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Instaurer les règles de vie

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Novembre 1996
Les enfants ont l’habitude, et ce depuis le plus jeune âge, d’être sanctionnés non parce que la faute qu’ils avaient commise entraînait une gêne pour les autres, mais souvent parce que l’adulte a décidé qu’il était interdit de chahuter en classe, de frapper, de renverser la peinture, etc. Ou du moins, c’est leur vision des choses. Ils n’ont souvent pas la possibilité d’expérimenter, de constater par eux-mêmes le bien-fondé de nos conseils. De ce fait, toutes nos décisions apparaissent comme étant arbitraires et injustes. Ils admettent (en principe) notre autorité, mais ne comprennent pas en réalité le pourquoi de ces règles. Ils deviennent, petit à petit, des êtres déresponsabilisés, à l’image de ces jeunes de banlieue qui cassent tout.
 
Ces jeunes qui ne respectent rien : à qui la faute ?
 
Problème de génération, disent certains. Pas si évident. Problème d’éducation alors ? Le trop grand laxisme de certains parents, ajouté à la surprotection des autres, n’arrange certainement pas les choses, il est vrai. En effet, on peut se demander si, finalement, c’est vraiment à nous, enseignants, d’assurer une fonction d’éducateur et d’apprendre aux enfants les rudiments de la vie en société. Personnellement, j’assume volontiers ce rôle qui vient en complément de celui des parents, mais le débat reste ouvert.
 
Mais si certains enseignants minimisent cette part des apprentissages, beaucoup de parents ont aussi leur part de responsabilité. Essayez donc de mettre en place un service d’aide pour le couvert ou pour débarrasser les tables : vous verrez immédiatement se dresser un mur de protestations, accompagné de lettres véhémentes adressées directement à votre inspecteur. Je le sais : j’ai essayé !
 
L’attitude de l’enseignant
 
« Si j’ordonnais à un général de se changer en oiseau de mer et si ce général n’obéissait pas, ce ne serait pas la faute du général. Ce serait ma faute...
... Il faut exiger de chacun ce que chacun peut donner. L’autorité repose d’abord sur la raison... J’ai le droit d’exiger l’obéissance parce que mes ordres sont raisonnables. »
 
Saint-Exupéry, Le Petit Prince
 
Lorsque j’ai débuté, j’ai toujours exigé, par principe, un rang silencieux et bien ordonné avant d’entrer. Chose qui n’est pas facile à obtenir. Et puis un jour, j’ai observé la classe d’à côté qui adoptait pour ses déplacements soit la formation troupeau, soit la stratégie du goutte à goutte, mais toujours dans le calme et le silence, sans cris et sans heurts. Pendant ce temps, j’étais encore dans la cour en train d’attendre ! Alors finalement, adopter ce genre de discipline, n’est-ce pas donner des bâtons pour se faire battre ?
 
Mais attention, éviter les ordres stupides et inutiles ne signifie pas laxisme et abandon pédagogique. Les enfants doivent trouver un « maître » à la fois ferme et compréhensif, et surtout pas un adulte hésitant et mou, en qui ils ne pourront jamais placer leur confiance. Bien entendu, il n’est pas question de donner, dès le départ, une liberté totale aux enfants qui n’y sont pas habitués. Il est très important de ne pas lâcher les rênes trop rapidement.
 
Déléguer les responsabilités
 
Il me semble que pour respecter un lieu, un groupe ou une société, l’enfant (l’adolescent voire l’adulte) doit se l’approprier. Et pour cela, une seule solution : déléguer les responsabilités.
 
C’est une petite gymnastique de l’esprit que de se demander si chaque geste, chaque action que nous faisons ne pourraient pas être effectués par les élèves. Habituellement, on accepte bien de laisser le soin d’effacer le tableau, de ramasser les papiers ou bien de faire le facteur dans le meilleur des cas. Mais, en réfléchissant, on trouve une multitude de tâches que les enfants peuvent effectuer, et qui permettent de les responsabiliser, donc de les valoriser.
 
Quelques exemples en vrac : faire l’appel, gérer l’argent de la classe, organiser un projet (sortie, invitation...), préparer et corriger des questionnaires (à la suite des exposés en particulier), concevoir des exercices pour les plus jeunes (opérations, problèmes...), répondre au téléphone, etc. Il y en a pour tous les goûts et pour tous les niveaux. Mais, pour que cela fonctionne, il faut à mon avis respecter un principe essentiel : ne pas faire semblant de faire confiance. L’enfant qui s’engage à accomplir une tâche doit
sentir que, s’il ne l’assume pas, il risque de perturber la classe et de causer des désagréments.
 
Cela n’empêche pas de surveiller discrètement si le travail est bien effectué : déléguer de telles responsabilités entraîne des risques. Et il y aura toujours quelqu’un, en cas de problème, pour vous reprocher votre « laxisme ».
 
La mise en place de l’autonomie
 
Pour ma part, je lâche très progressivement du lest. On ne peut laisser certaines libertés que si les enfants savent respecter les règles du jeu.
 
Si ces règles sont transgressées, on peut parier que les victimes s’en plaindront, ce qui donne alors l’occasion de régler le conflit, lors d’une réunion coopérative. Aborder le point de vue de ceux auxquels on a fait du tort amène à comprendre le pourquoi des règles. La classe peut d’ailleurs, à ce moment, décider d’en modifier certaines. Il est certain que les mesures édictées collectivement sont bien mieux comprises
et respectées que les décisions imposées arbitrairement par l’adulte.
 
Dans un second temps, des « sanctions » pourront être infligées à l’encontre des fautifs. Leur action portera d’autant plus qu’elles auront été inspirées par une discussion constructive, et que leurs camarades en sont à l’origine.
 
La réunion coopérative
 
C’est un moment en général très attendu par les enfants car ils savent, qu’à cette occasion, ils ont le pou-voir de prendre leur existence en main. Ils pourront exprimer leurs idées, et surtout ils savent qu’ils trouveront là une réelle écoute, et que leur parole sera respectée.
 
L’idéal est que les débats soient menés par un élève, mais il ne faut pas compter y parvenir rapidement. L’expérience est toutefois facilitée si vous avez la chance d’avoir une classe à plusieurs niveaux : les élèves les plus anciens ont déjà acquis une certaine expérience et peuvent, au début, assurer cette tâche.
 
Actuellement, j’utilise encore le système des « boîtes à idées » (« je propose », « je critique », « je félicite »). Celles-ci présentent toutefois l’inconvénient de se remplir rapidement et donc de prendre un certain temps pour le dépouillement.
 
J’ai opté pour un rythme hebdomadaire : il est indispensable de passer le temps qu’il faut sur certains points qui sont peut-être insignifiants pour nous, mais importants pour les enfants.
 
Le « cercle de la réussite »
 
C’est pour éviter les décisions certes justifiées mais arbitraires du maître, que nous instaurons dans nos classes des réunions coopératives, que nous laissons aux enfants le soin de mener à bien des cours collectifs sous forme d’exposés, la liberté de l’autocorrection, etc.
 
Plus on fait confiance à l’enfant, plus il montre son sérieux, plus il se sent motivé. Il devient peu à peu autonome et responsable. C’est un «cercle de la réussite, non seulement sur le plan scolaire mais également et surtout au niveau des méthodes de travail, de la compréhension et du respect des règles de la vie sociale.
Révolutionnaire, la pensée de Freinet ? Non, logique, tout simplement logique.
 
Eric Harrison
(enseignant titulaire mobile)