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L'enfant expérimentateur : le statut de l'hypothèse dans l'expérience tâtonnée

Décembre 1996

L'enfant expérimentateur :         

    
Le statut de l'hypothèse dans l'expérience tâtonnée
 
Sommaire :
Introduction
Le dispositif mis en place
Savoirs procéduraux construits avec les aimants et sur les circuits électriques
L'expérience tâtonnée se développe en plusieurs phases
                - Deux exemples d'expérience tâtonnée
                - Quelles sont ces phases ?
Processus d'émission d'hypothèses observés chez les jeunes enfants
                - Emission d'hypothèses par rapprochement de connaissances
                - Emission d'hypothèses par inférences
( à suivre dans le prochain dossier)
 
Dans son environnement naturel rural ou urbain, hors de l'école et à l'école, l'enfant est, par nature, expérimentateur*. Cela signifie qu'il procède spontanément par un tâtonnement qui évolue depuis la forme primaire par essais - erreurs au hasard vers des formes supérieures, plus élaborées et C. Freinet désignait globalement toutes ces formes : tâtonnement expérimental.
"Ainsi c'est entre 3 et 6 ans, quand il a conquis consciemment son milieu, qu'il entre dans une période nouvelle de véritable construction. Tout ce qu'il a acquis à l'époque précédente affleure grâce aux expériences conscientes qu'il peut faire maintenant. Ces expériences ce ne sont pas de simples jeux, ce ne sont pas des actes dus au hasard ; c'est un travail de croissance. l'intelligence, accomplit le premier travail de l'homme".
Maria Montessori (2)
Concept ambigu dans l'esprit de certains et paradoxal, car, pour ceux - ci, " le tâtonnement n'est - il pas le contraire d'une démarche expérimentale ?"
Nous nous intéressons ici à la première phase de l'expérience tâtonnée : l'hypothèse, son existence et ses fonctions. A proposde la problèmatique ainsi formulée :
Problèmatique :
Est - il possible à des enfants de 5 / 7 ans d'émettre des hypothèses ? de les modifier ?
A quelles conditions ? Comment ?
Quelles peuvent être leur nature et leur forme ?
l'hypothèse de recherche suivante
Hypothèse de recherche :
L'expérience tâtonnée permet à de jeunes enfants d'émettre et de modifier leurs propres hypothèses conduisant à la construction de savoirs personnalisés.
nous a engagés à mettre en place un dispositif qui a évolué durant trois années scolaires et à conduire une étude clinique. Celle - ci a mis en évidence une variété de processus d'émission et de modification d'hypothèses lorsque les enfants, même très jeunes ( maternelle et C.P), expérimentent librement.
Parce que cette étude participe à une tentative d'approfondissement et de clarification du concept de tâtonnement expérimental, nous en publions ici, dans deux dossiers successifs, de larges extraits.
Chaque processus d'émission ou de modification d'hypothèse est présenté, dans une étude de cas, à partir d'exemples, en encarts, décrits par un texte et illustrés par les schémas d'enfants, schémas produits souvent avant l'expérience, comme un moyen d'expression de l'hypothèse, c'est - à - dire une anticipation de l'action. Chacun donne lieu à une analyse qui s'appuie sur des références théoriques diverses.
Ce qui nous paraît intéressant à communiquer, ce sont justement les exemples vécus par les enfants, révélateurs à la fois de la pratique quotidienne, dans une Z.E.P, et des potentialités, souvent insoupçonnées des enfants. Ajoutons à cela l'importance de l'impact émotionnel de ces activités sur l'affectivité de ces enfants.
Cependant, le volume important de cette étude (1) nous oblige à limiter cette publication, en deux dossiers, aux processus apparus le plus fréquemment.
Pour identifier, recenser et analyser ces processus, nous avons dû les isoler dans les études de cas, alors que très souvent ils interfèrent. Nous avons ainsi dégagé huit processus d'émission d'hypothèses mais cette étude n'est pas exhaustive : par rapprochements de connaissances, par élaboration d'inférences, par imitation, par " l'expérience pour voir ", par enchaînement d'expériences, par la mise en commun et la combinatoire des idées, par imagination créatrice et par la recherche des contraires.
Nous ne les avons pas hiérarchisés, sachant cependant que certains nous apparaissent plus essentiels et plus fréquents que d'autres tels que le rapprochement de connaissances qui constitue des formes diversifiées de transfert, l'élaboration d'inférences qui nous révèle une diversité de formes primitives de raisonnement sous - jacent et l'imitation, constamment présente.
 
Le dispositif mis en place
 
Durant ces trois dernières années scolaires, c'est dans le cadre de décloisonnements soit internes à l'école maternelle, soit externes entre la grande section et le cours préparatoire voisin, qu'ont fonctionné diverses formes de l'atelier - sciences.
Pour approfondir l'observation clinique nous nous sommes centrés sur deux thèmes :
- activités libres avec des aimants en barreau ou en fer à cheval,
- activités libres avec un matériel électrique simple (piles plates, ampoules, fils, pinces crocodiles, boîtes de dérivations, douilles montées ...).
La poursuite de ces activités au cours préparatoire s'imposait pour suivre ,durant deux années, l'évolution de la démarche avec les mêmes enfants. De plus, des tests comparatifs ont été réalisés avec les enfants de grande section d'une maternelle voisine, du même milieu socio - culturel, afin de confronter l'habileté cognitive de ceux qui avaient procédé par expériences tâtonnées durant une longue période et ceux qui n'avaient reçu que des informations orales, avec monstration de l'enseignante sur les mêmes savoirs à propos des aimants.
 
Savoirs procéduraux construits avec les aimants et sur les circuits électriques
 
Nous avons dû définir précisément les connaissances ou savoirs procéduraux élémentaires que les enfants construisaient et réinvestissaient en manipulant les aimants et le matériel électrique mis à leur disposition, pour mieux saisir quand il y avait apprentissage, acquisition et transfert.
Ainsi, dans les encarts 1 et 2, nous avons codé et hiérarchisé six savoirs procéduraux que tous les enfants ont acquis, au cours de leurs diverses expériences tâtonnées, à des rythmes et dans des ordres différents.
Il faut signaler que d'autres savoirs procéduraux ne figurant pas dans cette nomenclature
ont été construits par la plupart des enfants comme :
- savoir suivre un circuit fermé avec le doigt
- savoir dessiner un circuit fermé
- savoir construire un circuit plus complexe avec plusieurs ampoules et plusieurs conducteurs.
A.1 Attraction directe : aimants en barreau ou fer à cheval attirent les objets en fer. Ceux - ci s'attirent entre eux si l'aimant est là.
A.2 Attraction à travers un support : les aimants attirent à travers des matériaux minces
A.3 L'aimant en fer à cheval n'attire pas dans la partie courbe. Il attire surtout aux extémités (les pôles)
A.4 Les aimants attirent la limaille de fer fine. Celle - ci se dispose selon des lignes courbes : spectre.
A.5 Action réciproque de 2 aimants en barreau : ils s'attirent ou se repoussent
A.6 Action réciproque de 2 aimants en fer à cheval : ils s'attirent ou se repoussent
 
Encart 1: Savoirs élémentaires, procéduraux ou déclaratifs, construits avec les aimants
                              
S.1 Savoir brancher directement une ampoule sur une pile
   S.1 (a) - contacter les 2 lamelles
   S.1 (b) - contacter le pas de vis et l'embout du culot
S.2 Savoir brancher une ampoule avec 2 fils libres : - 1 fil sur chaque lamelle
                                                                              - 1 fil sur chaque zone du culot (embout, pas de vis)
S.3 Savoir brancher une ampoule avec une douille sur socle : - 1 fil sur chaque lamelle
                                                                                             - 1 fil sur chaque borne.
S.4 Savoir brancher une ampoule à l'aide d'une douille montée sur deux fils électriques.
S.5 Savoir brancher une ampoule à l'aide d'une boîte de dérivation à 4 bornes (circuit simple)
S.6 Savoir monter un circuit avec différents conducteurs. Trier les conducteurs et les non - conducteurs.
 
Encart 2 : Savoirs élémentaires, procéduraux ou déclaratifs, sur les circuits électriques
 
 
L'expérience tâtonnée se développe en plusieurs phases
 
Deux exemples d'expérience tâtonnée
 
Nous donnons d'abord deux exemples d'expérience tâtonnée, c'est - à - dire de tâtonnement expérimental ( pages suivantes ) :                                                                                                     
(Encart 3) : Expérience tâtonnée avec modification d'hypothèse (Emrah)
(Encart 4) : Expérience tâtonnée avec abandon provisoire ( Mehdi )
 
Quelles sont ces phases ?
 
Les situations quotidiennes auxquelles sont confrontés les enfants, à l'école et hors de l'école, naturelles ou provoquées, donnent lieu à des désirs, des envies de faire, d'agir, de savoir... qui se traduisent par une action (au sens large, c'est - à dire physique ou mentale), sur les objets ou à propos d'eux, une exploration du milieu environnant.                                                                                       Un "évènement", quelquefois un document ( iconographique, photographique), l'observation, l'exemple des autres, un questionnement sont à l'origine d'une ou plusieurs "hypothèses prometteuses", de manière consciente ou inconsciente, souvent présentes quand l'action s'engage dans une "direction".
C'est l'anticipation du résultat visé qui constitue, à cet âge, la phase d'hypothèses.
Souvent implicites chez le jeune enfant, peu apparentes car elles peuvent naître au départ de l'action ou au cours de celle - ci, elles émergent parfois et s'expriment, avec l'habitude, par le geste, le dessin ou verbalement :
"Je veux faire..." , " J'ai une idée...", " C'est un circuit..." etc.
 
Emrah connaît les zones de contact de l'ampoule                                Situation
pour le branchement direct sur la pile.
Mais comment brancher l'ampoule située plus
loin ?
 
Phase 1 : Il dit " Je sais... avec un fil !"                                                  Hypothèse
Hypothèse verbale et gestuelle à la fois.                                                       h.1
 
Phase 2 : Il procède alors au montage                                                      Action
ci - contre.                                                                                                   Vérification
Phase 3 : Il évalue bien ce f'eed - back négatif                                    Feed - back
 
Phase 4 : Abandon de l'hypothèse.                                                       Modification
Il recherche la cause de l'échec. Il retrouve                                                   de
et montre les deux contacts nécessaires.                                               l'hypothèse
 
Il montre du geste sa nouvelle hypothèse :                                              Nouvelle
faire toucher la deuxième lamelle au pas                                              hypothèse
de vis de l'ampoule.                                                                                           h.2
 
            
Le montage ci - contre est fait .                                                                   Action
L'ampoule s'allume. Il répète plusieurs fois                                          Vérification
cette expérience.
 
[ Encart 3 ]
 
Sachant brancher directement l'ampoule,                                              Situation
Mehdi nous demande un fil électrique pour
construire un autre branchement.
 
 
Le dessin étant son moyen d'expression                                                Hypothèse
privilégié, il envisage ainsi tous ses branchements                                    h.1
avant de faire ses expériences.
 
 
Il réalise ainsi " son montage " prévu et évalue                                       Action
le feed - back positivement !                                                                    Feed - back
Nous lui demandons : " le fil est - il utilisé ?"                                      Evaluation
Il nous répond : " Non ".                                                                              Critique
 
 
Mais il abandonne cette expérience pour                                              Abandon
essayer divers conducteurs interposés entre
une lamelle et l'embout de l'ampoule.
 
 
Après ces trois expériences réussies, il                                                      Retour
revient au branchement avec fil en dessinant                                            
sa nouvelle hypothèse : deux fils sur l'embout.                                         h.2
Echec.
 
Ce nouveau feed - back négatif l'amène à                                            Feed - back
réfléchir sur les zones de contact de l'ampoule                     négatif
(Savoir S.1 - Encart 2). Il propose alors une                                                
3 ème hypothèse qui s'avère être la bonne.
            h.3
[ Encart 4 ]
 
Même si, apparemment, rien n'est exprimé, ni envisagé par l'enfant, nous avons tenté de déceler, d'analyser ce qui guidait son action, ce qui pouvait différencier cetâtonnement expérimentald'une démarche au hasard, par essais / erreurs.
Lorsqu'une hypothèse est émise ou apparente, elle est testée immédiatement par l'enfant, c'est - à - dire soumise à l'action pour en voir l'effet : c'est la phase d'action - essai, de vérification.
Le feed - back ou réponse reçue en retour apporte alors des informations : c'est la critique des faits ou des personnes. Positif ou négatif, ce feed - back donne lieu, naturellement, à une évaluation de la part de l'enfant, évaluation qui peut être erronée, ce qui nécessitera une intervention extérieure pour l'aider à son analyse.
Si l'effet cherché est obtenu, l'enfant conserve son hypothèse, l'intègre à sa structure cognitive par la répétition, plus ou moins longue, immédiate puis différée et par des réinvestissements, puis des transferts dans d'autres situations.
Si l'effet cherché n'est pas obtenu, l'enfant rejette son hypothèse. Deux cas sont alors possibles :
- ou bien il abandonne momentanément son expérience tâtonnée et sa structure cognitive est conservée,
- ou bien il modifie sa première hypothèse ( h1), créant une nouvelle hypothèse (h2) qui donnera lieu à un nouvel essai et à la succession des mêmes phases de manière cyclique.
Nous avons illustré cette succession par deux schémas où apparaissent ces quatre phases essentielles que nous résumons ici [ Encart 5 ] et à l'aide d'un schéma simplifié (paru dans le n° 81, page12, non reproduit ici)
- la phase d'hypothèse(s),
- la phase d'action ou d'essai pour vérifier cette (ou ces) hypothèse(s),
- la phase du feed - back et son évaluation,
- la phase de rejet ou d'intégration de l'hypothèse.
Il faut cependant remarquer que ces diverses phases ne sont pas toujours aussi distinctes. Nous l'avons déjà dit à propos de l'action et de l'hypothèse.
Il existe, en effet, à cet âge, deux formes de tâtonnement :
- une forme où l'action est première. Ce sont les essais qui déclenchent une idée directrice. C'est le cas, en particulier, de " l'expérience pour voir " qui correspond aussi à la recherche d'hypothèses plausibles lorsque l'enfant dit : " Je sais pas...", " Je veux voir ..."
- une deuxième forme, plus élaborée, de tâtonnement qui est qualifié d'expérimental puisque l'idée est au départ, l'expérience est déjà envisagée mentalement avant.
Ceci explique la présence des deux flèches courbes entre les deux premières phases de l'organigramme simplifié (Voir n° 81, page 12).
 Enfin, il nous faut ajouter que si l'expérience tâtonnée se développe ainsi par phases, elle n'en est pas moins brève, parfois quelques secondes. C'est pourquoi nous avons vu la plupart des enfants entreprendre un grand nombre d'expériences pendant une séance de quarante - cinq minutes et la saisie d'informations nous a été parfois difficile.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Structure cognitive existante ou non existante
 
    l'action                 l'observation           l'exemple           le questionnement            la documentation
                                                                        des autres       
 
    1 ère Phase :                                   Naissance d'une (ou plusieurs)
HYPOTHESE (h1)
 (implicite ou explicite)
 
 
    2 ème phase :                                      ACTION - ESSAI                                                                       
vérification de l'hypothèse
 
 
    3 ème phase :                           FEED - BACK ou REPONSE
information en retour
(critique des faits, des personnes...)
 
 
 + Réussite                           - Echec
 
 
EVALUATION du FEED - BACK
 
 
   4 ème phase :       INTEGRATION                                                              REJET
                                         de l'hypothèse confirmée                           de l'hypothèse infirmée
 
 
              Renforcement                       Modification                          Abandon                  Modification
      de la structure cognitive                   de la structure cognitive         momentané          de l'hypothèse (h.1)
                                                                                                                                 et structure
                                                                                                                                 cognitive
                                                                                                                                 conservée
 
Répétitions               Réinvestissements         Transferts                              Nouvelle hypothèse (h.2)
 
 
 
[ Encart 5 ] : Les phases de l'expérience tâtonnée           
 
Processus d'émission d'hypothèses observés chez les jeunes enfants
 
Emission d'hypothèses par rapprochement de connaissances
 
Nous avons observé deux types de rapprochement de connaissances :
- une application simple d'une connaissance dans une situation nouvelle,
- une découverte nouvelle qui est rapprochée de connaissances existant en mémoire.
 
L'enfant applique dans une situation voisine une connaissance acquise dans ses expériences antérieures. Celle - ci lui sert alors à élaborer une hypothèse.
Ainsi, Noémie et Marine, pour allumer une ampoule distante de la pile, appliquent deux savoirs procéduraux :                                                                                                                                                                          [ Encart 6 ] : Deux exemples de transfert vertical (Noémie et Marine)
 
- brancher un fil électrique sur chaque lamelle : S.1 (a) [ Voir encart 2 : les savoirs élémentaires ]
- brancher chaque fil sur chaque zone de contact de l'ampoule : S. 1 (b)    [ Voir encart 2 ]
 
Après avoir échoué quatre fois pour brancher                                            dessin
directement l'ampoule sur la pile, Noémie réussit                                            
au 5è essai, en plaçant correctement les lamelles sur                                   n°1
les zones de contact de l'ampoule [ Encart 2 ]
 
Par contre, elle réussit dès le 1er essai, le branche-                                      dessin
-ment de l'ampoule avec deux fils. Le dessin est                                         n° 10    
difficile à réaliser.A la séance suivante, elle répète
et produit un dessin " d'hypothèse " bien amélioré.                                        H
 
Marine essaie le branchement direct de l'ampoule
par l'embout sur une lamelle puis sur l'autre. Après
plusieurs échecs, elle réussit et répète 6 à 7 fois le
bon branchement, puis change l'ordre des lamelles.
 
Marine n'utilise d'abord qu'un seul fil pour brancher
l'ampoule à distance et répète cette erreur 7 fois.
Elle essaie alors avec deux fils mais les positionne
mal puis finit par réussir en observant son dessin
précédent qui lui rappelle les zones de contact.
 
Elle réalise plus tard un montage avec pinces
et douille sur socle et le réussit d'emblée.
 
A la dernière séance, incitée par le matériel
choisi par ses voisins, elle réitère le circuit
précédent en y incorporant un domino.
 
[ Encart 6 ]
Le transfert de ces deux connaissances associées dans cette situation constitue le savoir S. 2.
 
Comme on le voit le transfert n'est pas toujours facile. Si Noémie le réussit d'emblée, Marine, elle, n'emploie qu'un seul fil, c'est - à - dire ne transfère pas S.1(a). Quand elle envisage les deux fils nécessaires elle ne réussit pas non plus S.1(b).    
Dans cette situation qui s'est reproduite pour tous les enfants, à des moments différents, on peut penser qu'il s'agit d'un transfert vertical selon la définition qu' en donne Louis Toupin (3) :
"Le transfert vertical survient lorsqu'une habileté ou une connaissance contribue directement à l'acquisition d'une habileté ou d'une connaissance d'ordre supérieur....Autrement dit, pour Gagné, le transfert vertical répond à une logique de hiérarchisation selon laquelle une habileté ou une connaissance plus générale ne peut être atteinte que lorsque des habiletés ou des connaissances subordonnées ont été maîtrisées."
En effet le passage du branchement direct au branchement à distance nous paraît être de ce type.
 
 
 
 
L'enfant découvre dans une situation nouvelle assez différente "un savoir nouveau". Il rapproche les faits observés d'un savoir qu'il possède, ce qui déclenche le projet d'une ou plusieurs expériences.
Ce sont là les cas, vécus séparément, d'Amélie et d'Adrien. Ils ont acquis un savoir élémentaire avec un aimant en barreau :"il attire le fer". Quelque temps après, lors d'une autre activité dans la classe
ils choisissent le jeu du labyrinthe. Il s'agit de déplacer des figurines collées sur un socle (un aimant) à l'aide d'un autre aimant que l'on situe au dessous du labyrinthe moulé sur un plateau en matière plastique.
Ils découvrent ainsi l'attraction "à travers un matériau". Une semaine plus tard, dans l'atelier sciences, ils entreprennent alors une expérience semblable et réinvestissent cette découverte en plaçant un trombone sur une plaque de carton afin de le déplacer à l'aide d'un aimant en barre situé au-dessous.
Puis ils répèteront cette expérience réussie, en variant les matériaux en plaque mis à leur disposition: contreplaqué, verre, plastiques divers et même au travers du plateau de leur table.
Là, inversement, c'est le savoir découvert fortuitement qui est à l'origine des hypothèses vérifiées par la suite dans les expériences entreprises.
Plus tard, ces savoirs élémentaires sur les aimants plats [ Encart 1 , A.1 ] : "ils attirent le fer" et "ils attirent à travers le bois, le verre, le plastique..." (Savoir A.2) ont été appliqués à nouveau, comme hypothèses, dans des expériences semblables avec des aimants en fer à cheval.
Dans ces deux séries d'expériences, c'est la généralisation d'une connaissance : "l'attraction à travers" qui s'étend sous la forme d'hypothèse à un ensemble de situations de même niveau de complexité.
Ce qui nous apparaît, d'après la définition de Gagné citée par Toupin être un transfert latéral.
"Celui-ci désigne le transfert latéral comme une sorte de généralisation qui s'étend à un ensemble de situations qui ont grosso modo le même niveau de complexité".
Si tous les enfants procèdent ainsi, par divers transferts, pour émettre des hypothèses nouvelles, il semblerait que ce soit une démarche assez naturelle. En effet, ils disent souvent "c'est comme". Ils ont une tendance à rapprocher un fait particulier d'un autre fait particulier dans de nombreuses activités et à reconnaître plus les ressemblances que les différences. On peut penser qu'il s'agit bien là d'un fonctionnement du raisonnement analogique, forme primitive du raisonnement chez l'enfant.
Cependant, ces processus de transfert, même s'ils sont fréquents, fonctionnent plus ou moins bien chez les enfants de cet âge . Ce fonctionnement semble lié à la similitude forte des situations. Si le passage de l'utilisation des aimants en barre aux aimants en fer à cheval s'est fait facilement pour tous, il n'en a pas été de même pour le passage du branchement direct d'une ampoule sur une pile au branchement à distance, comme nous l'a révélé l'enquête faite sur douze enfants (dans deux groupes hétérogènes il est vrai).
Ainsi Sylvain a bien transféré sa première connaissance S.1(a) dans l'expérience avec le barreau de la chaise.
[ encart 7 ] : Les transferts de Sylvain et d'Aurélie
Il éprouve des difficultés à la transférer lorsqu'il met l'ampoule à distance de la pile ; ce qui donne lieu à trois tentatives échouées avec un seul fil et deux ensuite à propos des contacts avec l'ampoule. C'est sans doute à cause de la différence trop grande, donc une similitude faible avec la situation du barreau de chaise.
Quant à Aurélie, qui semblait avoir des difficultés, elle procède par une succession de transferts immédiats réussis. Son savoir sur le branchement à distance avec deux fils lui permet de réussir, coup sur coup, dans deux situations plus complexes : branchement d'une douille sur socle avec une boîte de dérivation. Après quelques hypothèses erronées, Sylvain        réussit et répète le branchement direct de l'ampoule sur les lamelles de la pile. Il utilise cette nouvelle connaissance en mettant l'embout de 
l'ampoule sur le barreau métallique d'une chaise. Spontanément, il met en contact les deux lamelles avec le pas de vis et le barreau de la chaise : l'ampoule s'allume (hypothèse confirmée).
 
Pour allumer l'ampoule à distance, il met en
contact l'embout avec une lamelle par un seul                                        Echec
fil. L'hypothèse envisagée échoue. Il refait                                                 du
l'expérience avec un seul fil muni d'une cosse.                                      transfert
Nouvel échec. Seul le contact de l'embout
est tranféré.
Les tâtonnements de la séance suivante
l'amènent finalement à réussir le branche-
ment avec deux fils.
 
 
 
Aurélie sait brancher une ampoule sur deux
fils libres. Elle entreprend de faire le branche-                                            1 er
-ment avec une douille sur socle dont elle                                              transfert
contacte les 2 bornes avec les fils libres.                                                    réussi
Elle envisage alors un montage avec une                                                    2è
boîte de dérivation. Ses hypothèses l'amè-                                            transfert
nent à réinvestir ses savoirs précédents.                                                   réussi
     
[ Encart 7 ]
Emission d'hypothèses par inférences
 
Nos observations nous ont conduits à distinguer deux types d'opérations mentales par inférences quenous illustrons par trois exemples :
- les inférences de nature inductive,
- les inférences de nature déductive simples ou par syllogisme.
Il y a inférence dès que s'établit une relation de cause à conséquence entre deux phénomènes,
 c'est - à - dire un raisonnement qui peut s'exprimer de manière formelle par l'implication : "Si...alors"
Si nous désignons par  p  et q deux propositions telles que p soit la cause et  q la conséquence, on a la présentation logique formelle suivante :
                Si  p alors  q
Des inférences de nature inductive
 Nous avons retrouvé de nombreuses fois la démarche de Ludivine, expérimentant divers matériaux branchés directement entre la pile et l'ampoule, sans avoir une hypothèse préalable.
[ Encart 8 ] : Une démarche inductive (Ludivine)
Elle dit ne pas savoir si le courant passera ou ne passera pas. Cependant, après une première série d'essais, son hypothèse s'exprime par le tri qu'elle fait des matériaux conducteurs et des non conducteurs. Elle a classé correctement ceux - ci et dit : " Avec le fer, le courant passe".
Si nous reprenons le raisonnement qui sous - tend cette "loi", nous pouvons dire :
                tel ou tel objet conduit le courant électrique
                ces objets sont en fer
                alors le fer conduit le courant électrique (ce que nous a dit Ludivine)
"L'inférence inductive infère une règle à partir d'une information limitée, à partir de l'observation des faits particuliers... Le concept ou la règle inférés peuvent être modifiés au fur et à mesure qu'on rencontre de nouveaux exemples." (4)
 
Ludivine sait brancher directement une                                                         1ère     
ampoule sur une pile. Par imitation, elle                                                        série
entreprend d'expérimenter divers matériaux                                              d'essais
conducteurs ou non : un trombone, une
équerre,un crochet ....
          
A la séance suivante, elle poursuit ses essais                                             2ème
systématiquement, disant ne pas savoir à                                                   série      
l'avance si le courant passera : la pointe                                                   d'essais
réussit.
 
Elle essaie un objet métallique : le
courant passe.
 
Elle essaie un morceau de bois , le
courant ne passe pas.
 
Elle essaie un morceau de polystyrène,
le courant ne passe pas.
 
Elle essaie un carré en plastique, le
courant ne passe pas. Puis, par imitation,
elle incorpore le tournevis et réussit. Elle
procède au tri correct des conducteurs
et dit : "avec du fer...le courant passe".
 
[ Encart 8 ]
 
A partir de ce premier savoir qu'elle vient de construire, nous incitons Ludivine à expérimenter avec des objets en aluminium et en cuivre. L'extension de ce savoir à ces nouveaux matériaux nous amène à lui donner, en vocabulaire, le mot "métal". Elle peut exprimer alors son hypothèse et poursuivre des expériences similaires la séance suivante.
Nous sommes là dans un processus "d'expérience pour voir" d'où naissent progressivement les inférences inductives : "le courant passe dans le métal" et "le courant ne passe pas, ce n'est pas du métal". Sur cette discrimination des objets en deux catégories ( corps conducteurs et non conducteurs) se contruit l'hypothèse définitive qui fonde la "loi" : le métal conduit le courant électrique.
Dans ce cas, le nombre et le contenu des exemples choisis varient avec chaque individu. Cependant, tous sont pratiquement passés par cette démarche mentale en faisant des tris d'objets et de matériaux attirés par l'aimant ou conducteurs du courant électrique.
Chacun des exemples est pris comme un cas particulier avant que les enfants en arrivent à une généralisation.
Des inférences de nature déductive
[ Encart 9 ] : Une démarche déductive ( Lucie )
Lucie, après une expérience avec deux pointes et des perles qui ne lui apporte, à nos yeux, aucun savoir nouveau, a capté chez son voisin une information précise : " c'est du métal". Celle - ci déclenche à la fois l'imitation avec un clou et l'inférence déductive suivante :
" le clou est du métal, le courant passe dans le clou "
Celle - ci est aussi à l'origine de sa nouvelle expérience avec la barre de fer.
Dans cette hypothèse, l'inférence est orientée vers le particulier : le clou , à partir d'une connaissance ( connaissance captée) tenue pour vraie ( "la loi" ). Lucie applique celle - ci à des cas particuliers : des objets qu'elle choisit les uns après les autres. Autrement dit, elle conclut que si un fait est vrai, l'autre l'est nécessairement : si l'objet est en métal, alors le courant passe dans l'objet.
Elle a déduit une information de la précédente.
 
Lucie sait brancher directement une ampoule
sur une pile, après des hésitations. Elle entreprend                                     Echec
d'enfiler des perles dans des pointes qu'elle met                                             du
en contact avec les deux lamelles, mais elle                                              transfert
branche l'ampoule directement ; les pointes sont
hors circuit. Nous devons le lui montrer pour
qu'elle en soit convaincue !
 
Elle imite alors son voisin en essayant un clou,
parce qu'elle l'a entendu dire " c'est en métal",
ce qu'elle dit à son tour pour justifier son
hypothèse : "ça s'allume". Elle le dispose entre
lamelle et embout correctement et réussit.
 
Ayant intégré le vocabulaire : "métal", elle choisit                                       une
une barrette de fer et dit : " c'est du métal, le                                            inférence 
courant passe ". L'expérience lui confirme cette                                     déductive
hypothèse.
 
[ Encart 9 ]
 
Des syllogismes implicites
L'exemple des ciseaux
Lors d'une séance collective, de nombreux enfants viennent montrer aux autres leurs expériences d'attraction ou de non attraction de divers objets par les aimants. Le tri des objets se fait au tableau, sur un panneau où ils sont fixés en deux catégories, ce qui induit la " loi " prononcée par les enfants :
" l'aimant attire le fer "
Se pose alors la question à propos des ciseaux, non inclus dans les essais précédents.
Willy dit alors : "il attire les ciseaux"
A la question posée : " Pourquoi ? " il répond immédiatement " Parce que c'est du fer ".
On reconnaît là un fonctionnement naturel du syllogisme, même s'il n'est pas encore exprimé de manière formelle, dont nous identifions les prémisses:
                la majeure : "l'aimant attire le fer"    
                                                                                                  la conclusion : " l'aimant attire les ciseaux"
                la mineure : "les ciseaux sont en fer" 
Nous avons retrouvé fréquemment cette opération mentale dans de nombreuses et diverses expériences personnelles sur les aimants avec d'autres objets, puis en électricité, à propos des corps conducteurs.
Ainsi, Quentin, choisissant une cuillère, une pile et une ampoule, émet l'hypothèse suivante :
" si je mets une cuillère, le courant passe "
 Pourquoi ? " ça fait comme l'aluminium " ( connaissance acquise par lui dans d'autres expériences avec la feuille d'aluminium) . Sous l'aspect formel nous pouvons dire :
                le courant passe dans l'aluminium
                                                                                                  alors le courant passe dans la cuillère
                la cuillère est en aluminium
 
L'expression ou la forme de ces inférences
Les inférences qui constituent les hypothèses des expériences tâtonnées ne sont, à cet âge, pas toujours explicites. Elles se révèlent sous des formes diverses : gestuelles, verbales, graphiques.
C'est parce que l'expression gestuelle ou l'expression orale étaient difficiles et ces hypothèses souvent implicites, que nous avons demandé, par la suite, aux enfants de faire des dessins d'anticipation de leurs expériences : " dessine ton idée avant ".
Ces inférences n'ont pas la forme canonique bien sûr !
Verbalement nous avons entendu souvent les expressions suivantes :
"l'aimant attire parce que c'est du fer " au lieu de "Si c'est du fer alors l'aimant attire ".
"le courant passe parce que c'est du métal" au lieu de "Si c'est du métal alors le courant passe".
"ça attire pas, la planche est trop grosse" au lieu de "Si la planche est trop épaisse alors l'aimant n'attire pas ".
En analysant ces paroles d'enfants, on décèle tout de même le principe de cause à effet, même si l'ordre est inversé dans leur langage. Ces approches primaires de relations causales existent.
En effet, la locution conjonctive "parce que", d'après le dictionnaire Robert,
" est la seule locution de cause employée quand la proposition causale est précédée de c'est, d'un adverbe, quand elle est coordonnée à une première proposition...
Parce que amène régulièrement la présentation de la cause effective..."
Il arrive, cependant, que certains enfants expriment leur inférence de manière plus formelle :
- Mehdi, à propos de l'aimant qui attire à travers le carton - plume, nous dit :
"Si j'enlève l'objet, ça tombe"
- Sophie manipulant l'aimant en barre pour attirer des pointes ou des écrous, annonce
"Si je le mets à l'envers, ça va attirer"
pour signifier le changement de pôle.
Nous ne sommes pas encore au " Si ... alors " mais le " parce que " et l'apparition du " Si " dans le langage de l'enfant, nous révèlent bien, déjà, le fonctionnement de prémices du principe de causalité, contrairement à ce que l'on pouvait supposer chez ces jeunes enfants.
Corine Lèmery,
avec la participation d'Edmond Lèmery
Extraits du mémoire référencé (1)
Suite dans le prochain numéro
 
Bibliographie :
(1) Pour une clinique d'apprentissages scientifiques personnalisés chez l'enfant de 5 à 7 ans,
Mémoire de Maîtrise en Sciences de l'Education soutenu le 4/09/1996, à l'Université Lumière Lyon 2 par Corine Lèmery (Ecole maternelle Mercoeur - Clermont - Fd), Directeur de recherche M. Develay
(2) Maria Montessori - L'esprit absorbant de l'enfant - Editions Desclee de Brouwer.
(3) Louis Toupin - De la formation au métier - Collection Pédagogies - Editions E.S.F
(4) Britt - Mari Barth - L'apprentissage de l'abstraction - Chapitre 6 - Editions Retz
 Nous avons publié dans cette revue, à plusieurs reprises durant ces quatre dernières années, plusieurs dossiers sur ce thème, ainsi que des textes de C. Freinet, dans la rubrique Repères. Nous les rappelons à la page 24 du numéro spécial 81 du Nouvel Educateur.