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Septembre 1996
Célestin Freinet, l'ICEM, un choix pédagogique, un engagement social et politique...
Freinet aurait cent ans cette année. Et pourtant, sa pédagogie a traversé ce siècle en restant novatrice, entre utopie et réalité.
Fondée sur des bases philosophiques, politiques et sociales, parce qu'elle forme des hommes responsables de leur vie, elle revet un caractère intemporel et universel.
D'une part elle est basée pédagogiquement sur ce que C. Freinet appelait les "invariants". Publiés en 1964 sous la forme d'une brochure, ils marquent l'importance fondamentale que Freinet a toujours accordée à la pratique.
D'autre part, ses successeurs, regroupés au sein de l'Institut Coopératif de l'Ecole Moderne, adhèrent politiquement à une charte qui fut élaborée deux ans après sa mort, comme pour se garantir de dérives éventuelles.
Invariant n° 1 : l'enfant est de même nature que l'homme.
Nous considérons l'enfant tel qu'il est, avec son bagage personnel, ses compétences, ses handicaps, son vécu, ses douleurs, ses joies, ses expériences, ses réussites, ses échecs. Ainsi lui permettons-nous d'être reconnu et de s'assumer.
Nous lui offrons le droit à l'expression, avec ses maladresses, ses richesses, ses singularités, en l'aidant à en acquérir les compétences. Ainsi trouvera-t-il sa place, grâce au pouvoir de dire, d'écrire, de manifester ses émotions, ses pensées par tous les moyens.
Nous respectons sa dignité en considérant les différences comme une richesse et non comme une anomalie, en favorisant l'épanouissement de sa propre nature.
Comment y parvenir ? En étant à l'écoute, en accordant à chacun le pouvoir de réaliser ses désirs, d'assouvir ses questionnements, de participer à sa propre construction, de s'approprier ses savoirs, d'être co-responsable de son devenir. En protégeant le plaisir d'apprendre dans un bain de culture.
Invariant n° 11 : "La voie normale de l'acquisition n'est nullement l'observation, l'explication et la démonstration, mais le tâtonnement expérimental, démarche naturelle et universelle".
Nous le mettons en oeuvre dans nos classes en utilisant des situations d'apprentissage issues de la vie, des phénomènes naturels, physiques ou autres, qui posent ordinairement problème et que l'on doit résoudre chaque jour.
Il est inutile d'inventer des stratégies artificielles, mais important d' être vigilant pour laisser entrer en classe ce qui existe "hors du bocal". La vie ne peut s'apprendre que par la vie et non par des artifices scolaires. La part du maître pourrait, de façon simpliste, se résumer ainsi :
- observer, pointer des situations problématiques rencontrées chaque jour par l'un, l'autre, le groupe.
- autoriser et promouvoir la répétition des essais dans quelque champ disciplinaire que ce soit, et accepter l'erreur.
- mettre en place les conditions permettant l'acquisition d'une "méthode" : émettre des hypothèses, puis par tâtonnements successifs, faisant varier les paramètres, ajuster son observation et tirer des conclusions réinvestissables.
Il est plus long et difficile de proposer de creuser le puits ensemble que d'apporter l'eau attendue. Mais les objectifs sont si différents. Notre devoir est de choisir : rendre autonome ou dépendant ?
Il est plus long et difficile de proposer de creuser le puits ensemble que d'apporter l'eau attendue. Mais les objectifs sont si différents. Notre devoir est de choisir : rendre autonome ou dépendant ?
Invariant n° 21 : l'enfant n'aime pas le travail de troupeau auquel l'individu doit se plier, il aime le travail individuel ou le travail d'équipe au sein d'une communauté coopérative.
L'individualisation-personnalisation des apprentissages est l'un de nos chevaux de bataille.
Prolongeant l'oeuvre de Freinet, nous avons mis au point toute une gamme d'outils adaptés permettant de réaliser ce projet ambitieux : éduquer à l'autonomie, respecter l'hétérogénéité, les rythmes individuels de vie et d'apprentissages, la singularité de chacun.
Les règles, avec les droits et devoirs de chacun, les activités collectives et individuelles, les apprentissages, sont gérés coopérativement au sein du groupe.
Ces pratiques parce qu'elles sont mises en place dans le contexte coopératif de nos "sociétés-classes", nous grantissent de la dérive d'une culture de l'individualisme.
Invariant n° 27 : "On prépare la démocratie de demain par la démocratie à l'école".
Cette règle nécessite un engagement plus total de la part des maîtres. Il s'agit d'offrir à l'homme de demain toutes les capacités créatrices et l'esprit critique lui permettant de construire la société dans laquelle il vivra.
Nous mettons en place des lieux de parole permettant le regard sur le vécu du groupe, la préparation de projets réfléchis, la régulation des conflits, la gestion, la réglementation, le partage des responsabilités... Autant de pratiques concrètes de l'exercice de la citoyenneté au niveau d'un groupe constitué au moins pour un an. Le maître, n'est pas l'autorité hiérarchique, mais le simple garant de ce projet contractuel.
Affronter les vrais problèmes en essayant de trouver des solutions en harmonie avec la vie ; apprendre à voir les différences, puis à les accepter, à les respecter, enfin à les considérer comme enrichissantes. Tout cela constitue les principes de base d'une véritable éducation à la paix.
"Célestin Freinet, l'ICEM, un choix pédagogique, un engagement social et politique", tel est le thème du Congrès de l'ICEM célébrant le centenaire de C. Freinet.
Notre spécificité est un idéal de laïcité, d'égalité, de liberté, de citoyenneté. C'est pour que cette utopie devienne réalité que nous menons nos expériences dans ce vaste réseau d'échanges qu'est l'ICEM, ouvert sur les recherches actuelles, et, au niveau international, avec les mouvements étrangers de l'Ecole Moderne rassemblés au sein de la FIMEM (Fédération Internationale des Mouvements d'école Moderne).
Héritiers de Freinet, nous sommes engagés dans l'innovation permanente, nous sommes présents dans le champ politique, engagés dans les rendez-vous sociaux.
Nous militons pour une pédagogie sans frontière par notre coopération, au service des maîtres dans le domaine de la formation, au service des enfants par la correspondance scolaire mise en place avec des classes de nombreux pays étrangers.
En 1996, plus que jamais l'article 2 de la Charte de l'Ecole Moderne, pourtant écrite il y a une trentaine d'années, reste notre actualité :
"Nous sommes opposés à tout endoctrinement. Nous ne prétendons pas définir d'avance ce que sera l'enfant que nous éduquons ; nous ne le préparons pas à servir et à continuer le monde d'aujourd'hui, mais à construire la société qui garantira au mieux son épanouissement. Nous nous refusons à plier son esprit à un dogme infaillible et préétabli quelqu'il soit. Nous nous appliquons à faire de nos élèves des adultes conscients et responsables qui bâtiront un monde d'où seront proscrits la guerre, le racisme et toutes les formes de discrimination et d'exploitation de l'homme".
Nicole Bizieau,
Présidente de l'ICEM
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