer des libertés et à être associés aux décisions qui les concernent.
Freinet écrit en 1939, dans un texte L’Ecole au service de l’idéal démocratique, préparatoire au Congrès européen de la Ligue Internationale de l’Éducation nouvelle, « L’idéologie totalitaire joue sur ce complexe d’infériorité de la grande masse qui cherche un maître et un chef. Nous disons, nous, l’enfant et l’homme sont capables d’organiser eux-mêmes leur vie et leur travail pour l’avantage maximum de tous ».[2]
Le principe de capacité, aujourd’hui, est un principe fondamental de la démocratie participative, car c’est sur lui que repose le partage nécessaire du pouvoir entre les élus et les citoyens dans la cité, les adultes et les enfants dans les institutions éducatives. Lors d’une étude menée en 1991 par le Conseil national des villes et du développement urbain, sur la participation des habitants de la ville, [3] la sociologue Dan Ferrand-Bechmann, montre que « Tout être humain est capable de critiquer et de gérer son cadre de vie, les équipements et les services ».
Mais il est difficile pour un élu auquel il a été attribué une responsabilité liée à ses compétences, à un technicien expert dans son domaine, d’accepter ce principe et de voir ses décisions parfois contestées. Or non seulement il doit accepter de partager son pouvoir mais il lui faut aussi encourager la prise d’initiative de tous les citoyens et renforcer leur capacité d'action, de négociation et de prise de décision à travers des actions qui les motivent.
Lorsqu’il s’agit d’enfants, souvent considérés comme irresponsables et incapables de décisions réfléchies, il est aussi parfois difficile pour des enseignants, des éducateurs et des animateurs, aux capacités professionnelles reconnues par un certificat d’aptitude, de considérer leurs avis et leurs propositions comme pertinents et dignes d’être entendus.
C’est pourtant avec cette conviction, qu’historiquement, des pédagogues progressistes et révolutionnaires ont organisé démocratiquement les communautés dont ils étaient responsables, afin que les enfants puissent participer, en tant qu’individus et en tant que groupes, à la gestion de la vie sociale, des activités et des apprentissages, et exercer des responsabilités pour la mise en œuvre des décisions prises, y compris en ce qui concerne la justice au sein de la communauté.
Ce sont des « enfants-citoyens » écrit Adolphe Ferrière, en 1921, dans son ouvrage L’autonomie des écoliers dans les communautés d’enfants[4], où il présente plusieurs expériences d’école nouvelle.
Par exemple dans la « Libre communauté scolaire » d’Odenwald, créée par Paul Geheeb en Allemagne, avant la première guerre mondiale, le choix des cours à suivre est laissé à l’élève qui règle ce choix d’après ses goûts, ses études antérieures, le but qu’il poursuit et les examens qu’il veut préparer. Les groupes d’études rendent compte chaque mois, devant l’assemblée générale, de leur travail. L’assemblée générale, composée des élèves, des maîtres et du personnel, se réunit chaque semaine. C’est un élève qui la préside. Elle est la maîtresse absolue de l’organisation collective. On y discute aussi de l’actualité politique, des problèmes économiques, de questions de psychologie et de philosophie.
En Union soviétique, après la révolution, l’innovation éducative et pédagogique est très active. Elle est soutenue par Nadejda Kroupskaïa, l’épouse de Lénine, qui la première sans doute a parlé d’autogestion à l’école. Dans les expériences de Pistrak et de Makarenko, les assemblées générales discutent de toutes les questions concernant les activités et la vie de la collectivité. C’est devant elles qu’enfants et adultes répondent de leurs actes lorsqu’ils ne respectent pas les règles qui garantissent à chacun le respect de sa personne et de ses droits et le bon fonctionnement de la collectivité enfantine. Pistrak, dans son ouvrage Les problèmes fondamentaux de l’école du travail,[5]présentedes réflexions remarquables sur l’auto-organisation des écoliers et la justice à l’école, dont, aujourd’hui, nous pouvons encore tirer des enseignements pertinents pour mettre en place une réelle participation démocratique des enfants et des jeunes.
Korczak,[6] dont le nom est resté attaché à la lutte pour les droits de l’enfant, ne fait pas les mêmes choix institutionnels. Dans la Maison de l’orphelin, qu’il fonde en 1912 à Varsovie, un parlement de 20 députés est élu par les enfants. Il l’appelle aussi conseil d’autogestion. Pour traiter des plaintes, il crée un Tribunal d’arbitrage, composé de cinq juges tirés au sort parmi les enfants âgés de 12 à 14 ans. Il répond lui-même de ses actes de transgression des lois de la communauté devant ce tribunal.
La question de la «  justice à l’école » ou encore de la discipline, est en débat depuis plus d’un siècle chez les pédagogues engagés dans la construction d’une école démocratique.7]

Ses deux questions «Les enseignants doivent-ils répondre de leurs actes transgresseurs devant les enfants ? » et«  Faut-il faire participer les enfants à l’application des règles ? » demeurent d’actualité dans toutes les collectivités fondées sur une participation démocratique des enfants. Faire juger un enfant par ses pairs, est un principe qui soulève des débats et des controverses. Alors que dans les classes coopératives, c’est une pratique courante, au niveau de la collectivité, au cours de mes recherches, j’ai constaté que les écoles où existent des conseils de délégués ou des assemblées générales, hésitent à mettre ce principe en œuvre. C’est donc une réflexion à poursuivre au niveau de l’école, car, même lorsque les enfants participent à l’élaboration des règles, la question des transgressions, celle des enfants mais aussi celle des adultes, reste posée :
Qui a pouvoir d’intervenir et comment ?
Qui, ensuite, doit traiter les infractions aux règles ? 
Quelles seront les procédures disciplinaires et les sanctions éventuelles ?
Qui jugera les actes transgresseurs des adultes ?
Il était dans sa logique, que Freinet, meurtri physiquement et moralement par la guerre de 14-18, et décidé à mettre en place une autre éducation fondée sur les valeurs de paix, de solidarité, de coopération, de respect des personnes et de leurs droits, aille très vite à la découverte des expériences des pionniers de l’éducation libertaire, de l’école nouvelle et de l’école socialiste[8] et, peu à peu, construise avec ses compagnons, dans des conditions institutionnelles, matérielles et politiques difficiles, sur les mêmes principes, l’Ecole Moderne Française.[9]

Ses articles dans la revue L’École Émancipée, montrent  sa détermination à construire une école populaire coopérative dans laquelle les enfants du peuple pourront acquérir les savoirs qui les rendront plus libres, plus autonomes, plus conscients des luttes à mener pour une société de justice sociale et de liberté, mais une école où ils pourront s’exprimer librement, organiser leurs activités, construire leurs apprentissages, participer à la création d’une communauté où ils seront heureux de vivre.
Mais il affirme aussi que les éducateurs qui tentent de construire une autre école doivent s’engager, hors de l’école, pour l’avènement d’une société fondée sur les principes et valeurs sur lesquels ils fondent leur action éducative. Il est lui-même un militant social, syndical et politique.
« Nous ne comprendrions pas que des camarades fassent de la pédagogie nouvelle, sans se soucier des parties décisives qui se jouent à la porte de l’école, mais  nous ne comprenons pas davantage les éducateurs qui se passionnent activement pour l’action militante et restent dans leur classe de paisibles conservateurs. » Freinet
C’est pourquoi, au fil de notre longue histoire, notre Mouvement d’École Moderne a toujours inscrit ses pratiques éducatives et pédagogiques dans une dimension sociale et politique et s’est engagé, à travers le monde, dans les luttes pour défendre nos valeurs, les droits de l’homme et les droits de l’enfant.
C’est ainsi qu’en 1964, nous inscrivant dans le courant d’action et de réflexion autogestionnaires, en relation avec les militants agissant dans le champ économique et politique, nous nous sommes demandé : comment donner aux enfants encore plus de pouvoir sur leur vie, leurs activités, leurs apprentissages ? Comment les former à prendre leur vie en main, aujourd’hui et demain ? Fidèle à nos principes, en mai 68, notre Mouvement s’est engagé avec détermination dans l’action avec les étudiants et les travailleurs en lutte[10].
Passés de la coopération à l’autogestion, il était donc logique que nous devenions, aujourd’hui, dans et hors de l’école, des militants de la démocratie participative, et que nous coopérions avec tous les hommes et les femmes qui, dans le Monde, luttent pour être maîtres de leur devenir et construire une autre société.
            Il était aussi dans la logique de notre action éducative et pédagogique que nous nous engagions dans la reconnaissance et la défense des droits de l’enfant.
Comme tous les pionniers qui nous avaient précédés, rien ne nous autorisait à accorder aux enfants des droits, des libertés et un pouvoir sur leur vie à l’intérieur de l’école. Les institutions que nous créions avec eux, n’avaient aucune légitimité.
Nos choix allaient à l’encontre des représentations de l’enfant et de son éducation dans des sociétés où l’obéissance demeurait encore une vertu à cultiver. Donc les oppositions étaient nombreuses. Il nous fallait donc défendre nos choix théoriques et pratiques, d’où l’importance d’être insérés dans un Mouvement actif et résistant. Mais il nous fallait aussi, hors de l’école, tenter de faire reconnaître, juridiquement et officiellement, les droits que nous accordions aux enfants.
C’est ainsi qu’en 1957, au Congrès international de Nantes, l’ICEM adopte  une Charte de l’enfant, envoyée aux Nations Unies, qui travaille alors sur la Déclaration des droits de l’enfant. L’article15 stipule que « Les enfants ont le droit de s’organiser démocratiquement pour le respect de leurs droits et la défense de leurs intérêts. » Mais la Déclaration des droits de l’enfant, adoptée par les Nations Unies le 20 novembre 1959, ne reconnaît pas ce droit.
Engagé dans le soutien à une Convention internationale des droits de l’enfant, l’ICEM, en août 1983, à l’Université de Nanterre, dans le cadre de son congrès, organise un important colloque sur les droits et pouvoirs de l’enfant et de l’adolescent, pour réaffirmer le droit des enfants à exercer des libertés et une participation réelle à la vie de l’école et de la société. [11]
Mais il faudra attendre, l’adoption de la Convention internationale des droits de l’enfant, le 20 novembre 1989, pour que les enfants se voient reconnaître, enfin, les libertés fondamentales d’expression, d’association, de réunion, de pensée, de conscience, de religion, et le droit au respect de leur vie privée.
Ils sont donc désormais des personnes dont la dignité doit être respectée et des citoyens titulaires de libertés et du droit de donner leur avis sur les affaires qui les concernent et d’être associés aux décisions, ce que le Conseil de l’Europe appelle le droit de participation, un droit souvent méconnu ou ignoré par ceux qui nous gouvernent et ont pour obligation de faire respecter. C’est pourquoi, le 13 mars 2009, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, a adressé aux États-membres, une remarquable recommandation intitulée « Promouvoir la participation des enfants aux décisions qui les concernent ». Dans le chapitre premier, elle écrit : L’assemblée parlementaire considère que le processus de partage des décisions qui concernent la vie de l’individu et celle de la collectivité dans laquelle il vit est un des moyens de construire et de mesurer la démocratie dans un pays : la participation est un droit fondamental du citoyen et les enfants sont des citoyens. »
Dès 1948,  par son article 21, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme avait d’ailleurs stipulé que « Toute personne a le droit de prendre part à la direction des affaires de son pays, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis ».
C’est l’affirmation que la démocratie n’est pas seulement représentative et mise en œuvre par des élus, mais aussi participative : les citoyens ont la capacité et la légitimité pour participer à la définition et à la défense de l’intérêt général.
C’est pourquoi, une « Charte-agenda mondiale des droits de l’homme dans la cité », [12]en voie d’adoption, a pour objectif de promouvoir et de renforcer les droits de l’Homme de tous les habitants de toutes les cités à travers le monde. Elle affirme que tout être humain a les capacités de participer aux décisions qui le concernent. C’est le préalable à la mise en place de structures, de démarches, de formations, qui vont permettre à chacun de participer pleinement aux décisions qui le concernent et qui concernent la communauté dans laquelle il vit.
Dans un chapitre consacré au Droit à la démocratie participative,  elle affirme l’obligation pour la Cité de promouvoir la participation des enfants dans les affaires qui les concernent : Tous les habitants de la Cité ont le droit de participer aux processus politiques et de gestion de leur cité… La Cité reconnaît leur capacité à influer sur les décisions politiques.
Elle encourage l’exercice par tous ses habitants de leurs droits civils et politiques, individuels et collectifs. Elle promeut la participation des enfants dans les affaires qui les concernent.
Cette reconnaissance de la citoyenneté de l’enfant s’appuie sur l’article 12 de la Convention internationale qui stipule que : « Les Etats parties garantissent à l’enfant qui est capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en compte eu égard à son âge et à son degré de maturité. »
Pour le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies, l’article 12 est l’un des principes de base au cœur de la Convention car il entraîne une révision fondamentale de l’approche traditionnelle qui voit dans les enfants les destinataires passifs de la protection des adultes.[13] Dans son rapport 2003 sur «  la situation des enfants dans le Monde », l’UNICEF a appelé internationalement « l’attention du public sur l’importance, la raison, l’intérêt et la faisabilité de la participation active des jeunes à la vie de la famille, de l’école, de la communauté, de la nation. »  En conséquence, il a encouragé « Les États, les organisations de la société civile et le secteur privé à promouvoir l’engagement véritable des enfants dans les décisions qui les concernent ». L’UNICEF estime que « pour être authentique et efficace », la participation des enfants «  passe par un changement radical des modes de réflexion et de comportement des adultes » car cela suppose « que les adultes partagent avec eux la gestion, le pouvoir, la prise de décision et l’information »  celle-ci devant être adaptée à leur niveau particulier de développement intellectuel.
C’est donc une véritable mutation historique sur la place des enfants dans la société et sur les rapports que les adultes doivent entretenir avec eux, ce qui explique que les résistances soient nombreuses. Par ailleurs, beaucoup d’adultes ignorent l’existence de ce droit, y compris parmi les enseignants, les éducateurs, les animateurs de loisirs, ce dont l’État est responsable puisque la Convention lui fait obligation d’informer les enfants et les adultes.   
En 2004, le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies a rappelé à l’État français qu’il « doit continuer à promouvoir le respect des opinions de l’enfant au sein de la famille, de l’école, dans les institutions… et à favoriser la participation des enfants pour toutes questions l’intéressant, conformément à l’article 12 de la Convention, en tant que droit dont l’enfant est informé et non à titre de simple possibilité ». Il l’a encouragé «  à donner aux parents, aux enseignants, aux fonctionnaires, aux membres du corps judiciaire, aux enfants eux-mêmes et à la société dans son ensemble des informations à caractère pédagogique sur cette question en vue de créer et d’entretenir un environnement dans lequel les enfants puissent librement exprimer leurs opinions, et où ces opinions soient dûment prises en considération. »
  Le droit de participation des enfants doit être garanti par l’Etat mais il doit aussi être respecté par tous les adultes dans la ville, dans la famille, dans l’école, dans les centres de loisirs, dans les institutions éducatives, encore faut-il qu’ils le connaissent et qu’ils aient des moyens de se former à sa mise en œuvre.
  En ce qui concerne la famille,la loi du 4 mars 2002, a redéfini l’autorité parentale comme un ensemble de droits et de devoirs appartenant aux père et mère pour protéger l’enfant dans sa santé, sa sécurité et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement mais elle dit aussi que «  les parents associent l’enfant aux décisions qui le concernent selon son âge et son degré de maturité ».
  C’est pourquoi, à l’école Ange Guépin de Nantes où tous les enseignants pratiquent la pédagogie Freinet, nous avons proposé aux parents qui le souhaitaient, en septembre 2002, de participer à des ateliers de démocratie familiale[14]. Ceux qui ont répondu à notre appel ont mis en commun leurs tentatives pour une participation active et responsable des enfants à la vie familiale :conseil de famille, élaboration des règles, exercice de libertés, démarche participative pour des projets communs… Nous avons constaté que la proposition initiale venait souvent des enfants qui, à l’école, expérimentaient déjà droits et libertés.[15]

L’action des éducateurs Freinet pour les droits de l’enfant doit s’exercer à l’école mais aussi dans la société afin que partout la Convention internationale des droits de l’enfant, ratifiée par la plupart des pays du monde, soit respectée.
 
Lors du séminaire de juillet 1989 en Allemagne, à Ger-Erkenschwick, les représentants des groupes et mouvements pédagogiques affiliés à la FIMEM, réunis en assemblée générale, décident d’intervenir auprès des gouvernants de chaque pays afin qu’ils ratifient la Convention et mettent leur législation et leur réglementation en accord avec la Convention, afin que rapidement des transformations se fassent dans les écoles et la société, pour que les enfants puissent effectivement y exercer leurs droits et leurs libertés fondamentales. Ils affirment leur engagement à apporter leur coopération à la recherche de pratiques et d’institutions nouvelles et créent pour en assurer la coordination une Commission internationale des droits de l’enfant.  
Allant dans le même sens, au Congrès de l’ICEM à Strasbourg, en août 1989, les participants s’engagent à faire sauter les verrous, à détruire les obstacles, à appuyer la création d’espaces de liberté, en établissant des réseaux de réflexion et d’action avec des militants d’autres organisations, des chercheurs, des décideurs, dans et hors de l’école.
Aujourd’hui, l’engagement éducatif, pédagogique, social et politique des éducateurs Freinet et du Mouvement international de l’Ecole Moderne pour la défense des droits de l’enfant et une démocratie participative, demeure le même.
  Il nous faut donc faire le point de notre action interne à l’école et de notre action externe, un Etat des lieux pour continuer notre avancée en nous appuyant sur les réussites et en analysant les obstacles qui freinent notre action.

 ·         Développer la participation démocratique dans la classe et dans l’école
C’est là l’objectif premier pour les éducateurs Freinet. La participation des enfants fait partie de nos principes et de nos techniques fondamentales. L’auto-organisation des enfants dans la classe et dans l’école doit demeurer un objectif de lutte et de recherche pour notre Mouvement. [16]Mais la participation démocratique des enfants étant maintenant un droit dont les enfants devraient pouvoir demander le respect, de nombreuses questions se posent au niveau de la classe et encore plus au niveau de l’école.[17] Pour y répondre, théoriquement et pratiquement, nous devons analyser nos expériences actuelles, tenter des expérimentations nouvelles, nous réunir pour analyser ensemble nos pratiques. Et pour ceux et celles qui n’ont pas encore démarré, il est évident qu’une formation est nécessaire afin qu’ils connaissent la Convention internationale des droits de l’enfant, les arguments pour défendre leur action, les processus, les démarches et les outils pour instaurer une réelle participation non seulement dans leurs classes mais aussi dans leurs écoles.
·         élaborer une formation politique, démocratique et institutionnelle à une citoyenneté participative
Au cours de mes interventions, j’ai pu constater que souvent le droit de participation au processus décisionnel démocratique[18]  était ignoré, y compris par les éducateurs des Mouvements pédagogiques et d’éducation populaire dont la participation des enfants est un principe fondamental de l’organisation démocratique qu’ils mettent en place. Tout se passe comme s’ils étaient demeurés au stade d’avant la Convention internationale.
Dans ces conditions les enfants sont persuadés que le droit de donner leur avis, d’être entendus et associés aux décisions qui les concernent, individuellement et collectivement en tant que groupe social, ils le doivent seulement à la bonne volonté des adultes qui ont la possibilité de le reconnaître ou de l’ignorer, ou encore de le retirer en cas de non respect des règles de la vie collective : l’expression « perdre ses droits » figure encore dans de nombreux règlements. 
Or « la participation est un droit fondamental du citoyen et les enfants sont des citoyens » a rappelé récemment le Conseil de l’Europe.[19]Nous avons donc à leur apprendre, aujourd’hui, que les pratiques que nous leur faisons vivre sont la concrétisation de droits et de libertés qui leur appartiennent et dont ils doivent pouvoir demander le respect dans d’autres lieux, même si, actuellement, lorsque ces droits et libertés, inscrits dans nos normes juridiques, ne sont pas respectés, aucune possibilité de recours juridique n’existe. Sans doute faudra-t-il se poser, dans le cadre l’éducation à la citoyenneté, la question de la désobéissance civique et de l’indignation quand les principes et les valeurs sur lesquels repose la démocratie ne sont plus respectés.[20] 
 Il s’agit là donc d’une véritable formation politique, démocratique et institutionnelle à une citoyenneté pour une démocratie participative que nous avons à élaborer, à expérimenter et à promouvoir.  
 
·         S’associer aux actions mises en place par les villes et les autres associations défendant les droits de l’enfant
La Charte agenda mondiale des droits de l’homme dans la cité stipule que la cité devrait promouvoir la participation des enfants dans les affaires qui les concernent. Il reviendra aux défenseurs des droits de l’enfant d’être attentifs à la réalisation effective de cette prescription. L’analyse des avancées expérientielles vers une démocratie participative montre que la place accordée aux enfants demeure souvent minime.[21]Dans un tel contexte, il revient aux éducateurs, déjà engagés dans des expériences de participation dans et/ou hors de l’école, d’informer et de convaincre les décideurs que la participation des enfants et des jeunes est légitime et qu’ils ont la capacité à participer au processus décisionnel quand des projets les concernent, au fur et à mesure du développement de leurs capacités. [22]
Ils peuvent aussi s’associer aux manifestations qui sont périodiquement organisées, en particulier lors de la Journée internationale des droits de l’enfant du 20 novembre.
C’est ainsi que lors du Forum Mondial des Droits de l’Homme, au mois de juillet 2010,[23] avec plusieurs associations, nous avons organisé une Journée des Droits de l’enfant. Au nom de la FIMEM, j’ai pu y proposer un atelier «  Je participe et j’agis en tant qu’enfant citoyen dans l’école, dans mes loisirs, dans ma ville ».
Nous avons expérimenté, avec 168 enfants venant de 7 classes, un processus qui pourrait être utilisé dans toutes les écoles et les institutions, lorsque l’équipe éducative s’est mise d’accord pour mettre en place une participation authentique des enfants, afin de connaître leurs attentes et leurs propositions.
Dans un premier temps, je leur ai présenté leur droit de participation et les modalités d’organisation que nous avions élaborées :
 « Vous avez le droit de donner votre avis sur toutes les affaires qui vous concernent et d’être associés aux décisions et à leur application dans vos écoles, dans vos centres de loisirs mais aussi dans votre famille et dans votre ville. Le droit de participation qui vous est reconnu, vous permet de coopérer entre enfants, mais aussi entre enfants et adultes, pour que les lieux où vous vivez répondent mieux à vos besoins et à vos droits, pour plus de bien-être pour tous. Donc vos avis et vos propositions sur l’école sont importantes pour faire évoluer les choses. Nous vous demandons aujourd’hui de répondre seulement à deux questions sur l’école :
                            . Sur quoi pouvez-vous déjà exercer votre droit de participation dans votre école ?
                            . Sur quoi aimeriez-vous pouvoir l’exercer ? »
Dans un deuxième temps, par équipes de six, ils ont échangé activement pendant 30mn et choisi cinq propositions par groupes, dont nous avons assuré la synthèse et la diffusion auprès de leurs écoles, de l’Inspecteur d’académie, du Maire de Nantes, de la Défenseure des enfants et du Comité de rédaction de la Charte-agenda mondiale des droits de l’Homme dans la cité.
 
·         Coopérer à la promotion du droit de participation dans d’autres lieux
Les enseignements théoriques et pratiques que nous avons tirés de nos expériences dans le champ de l’école sont transposables dans d’autres lieux. Il est donc nécessaire de les faire connaître et de participer à leur adaptation.  
Souvent d’ailleurs la vie démocratique instituée à l’école est génératrice d’expériences dans le milieu proche.
J’ai déjà évoqué les ateliers de démocratie familiale à Nantes.
Ousseynou Diop nous rappelle, dans un article du  Nouvel Educateur,[24]combien l’expérience initiée par Papa Meïssa Hanne à Diawar et qui se poursuit depuis plus de vingt ans, a influé sur la place, le statut et la parole des enfants dans l’organisation sociale de la communauté villageoise. Elle a permis aux adultes de prendre conscience de la capacité des enfants à participer plus activement aux affaires collectives. C’est ainsi qu’un parent d’élève a constaté que « les choses évoluent doucement dans une société où ce sont souvent les plus anciens qui prennent les décisions, où les jeunes doivent seulement recevoir mais ne rien donner. Mais cela change. Ainsi au cours d’une assemblée de village, les enfants ont apporté un point de vue qui a été apprécié. Depuis, le bureau de la coopérative scolaire est représenté à ces assemblées… Une chose est sûre donc, tout vient de l’école, il nous faut renforcer l’école pour que la situation évolue, notre objectif étant que les enfants puissent donner leur avis à tout moment. »
Olivier Clairat[25], lors de sa recherche, avait confirmé que l’organisation démocratique et l’éducation à la citoyenneté, mises en place à l’école de Diawar, avaient bien des effets positifs sur le milieu environnant et que la démocratie participative à l’école pouvait s’étendre des enfants aux adultes.
Il est nécessaire aujourd’hui de sortir du champ de l’école et de se constituer en réseau de recherche avec les autres organisations qui agissent dans le même sens que nous. La mise en commun de nos pratiques et de nos interrogations peut nous apporter un enrichissement mutuel fondement de nouvelles expérimentations.  
C’est ainsi que j’ai moi-même beaucoup appris en participant à la formation d’éducateurs d’institutions spécialisées et d’institutions de la petite enfance et d’animateurs de centres de loisirs. Cela m’a obligé à confronter mes principes et mes pratiques construites à l’école, aux conditions particulières d’autres lieux, à des difficultés et des problèmes spécifiques, et donc à mener des recherches qui ont élargi grandement ma vision de la participation démocratique des enfants et des jeunes et évidemment mes compétences.
En conclusion,  nous sommes dans un champ d’action novatrice, où, même si les expériences datent de plus d’un siècle, presque tout reste à construire. Et les enjeux dépassent largement l’école. Il s’agit de construire, ensemble, une autre société, une autre démocratie, un autre monde, où, comme le soutenaient les participants à la Conférence internationale sur la citoyenneté et la démocratie participative, de Saint Denis, en mai 2000, chacun aura droit, à égalité, de jouer son rôle dans la recherche de réponses novatrices, alternatives et durables aux questions de société, aux aspirations et aux besoins humains.

 


[1] Chargé de mission aux droits de l’enfant de la Fédération Internationale des Mouvements d’Ecole Moderne
[2] FREINET Célestin, L’Ecole au service de l’idéal démocratique, L’Educateur prolétarien, 18, 15 juin 1939.
[3] in Rapport de Jacques Floch, sur la «Participation des habitants de la ville », Editions du Conseil national des villes et du développement urbain, 1991. 
[4] FERRIERE Adolphe, L’autonomie des écoliers dans les communautés d’enfants, Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1921.
[5] PISTRAK M.M., Les problèmes fondamentaux de l’école du travail, Paris, Desclée de Brouwer, 1973., 1ère édition 1925.
[6] KORCZAK Janusz, Comment aimer les enfants, Paris, Laffont, 1978.
[7]Pour plus d’informations sur ces expériences historiques, LE GAL Jean, La participation démocratique à l’école. Le Conseil d’enfants Ecole, www.meirieu.com/ECHANGES/legal_participation.pdf
et  LE GAL Jean, Mise en perspective historique des pratiques et des enjeux actuels de la coopération et de la participation démocratique des enfants, Journal du Droit des Jeunes, n° 282, février 2009.  
[8] GOUPIL Guy, Comprendre la pédagogie Freinet. Genèse ‘une pédagogie évolutive,  Editions Amis de Freinet, décembre 2007.
[9] FREINET Célestin, L’Ecole Moderne Française, Guide pratique pour l’organisation matérielle, technique et pédagogique de l’Ecole Populaire, Gap, Editions Ophrys, 1943.
[10] Pour plus d’informations, LE GAL Jean, Le maître qui apprenait aux enfants à grandir. Un parcours en pédagogie Freinet vers l’autogestion, co-édition éditions ICEM et éditions libertaires, 2007.
[11] Projet de Charte des Droits et des Besoins des enfants et des adolescents, L’Éducateur, n°12, 15 mai 1983,
et Colloque sur les droits et les pouvoirs des enfants et les adolescents, Document préparatoire, 113 p.
[12] Charte-agenda mondiale des droits de l’Homme dans la cité, http://www.spidh.org/fr/la-charte-agenda/index.html
[13] PAIS M.S., La Convention relative aux droits de l’enfant, in Manuel relatif à l’établissement des rapports sur les droits de l’homme,  OHCHR, Genève, pp 393-505, 1997.
[14] LE GAL Jean, Vers une démocratie familiale. La participation de l’enfant à la vie familiale. Arguments et pratiques, http://www.dei-france.org/lettres_divers/2008/Participation_enfant_famille%202%20_2_.pdf
[15] Pour plus d’information, LE GAL Jean, Les droits de l’enfant à l’école. Pour une éducation à la citoyenneté, éditions De Boeck, 2008, 1ère édition 2002.
[16] LE GAL Jean, L’auto-organisation des enfants dans la classe et dans l’école doit demeurer un objectif de lutte et de recherche pour notre Mouvement, Le Nouvel Educateur, avril 2005.
[17] En annexe des questions qui se posent et qui sont à compléter.
[18] LANSDOWN Gerison, Promouvoir la participation des enfants au processus décisionnel démocratique, Florence, UNICEF, Centre de recherche Innocenti, 2001.
[19] Conseil de l’Europe, Assemblée parlementaire, Recommandations 1864 (2009) : Promouvoir la participation des enfants aux décisions qui les concernent.
[20] HESSEL Stéphane, Indignez vous !, éditions Indigène, octobre 2010.

LE GAL Jean, « Les militants « adultes » de la démocratie participative sont parfois très peu concernés par la participation des enfants », TERRITOIRES, Le mensuel de la démocratie locale, n° 507, avril 2010

[22] LANDSDOWN Gerison,  Les capacités évolutives de l’enfant, Florence, Centre de recherche Innocenti de l’UNICEF, 2005.
[23] Voir en annexe 2
[24] DIOP Ousseynou, Quand les enfants prennent en main leur correspondance, Le Nouvel Educateur, L’enfant auteur, n° 200, décembre 2010.
[25] CLAIRAT Olivier, L’école de Diawar et l’éducation au Sénégal, L’Harmattan, 2007.

 

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