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Ecrire un roman avec sa classe, c'est possible

Dans :  Français › Principes pédagogiques › 
Janvier 2011
  C'est possible et c'est "super! C'est motivant, socialisant, on lit, on écrit, on communique.
  Il y a deux ans, j'ai vécu cette expérience avec ma classe de CP/CE1 dans le cadre d'un projet écrit-lecture. En six mois nous avons écrit, saisi et mis en page notre roman interactif "Achi Oua Oua". Cette expérience a bouleversé, révolutionné ma façon d'aborder l'écrit avec des enfants.
   Cette année, je renouvelle cette aventure avec une cohorte d'enfants de CE1 que j'avais déjà au CP.
   Je m'engage à en faire le compte-rendu dans Artisan Pédagogique, d'abord pour m'aider moi-même, et puis pour donner envie aux autres de plonger sans modération dans cette aventure.
 
 
Profil de la classe
            Un CE1 de 25 enfants que j'avais au CP Depuis le mois de Juin 97, les enfants savent qu'au CE1 nous allons écrire un roman interactif. Nous avons lu ensemble le roman précédemment écrit " Achi Oua Oua ".
            Le fait de les avoir eus au CP est un avantage certain.
            Au CE1 je récolte tout le fruit du travail préparatoire à l'autonomie semé au CP. Les enfants ont eu l'habitude de travailler en atelier et d'utiliser les ressources de la classe.
 
Les étapes
Septembre à Novembre 1997.
Objectif : " vers une maîtrise du langage parlé ".
            Les enfants ont l'habitude depuis le CP de se raconter des histoires, d'en inventer.
            Ils ont pris conscience de l'effet " boule de neige ";  un copain commence une histoire, un autre enchaîne, etc ... Ils en sont très friands et pratiquent régulièrement ce jeu.
            Trois semaines après la rentrée, j'organise un rallye-lecture ; objectif : motiver les enfants à lire beaucoup et réveiller ou entretenir leur imagination jusqu'à ce qu'elle déborde.
 
            Une trentaine de livres est mis à la disposition de mes 25 élèves. Chaque livre vaut un certain nombre de points (variable suivant la difficulté, de 10 à 80 points). Les enfants ont un mois pour lire le plus grand nombre de livres possible, totaliser donc le plus grand nombre de points. II est décidé en conseil que 13 enfants " gagneront ". Chaque enfant amène un lot, l'ensemble est réparti entre les gagnants Je précise que c'est une décision prise, votée par tous les enfants.
            Chacun est conscient que 12 enfants seront " perdants ".
            L'enfant choisit son livre, le lit, le rend. En échange, je lui donne un questionnaire. Il gagne des points qu'il récapitule sur un grand tableau affiché dans la classe.
            Les enfants ont vite compris que lire plusieurs livres à 10 points rapportait autant qu'un livre " difficile " à 80 points. Chaque enfant a sa chance.
            Ils se sont pris au jeu, même les parents qui venaient régulièrement consulter le tableau. Ils se sont aussi tous mis à faire du calcul, à effectuer des additions à retenue sans le savoir.
            Mi-Novembre, les 13 enfants qui avaient le plus de points ont gagné des lots apportés par les copains.
 
Novembre à Décembre 97
 " La pêche aux histoires "
Après avoir lu " Des gorilles aux yeux mauves"  (ou petite pédagogie de l'atelier d écriture de René ESCUDIER. CRDP de Montpellier) je pars à la pêche aux histoires. Je prends en note les histoires inventées par les enfants. Très vite, je suis débordée. lls veulent tous présenter leurs histoires, je ne peux pas toutes les écouter et les prendre en notes. Certains décident donc de les écrire eux-mêmes. Au bout de quelques jours, la pêche est fructueuse.
            Un premier dégraissage est établi : au tableau, je trace quatre colonnes:  personnages, lieux, objets, sentiments. Chaque histoire est relue et les colonnes remplies. On s'aperçoit que beaucoup d'histoires se recoupent.
            À l'issue de ce dégraissage, une nouvelle pêche est lancée. Les nouvelles histoires sont souvent écrites par deux. Le début de notre roman se précise. Les enfants se mettent d'accord sur les personnages, le lieu, les conditions. C'est parti. On est le 20 Novembre, la première page de notre roman est écrite, elle est le résultat du dégraissage de cette seconde pêche.
            N'oublions pas qu'il s'agit d'un roman interactif, il faut donc proposer plusieurs chemins au lecteur. A l'issue de cette première page, trois chemins se dessinent. Nous construisons tout de suite l'arbre de notre roman sur une grande affiche fixée en permanence au tableau.
            Depuis, tous les jeudi, nous travaillons sur notre roman.
 
La démarche
            La démarche est pour l'instant la suivante : je propose les " chemins " sur lesquels on va travailler. Des groupes de trois enfants (*) se forment et choisissent leur chemin.
            Les groupes se constituent par affinités et peuvent changer d'un jeudi à l'autre. Dans chaque groupe, est désigné un " écrivain " et un lecteur qui communiquera la production au groupe-classe. Certains groupes vont à la BCD s'isoler, d'autres dans le couloir.
            La consigne est pour le moment toujours la même : écrire la suite, conclure sa production en proposant deux chemins possibles, deux : " A ton avis, que se passe-t-il ? "
Pendant les 40 minutes, les enfants sont en situation de production, quant à moi ...
- soit je tourne de groupe en groupe,
- soit je m'attache à un groupe, et j'en suis le scribe,
- soit j'accompagne un groupe de 6 à 10 enfants, notre travail consiste alors à relire, à reformuler, à améliorer, à " rendre joli"  un écrit du jeudi précédent.
 
            Dans ces moments-là les objectifs grammaticaux, orthographiques deviennent " vivants " : des observations, des remarques du type " c'est comme " sont classées sur des affiches (exemple : " ils ouvrent " c'est comme " les enfants tombent ", " elles s'enfuient "). Mais ce n'est pas l'objectif du travail.
            Plus tard on analysera et on établira des règles. On se construit progressivement des outils, des aides orthographiques, grammaticales pour devenir plus performant à l'écrit.
            Les enfants ont à leur disposition dans la classe des outils d'aide (lexique élaboré au CP, dictionnaire pour les petits édition PEMF) depuis le CP.
            Au bout de 40 minutes, chaque groupe rapporte son travail. Le lecteur, qui est différent de l'écrivain, rajuste de lui-même l'écrit, rectifie les syllabes inversées, ajoute les mots oubliés.
            Ce travail est parfois effectué par le groupe avant sa présentation, les enfants non écrivains valident l'écrit de leur camarade par une lecture et entraînent donc un réajustement. Je me rends compte que peu à peu les enfants font ce travail de validation avant la présentation au groupe-classe.
            L'évaluation finale des productions est la réaction du groupe-classe. Après chaque présentation, une discussion s'engage. On se rend compte que ce qui est évident pour le groupe émetteur ne l'est pas toujours pour le groupe destinataire. II arrive que plusieurs groupes travaillent sur le même chemin.
            Jusqu'à présent, après confrontations. remarques, on a réussi à lier les écrits pour n'en former qu'un seul (Ouf!!! ...). Les points de désaccord sont traités collectivement, lorsqu il n'y a pas consensus, on vote.
            La saisie se fait tous les jours par roulement sur l'ordinateur. Sur 6 heures de classe, l'ordinateur est occupé 5 heures. On ne saisit que les écrits nettoyés, achevés, communiqués et validés. La mise en page se fera quand le roman sera terminé, dans la classe, avec Publisher.
            En parallèle, j'ai prévu de finaliser cette production sous une version CD-ROM de manière interactive.
 
Conclusion provisoire
            Voilà, c'est la trêve de Noël.
            Notre arbre a déjà beaucoup de branches. Les enfants sont très motivés et m'étonnent par leurs idées.
            Rendez-vous au prochain numéro d'Artisans pédagogiques (Bulletin de l'ICEM 34) (**)
 
Anecdote
Un jeudi, Alex, un enfant peu sûr de lui, a voulu travailler seul. C'était un jeudi où je n'étais attachée à aucun groupe en particulier. Je naviguais donc de groupe en groupe. Je me suis retrouvée assise à côté d'Alex qui avait déjà écrit cinq lignes et semblait "sec".
II m'a présenté son travail, on en a discuté, je lui ai demandé des précisions sur des points peu intelligibles, de nouvelles idées sont nées. Après m'avoir gentiment congédiée, Alex s'est remis à écrire. Lors du retour au grand groupe, Alex a présenté son travail (une page A4 recto verso) à la classe entière.
II m'a confié en aparté: "Tu sais, maîtresse, je ne savais pas que j'étais capable d'en écrire autant!"
À l'issue de sa communication à la classe, spontanément les enfants ont applaudi Alex, reconnaissant par ce geste son travail et le validant. Depuis ce jour, Alexandre est un grand producteur d'écrits, de plus en plus autonome.
 
Janvier 1998 : reprise difficile
            J'ai tendance à faire de l'acharnement pédagogique. Un vent de panique souffle sur moi. Heureusement je pars en stage. J'en reviens plus sereine.
            On s'organise : trois boîtes sont constituées à côté de l'ordinateur : prêt à saisir, saisie en cours, saisie fin.
            Le mardi matin devient la matinée saisie. De 9h à 10h30, par roulement, les enfants saisissent avec l'aide de David, notre aide éducateur. De 11 h à midi, des enfants vont saisir chez des collègues avec une disquette. Chaque texte saisi est imprimé et donné aux enfants qui le collent dans leur cahier de production d'écrits. Chaque texte est affiché au tableau en cohérence avec notre arbre.
            On peut suivre les différents chemins par un système de couleurs.
 
Christine Bonnin
(*) Les recherches en didactique semblent montrer qu'il y a une meilleure interaction dans les groupes de trois enfants.
(**)et aussi dans French Cancans, je l'espère bien