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La pédagogie Freinet en zone sensible : pourquoi ?

Dans :  l'Education Nationale › 
Octobre 1996

Je passerai assez rapidement sur la situation économique, sociale et cul­turelle de vaulx -en-Velin. Les mé­dias, je pense, ont suffisamment re­layé les difficultés que connaît cette cité.

Ce que l'on peut dire, nous, en tant qu'enseignantes et, pour ma part, en tant qu'habitante de Vaulx-en-Velin, c'est que s'accentuent ces dernières années, un certain nombre de phéno­mènes, générateurs de souffrance pour les enfants et les adolescents, pour différentes raisons : la dégradation de l'image du père ; l'absence de re­pères et de limites qu'on pouvait trouver dans les relations de voisi­nage ; un sentiment d'impunité qui entraîne le non rapport à la loi ; le manque de communication dans les fa­milles.
D'où pour les jeunes une perte d'identité et un sentiment d'exclusion qui les mènent vers deux dérives possibles. L'une est relati­vement ancienne, la plus connue et la mieux repérée : la délinquance, avec tous les phénomènes de bande. L'autre, plus récente, mais non moins dangereuse, est la radicalisation et le repli ethnique et même géogra­phique : à Vaulx, on est de tel ou tel quartier en opposition à tel ou tel autre. Ce qui se traduit sur le plan social par deux phénomènes ex­trêmistes : le vote ou le refuge Front-National et l'intégrisme isla­mique (puisque vous nous excluez, on s'exclut encore plus, comme ça, on a une part active dans la situation).
Face à cela, quelle attitude ont adopté les institutions et les pou­voirs publics ?
D'une part, une politique d'animation socio-culturelle effreinée (il faut "occuper" les jeunes) et d'autre part une marginalisation de ces zones qui s'officialise de plus en plus. Ce fu­rent d'abord les ZEP, puis la prime aux personnels dans les ZEP, puis l'identification des établissements "à risques". On demande maintenant que ce soit l'état qui assure les vé­hicules dans ces lieux peu sûrs, on demande aussi la suppression des taxes pour les entreprises qui auront le courage de venir s'y installer etc...
On ne peut que constater l'inadaptation de ces attitudes, puisque les problèmes vont plutôt en s'agravant et que même des nouveaux apparaissent.
Bien sûr, il faut tenir compte du contexte national, qui ne s'arrange pas non plus, mais il y a des atti­tudes qui aggravent les choses et d'autres qui peuvent peut-être les améliorer.
Là où il aurait fallu oeuvrer dans le sens d'une éducation populaire, on s'est employé à acheter la paix so­ciale et on a formé des générations à qui tout est dû. Là où il aurait fallu responsabiliser les associa­tions de jeunes, en les aidant ou en leur laissant leur autonomie, on a préféré aller jusqu'à les combattre parce qu'elles pouvaient remettre en cause le pouvoir établi.
Qu'est-ce qu'il faudrait faire ? Qu'essaie-t-on de faire, nous, dans nos écoles ?
J'ai trouvé, dans un traité poli­tique, philosophique et pédagogique hebdomadaire, qui s'appelle Charlie-Hebdo, pour ne pas le citer, une in­terview de Boris Cyrulnik (éthopsychiatre) à propos d'un tra­vail qu'il a mené sur la montée de l'extrême droite dans le sud de la France. Voici ce qu'il dit :
"Quand on a un moi fragile, il faut s'entourer d'un "nous" fort. Si des gens ont un "moi" fort, ils sont su­jets de leur propre histoire, de leurs paroles, ils savent ce qu'ils veulent et désirent, ils se mettent en chantier pour le réaliser. Ces gens là n'ont pas besoin d'être étayés par un discours politique".
On pourrait ajouter "et religieux".
Il dit par ailleurs :
"Quand on vit dans une "poly-apparte­nance", il faut être souple, pour être à la fois footballeur, catho­lique, quincailler, et pouvoir chan­ger de registre. Quand on est rigide, on est anxieux. Quand on est anxieux, on se sécurise avec des certitudes. La certitude a une fonction tranquil­lisante. Mais elle ne permet plus d'être poly-appartenant.
Lorsqu'on est mono-appartenant, il nous faut un clan, un totem, adorer le même, de façon à haïr l'autre, le différent".
Ce que dit Cyrulnik nous situe bien au coeur du problème et nous y re­trouvons ce que nous permet la péda­gogie Freinet :
"construire un moi fort", nous dirons plutôt, parce que nous ne somme pas psychologues, "construire l'estime de soi", mais dans un réseau multiple de relations qui assure une appartenance multiple génératrice d'acceptation de l'autre.
 
Nous avons choisi d'intervenir à deux voix car nous pensons qu'il n'y a pas, y compris au niveau de l'éducation à la citoyenneté, de dif­férence de nature dans nos actions, mais simplement des champs plus ou moins larges, des priorités parfois différentes suivant l'âge des en­fants. Nous situerons tout d'abord nos deux écoles. Puis nous donnerons quelques exemples, le plus intéres­sant étant qu'ultérieurement le débat s'instaure, se poursuive si vous nous adressez vos questions et remarques.
Ch. Nay
 
Je travaille depuis quatre ans dans une école maternelle de cinq classes. Depuis sa création en 1978, deux phé­nomènes marquants peuvent être obser­vés :
- l'évolution de la population qui était à l'origine beaucoup plus mixée qu'actuellement, puisqu'elle était constituée de cadres et d'une popula­tion plus modeste. Petit à petit, les cadres ont quitté le secteur, les ef­fectifs ont chuté, et actuellement reste une forte proportion de fa­milles fragilisées par les difficul­tés économiques et sociales qu'elles subissent.
- l'évolution de l'équipe pédagogique qui, après s'être maintenue pendant quatre ou cinq ans à l'ouverture de l'école, a connu de grandes dérives, pour finalement se stabiliser depuis quatre ans.
V. Goujon
 
L'école Anatole France comporte cinq classes primaires et un poste ZEP partagé avec la maternelle. On constate une grande stabilité des en­seignants (quatre sont là depuis 1970). Les six enseignants sont tous engagés à des degrés divers dans une pédagogie coopérative. Les élèves sont recrutés dans la Cité d'urgence et les logements HLM.
Les difficultés se sont posées dès le départ et les enseignants ont très vite essayé de trouver des réponses en équipe.
Ce travail d'équipe nous a amenés de­puis quelques années à une organisa­tion par cycles. Ainsi nous avons deux CP-CE1, et sur le cycle III, les trois enseignantes travaillent avec tous les enfants de CE2, CM1, CM2, qui se trouvent donc la plupart du temps en groupes hétérogènes. Cette organisation n'est pas un gadget mais un choix pédagogique et éducatif qui nous permet de démultiplier les ri­chesses de la classe coopérative.
Ch. Nay
 
Une action pédago­gique qui permet de construire l'estime de soi...
 
Par la prise en compte de l'enfant en tant que per­sonne...
 
Il nous semble très important de par­ler de la prise en compte de la per­sonne chez l'élève.
L'enfant est un être unique et glo­bal, c'est à dire qu'il arrive à l'école avec tous ses problèmes, tout son vécu de la maison.
Accueillir ce petit en maternelle, c'est prendre en compte sa difficulté à se séparer de son milieu familial, c'est être attentif à chaque enfant : respecter ses émotions, son chagrin s'il pleure en arrivant, sa rage s'il refuse d'aller à la cantine.
Mais c'est aussi voir que beaucoup d'enfants sont perdus et aliénés par des problèmes de santé physiques et psychiques qui vont nuire à leurs ap­prentissages et perturber le bon dé­roulement de la classe. Nous y re­viendrons un peu plus loin avec le problème de la santé.
V. Goujon
A l'école primaire, j'illustrerai cette prise en compte de la personne chez l'enfant par un travail que nous menons depuis l'an dernier sur la culture non scolaire.
Nous avons lu les ouvrages de Michel Serres, Michel Authier et Pierre Lévy concernant "les arbres de connais­sance"(1). L'idée est que dans un groupe donné, chacun sait quelque chose et que lorsque l'on met tout en commun, on a un capital de savoirs à partager.
Nous avons donc repris cela en lis­tant tous les savoirs et savoir-faire que déclaraient les enfants, y com­pris les savoirs non scolaires du style : faire du vélo, mettre le cou­vert, aller seul au parc des sports... Parallèlement, nous organi­sons régulièrement des "marchés de connaissances", où les enfants propo­sent de faire partager une compétence aux autres en tenant un "stand".
C'est une façon de valoriser l'enfant en dehors des apprentissages sco­laires. Il y en a d'autres, c'est un exemple.
C. Nay
 
... Par l'expression
 
Un autre élément de la construction de l'estime de soi est l'expression et la communication. C'est un élément qu'on retrouvera d'ailleurs dans la deuxième partie puisque expression et communication supposent le plus sou­vent qu'il y ait relation.
Pour se construire, il faut que l'enfant puisse communiquer des in­formations, des émotions, des idées, émettre des critiques et les en­tendre, défendre son point de vue, agrumenter, faire des propositions. Pour cela, il faut des lieux (c'est un des rôles des Conseils, par exemple). Il faut des outils : trai­tement de texte par exemple, mais aussi la boîte aux lettres devant chaque classe qui permet d'écrire, y compris à ceux qui sont proches, des choses qu'on ne pourrait peut-être pas dire.
L'expression, elle, doit être déve­loppée dans tous les domaines : oral, écrit, bien sûr, mais aussi corporel, artistique. Nous attachons une grande importance à ces activités. Nous uti­lisons au maximum les installations sportives, les possibilités de sor­ties en plein air et chaque semaine, dans l'emploi du temps, on trouve des ateliers en musique, en arts plas­tiques, en théâtre, mime...
Ch. Nay
Il n'y a rien à ajouter de spécifique pour la maternelle, juste insister s'il est besoin sur le souci que nous avons également de développer toutes ces formes d'expression.
V. Goujon
 
... Par des ap­prentissages réus­sis
 
Nous sommes convaincus que des ap­prentissages réussis conditionnent une bonne image de soi.
Pour une grande majorité des élèves qui fréquentent notre école, on constate plusieurs types de difficul­tés.
- Tout d'abord des difficultés à sor­tir de la passivité. Les enfants sont "posés" à l'école comme on pose les paquets. beaucoup de petits de trois ans sont encore véhiculés en pous­sette. En classe, ils peuvent rester inactifs sur un banc, sans rien faire, jusqu'à ce que l'adulte les interpelle.
- Ensuite des difficultés à com­prendre la causalité. Ils sont inca­pables de faire des liens entre deux images d'un livre, par exemple. beau­coup de petits de trois ans ne peu­vent comprendre ce qui lie deux évè­nements entre eux (il pleure parce qu'il s'est fait mal).
- Mais aussi des difficultés à se re­pérer dans le temps et dans l'espace. Ils ont du mal à appréhender la suc­cession des activités, à anticiper. Ils restent dans l'instant présent.
- Enfin des difficultés à se repré­senter les activités, à les évoquer. beaucoup d'enfants, après avoir vécu une situation en salle de gym par exemple, auront du mal à en reparler.
Pour palier tous ces manques, nous avons choisi plusieurs types d'actions.
- Nous essayons de rendre les enfants plus autonomes en leur proposant un choix d'activités variées et adaptées qui les rendent actifs. Nous sommes plus à l'écoute de ce qu'ils savent, nous vérifions qu'ils comprennent ce qu'on leur demande.
- Nous avons choisi de donner prio­rité au travail sur le temps, l'espace, la causalité. Dans toutes les classes un gros travail est fait sur le calendrier, on aide les en­fants à prendre des repères en leur demandant de situer les évènements les uns par rapport aux autres, d'évoquer ce qu'ils ont fait avant ou après telle activité, d'anticiper ce qu'on fera demain.
- Et enfin, pour les aider à mettre des mots sur leurs actions, à réévo­quer, à se représenter une situation qu'ils viennent de vivre, on utili­sera des supports variés : films, photos, éléments magnétiques...
V. Goujon
Réussir les apprentissages à l'école primaire, c'est d'abord les personna­liser, les co-gérer, les co-évaluer.
C'est ce que permet, entre autres, le travail en cycle. On peut, au cycle III, par exemple, envisager globale­ment les apprentissages sur les trois années du cycle, en étant plus souple sur les rythmes. Cela permet à chacun de s'appuyer sur ses savoirs pour les transformer, pour progresser, tout en ayant une connaissance préalable des objectifs. Quand on dit chacun, cela peut être "des chacuns", car parfois les enfants se regroupent à plu­sieurs. Cela permet aussi au cycle II, par exemple, de supprimer la bar­rière de fin de CP pour les enfants qui sont en cours d'apprentissage de la lecture. Bien sûr, les enfants ont des outils pour se repérer : des plannings, des plans de travail, un cahier d'évaluation où sont réperto­riées les compétences à acquérir.
Réussir les apprentissages, c'est aussi les contextualiser par la prise en compte des vécus personnels et collectifs dans l'apprentissage de la lecture. C'est les finaliser, d'où toute l'importance de travailler sur des projets de tye correspondance, journal, sorties...
Enfin, réussir les apprentissages, c'est multiplier les méthodes de tra­vail et les diversifier : recherche, travail de groupe, confrontation, ex­plication...
Ch. Nay
 
... Par l'appropriation de la culture
 
Dans la continuité de ce qui vient d'être dit, nous voudrions aussi sou­ligner l'importance que nous accor­dond à la culture, qui est le rempart contre l'obscurantisme.
Il faut savoir que dans la bouche des jeunes, et même assez jeunes, le mot "intello" est devenu une injure. C'est très grave.
Encore une fois, voici quelques exemples de nos actions.
Nous utilisons et faisons la promo­tion de tous les équipements munici­paux. J'ai critiqué auparavant la po­litique municipale, mais je dois tout de même saluer la volonté de dévelop­per à Vaulx en Velin des lieux cultu­rels nombreux et assez variés : des bibliothèques, un planétarium, des ateliers d'arts plastiques, des pro­positions de spectacles...
A l'école nous menos presque tous les ans un projet de comédie musicale, qui nous permet d'aborder un thème sous tous ses aspects : historique, géographique, scientifique, musical, pictural, théâtral (l'abolition de l'esclavage, le cinéma...)
Enfin la BCD de l'école est un lieu central, avec un musée, des anima­tions, une gestion par des enfants et des adultes non enseignants : pa­rents, animateurs.
Ch. Nay
 
... Par l'émancipation, l'autonomie
 
L'estime de soi, c'est aussi par l'autonomie et la responsabilisation que l'enfant la construit.
L'autonomie, c'est permettre aux en­fants de faire des choix.
En maternelle, cela se fera au moment des activités d'accueil où les en­fants auront la possibilité de choi­sir une activité qui leur convient, mais aussi sur les temps d'ateliers où les choix seront plus restreints : soit parce que certaines activités ludiques seront proscrites, soit parce que le décloisonnement concerne tous les enfants quel que soit leur âge.
L'autonomie, c'est aussi avoir un rôle dans le groupe, avoir des res­ponsabilités.
Concrètement, en maternelle, cela se manifeste lorsqu'un grand explique à un petit comment fonctionne un moulin à eua par exemple. Cela se développe aussi avec toutes les formes de ser­vices qui existent dans toutes les classes : arroser les plantes, ranger le matériel, préparer le goûter...
V. Goujon
En ce qui concerne les responsabili­tés, elles continuent bien sûr à l'école primaire d'être partagées par les enfants (sur élections ou sur compétences). Je n'insiste pas.
En ce qui concerne l'éducation au choix, le travail en cycles permet de proposer plusieurs activités en même temps : l'enfant pet choisir par exemple de travailler en histoire, en géographie ou en sciences, suivant le sujet proposé.
Pendant les temps de travail person­nel, il peut choisir de travailler sur telle ou telle notion.
Pendant les temps dit "libres" : l'accueil, les récréations, il peut pratiquement s'autogérer.
Effectuer des choix, c'est prendre des responsabilités, voire des risques, c'est être sujet et non ob­jet : pour certains choix, il faut s'inscrire... et s'y tenir.
Effectuer des choix, c'est aussi se situer dans un emploi du temps. Enfin c'est utiliser des lieux variés, s'y rendre seul, s'y repérer.
Ch. Nay
 
... Dans un sys­tème relation­nel...
 
...Complexe
 
La construction de l'estime de soi ne se fait pas chez un individu isolé. C'est seulement pour la commodité de l'exposé que nous l'avons séparée de l'étude du système relationnel dans lequel chaque individu évolue.
Ce système, pour lutter contre toute forme de repli et pour rejoindre l'idée de Cyrulnik de la poly-appar­tenence, doit être complexe.
En reconnaissant chez l'élève une personne, on reconnaît en même temps qu'il appartient à une famille, à une communauté, à un milieu social.
A l'école il appartient à un groupe classe, on lui reconnaît aussi le droit d'appartenir à un groupe d'affinité.
Là encore, le décloisonnement des classes, en regroupant par exemple des enfants sur un projet, permet un élargissement et une multiplication des relations. On permet la confron­tation d'individus venant de plu­sieurs lieux, ayant vécu des expé­riences différentes. On permet à l'enfant de changer d'image, de rôle, suivant le groupe où il se trouve.
On peut aussi faire prendre conscience de l'appartenance à une ville, à un pays, au monde entier (citoyen du monde).
Par exemple, l'an dernier, mes élèves ont visité le planétarium en avant-première, ils ont aussi étudié le projet de Centre ville, ont émis des critiques, ont écrit dans le journal de la ville.
Autre exemple : tous les quinze jours, un groupe fait une revue de presse qu'il affiche dans l'école et c'est souvent le point de départ de débats sur des sujets d'actualité.
Ch. Nay
En maternelle, nous privilégions le travail en petits groupes en étant vigilantes sur l'âge des enfants.
Cette forme de travail nous permet de multiplier les interactions entre les enfants, mais aussi entre enfants et adultes différents.
Elle fait sortir les plus jeunes de la relation duelle Maître-enfant et permet un regard pluriel sur les en­fants, une confrontation entre adultes.
V. Goujon
 
... construit dans des lieux de pa­role institution­nalisés
 
Pour qu'il y ait des relations entre les individus, il faut qu'il y ait des lieux de parole où se construi­sent ces relations.
Il y a des lieux de présentation. On peut donner comme exemple : spec­tacles montés librement, conférences à la suite d'une recherche documen­taire, on pourrait en citer une mul­titude.
Il y a des lieux de bilan, d'évaluation : chaque présentation est suivie d'une critique ; à la fin de la journée, dix minutes sont consacrées dans chaque classe au bi­lan de chacun.
Il y a aussi des lieux de proposi­tions, de gestion, de discussion, de décision : les conseils.
Il y a un conseil par classe ; un conseil par cycle ; la communication entre le cycle 2 et le cycle 3 se fait par un système de délégation ; des conseils extraordinaires sur un sujet spécifique : la cantine, le terrain de foot... Par la pratique de plusieurs conseils différents, l'enfant fait l'apprentissage des différents lieux de compétences et de décision. On ne peut prendre de déci­sion que sur ce qui nous concerne !
Ch. Nay
Suivant l'âge des enfants, les lieux de parole seront plus ou moins insti­tutionnalisés. Chez les petits, le lieu de parole sous forme de conseil n'existe pas alors qu'il sera mis en place dans la section des grands.
Par contre, dans chaque classe exis­tent des moments de bilans, de pré­sentations de travaux faits par les enfants. Moments plus ou moins longs, plus ou moins construits selon le ni­veau de classe.
Toutes ces structures permettent aux enfants de confronter leurs idées, de défendre leur point de vue, de se dé­centrer.
V. Goujon
 
... régulé par des droits et des de­voirs
 
Les relations dans le groupe doivent être régulées par la connaissance des droits et devoirs de chacun.
De plus en plus, nous subissons la pression des parents qui défendent la loi du talion et de la jungle, qui interviennent directement devant les enseignants lors de conflits entre leurs enfants.
face à ce phénomène qui s'apparente à l'auto-defense et pour lutter contre l'incohérence des familles, il nous semble de plus en plus nécessaire de parler des lois et des règles avec les enfants dès leur entrée à l'école maternelle.
Chez les petits de trois ans, les règles seront dites, écrites, symbo­lisées à partir de photos pour qu'on puisse y faire référence.
Les conflits seront gérés dans l'instant et non différés.
Tout ce travail autour des règles de vie et la construction de ces règles avec les enfants est présent dans chacune de nos classes et pour plus de cohérence élargi à l'ensemble de l'école.
V. Goujon
Les plus grands aussi ont besoin d'un cadre pour exercer leur liberté. La construction des règles est une pro­tection pour l'enfant contre l'arbitraire de l'adulte et contre la loi de la jungle déjà évoquée par Vi­viane.
Le maître, les maîtres (là, la cohé­rence devient incontournable) sont les garants de l'application de la loi et des règles. Il ne faut surtout rien laisser passer : le rapport à la loi se construit sur de toutes pe­tites choses. Nous regrettons parfois que la police qui s'intéresse beau­coup aux problèmes de drogue (et c'est justifié) n'intervienne pas as­sez sur la petite délinquance de tous les jours. Un enfant qui en bouscule un autre doit s'attirer une remarque de l'enseignant.
Un gros travail sur les règles a été fait avec les enfants. Un gros effort pour aller de l'implicite à l'explicite. Un classeur des lois qui les répertorie est à la disposition de tous. Le règlement de l'école est discuté et affiché dans les classes. Et, bien entendu, pour chaque trans­gression une sanction est prévue (retrait du permis de circuler libre­ment dans l'école, exclusion du conseil etc...).
Ch. Nay
 
... basé sur l'entraide
 
Si les relations dans nos écoles sont régies par des règles, elles sont aussi basées sur l'entraide, en oppo­sition avec la compétition. L'entraide, outre qu'elle favorise l'acceptation de l'autre, enrichit les deux protagonistes. C'est aussi pour cela que nous travaillons avec des groupes hétérogènes, que nous avons choisi de former deux CP-CE1, de travailler en cycles.
J'ai déjà cité le Marché des connais­sances, qui peut être considéré comme une forme d'entraide.
Je parlerai aussi des brevets qui sont délivrés après des stages spéci­fiques et qui permettent par exemple de gérer la bibliothèque en accueil­lant les autres enfants, ou bien en­core d'aider les CP dans l'apprentissage de la lecture.
Ch. Nay
 
... ouvert
 
Le système de relations doit être un système ouvert. C'est là tout le rôle des diverses correspondances, proches, lointaines, des rencontres avec d'autres classes pour faire un journal commun...
Nous faisons un gros effort pour dé­velopper dans l'école une politique de classes transplantées. Efforts fi­nanciers pour qu'un enfant puisse partir au moins une fois par cycle, efforts de persuasion envers les fa­milles, dont les réticences autrefois personnels sont de plus en plus télé­guidées par des pressions exté­rieures.
Nous accueillons aussi beaucoup de stagiaires dans les classes, qu'ils viennent de près, de loin, ou même de très loin. Nous avons ainsi reçu des stagiaires bulgares, à la suite de quoi, l'école a commencé une corres­pondance avec une école de Sofia. Les CM2 y sont partis quinze jours en juin dernier.
Ch. Nay
 
La coopération entre adultes
 
En interaction avec les mises en place avec et pour les enfants, il paraît aussi indispensable dans notre travail de mettre l'accent sur la co­opération entre adultes. Je voudrais dire que là encore on va retrouver à la fois l'estime de soi et les rela­tions coopératives.
Je voudrais aussi resituer le rôle des adultes si l'on tient compte des difficultés des jeunes que j'ai évo­quées au tout début, et sur les­quelles je ne reviens pas.
L'adulte doit être authentique, il ne peut pas tricher. Il faut qu'il ait une parole forte : tu ne manges pas de porc, tu n'en as pas le droit, mais moi j'aime ça, et j'en ai le droit. Tu es catholique, tu es musul­man, c'est ton droit, moi je suis athée, c'est mon droit aussi.
Il faut que les enfants aient plu­sieurs modèles d'adultes différents, même s'il y a cohérence entre eux par ailleurs. Les adultes doivent donner l'exemple de la coopération.
Ch. Nay
 
Le travail avec les familles
 
Depuis quelques années, nous avons cherché dans notre école à améliorer la relation que nous avons avec les familles, mais aussi à transformer la représentation que les parents avaient de l'école. En effet, beau­coup la vient à travers l'expérience négative qu'ils ont eue. beaucoup en­tretiennent des rapports de méfiance, voire de rejet qui sont source de tensions pour l'enfant à l'école. Nous avons mis en place des systèmes d'échanges variés comme :
- les réunions de classe
- les portes ouvertes, les classes ouvertes
- les fêtes organisées conjointement
- les conseils d'école ouverts à tous les parents
- les photos, les filme, les cas­settes
- les affichages multiples à l'extérieur de la classe
- le livre de vie relatant les évène­ments marquants de la journée et laissé à disposition des parents
- les contrats élèves/maîtres/parents
- le participation des parents aux activités de l'école, aux sorties
- un temps et lieu d'écoute et d'échanges entre parents et ensei­gnants qui est institué une heure par semaine dans les locaux de l'école.
Actuellement, nous pouvons constater que les choses bougent un tout petit peu :
- nous avons plus de parents aux ré­unions de classes
- le dialogue est renoué avec cer­taines familles
- les parents se mobilisent plus vite
- notre travail en maternelle est da­vantage pris en compte.
V. Goujon
 
Les partenaires de la santé
 
Si construire un réel partenariat avec les parents a été et reste un cheval de bataille, tout le travail autour de la santé nous préoccupe et nous mobilise de plus en plus.
face au mal être de nos élèves et à leurs difficultés de plus en plus nombreuses pour apprendre, nous avons été amenées à renforcer la prévention des handicaps et la détection précoce des déficiences, que ce soit dans le domaine social ou celui de la santé. Pour cela, nous mettons en place plu­sieurs niveaux de concertation :
- des discussions en équipe pédago­gique sur les "cas lourds"
- une recherche d'aide auprès des collègues des réseaux, des parte­naires de la santé (Protection Mater­nelle Infantile, Centres médico-péda­gogiques, Médecine scolaire...) et des partenaires sociaux (assistantes sociales...)
- des convocations d'équipes éduca­tives élargies, réunissant la psycho­logue scolaire, le personnel de l'école, pour une recherche de cohé­rence sur les prises en charge.
V. Goujon
 
Les associations
 
Nous sommes également amenés à tra­vailler en collaboration avec des as­sociations du quartier et de la ville. Je citerai deux exemples parmi d'autres de cette collaboration.
- La Maison des Jeunes et de la Cul­ture : nous avons des projets com­muns, nous essayons d'y amener les enfants pour qu'ils connaissent ce lieu et aient envie de l'investir. Il y a continuité dans les acteurs (il m'arrive de retrouver d'anciens élèves au Conseil d'Administration) et dans les finalités éducatives. Les responsables de la MJC mènent une vé­ritable politique d'éducation popu­laire en responsabilisant au maximum les participants, en leur accordant un maximum d'autonomie.
- Le travail avec une association d'ados du quartier qui, sur l'idée de l'aide aux devoirs, accueillent les jeunes pour leur lire des histoires, jouer avec eux... C'est un peu notre lien avec les familles qu'on ne touche pas forcément dans les ré­unions.
Ils ont parfois des projets d'animation plus ponctuels et de plus d'envergure : des sorties, des pro­jets théâtre... Nous les aidons en leur fournissant un local pour leurs réunions, en soutenant leurs demandes etc... Mais à part cela, leur autono­mie est complète.
Ch. Nay
 
La concertation entre enseignants, la direction col­légiale
 
Enfin, pour terminer, nous voudrions vous décrire la direction collégiale, qui est pour nous une façon de vivre la coopération que nous voulons ins­tituer dans l'école.
Dans nos deux écoles, la geston admi­nistrative et pédagogique se fait co­opérativement. L'ordre du jour des réunions est établi par chacun. Les décisions sont prises en commun, les responsabilités sont partagées et les tâches sont réparties entre tous, chacun appliquant les décisions prises par l'ensemble.
Ch. Nay
 
En conclusion
 
Si tant est qu'il soit possible de conclure sur un tel sujet, je dirai que, même si nous avons conscience de nos limites (l'école ne peut à elle seule assurer l'éducation à la ci­toyenneté), même si certains pensent que notre action est dérisoire vu l'ampleur des problèmes par ailleurs, le travail que nous menons au quoti­dien en nous appuyant sur la pédago­gie Freinet, la pédagogie coopérative est tout à la fois évident, urgent et indispensable.
Viviane Goujon
Ecole Viennot
Chantal Nay
Ecole primaire Anatole france
Vaulx-en-Velin (69)