CréAtions n°123 - Récupération - mars-avril 2006 Edito |
RECUPERATION
Récupérer et valoriser le déchet en vue de l’employer en classe, dans le cadre d’expériences de tous ordres, permet de faire prendre conscience à l’enfant que l’univers de la consommation qu’il découvre, génère, la plupart du temps, une quantité immense de déchets. Certes, cette approche ne constitue qu’un premier pas vers une éducation véritable au problème du traitement des déchets, problème global pour lequel des solutions sont mises en œuvre, sans être toujours satisfaisantes (par exemple lorsque la valorisation de certains déchets entraîne la création de nouveaux déchets ultimes). Il s’agit, pour nous, qui nous occupons d’enfants, de les amener à acquérir des gestes citoyens au quotidien, comme par exemple : refuser les sacs en plastique, diminuer la consommation d’emballages et surtout avoir le « réflexe récupération ». L’art-récupération devient une pratique de plus en plus courante dans les classes et les centres d’activités. Ce n’est pas seulement par nécessité écologique ou économique. Chez les enfants, l’objet ou le matériau au rebut se définit rarement comme un « produit », de surcroît comme un produit inutile. La plupart du temps, il agit immédiatement comme matière première et point de départ d’autres modes de production, ceux de la sensibilité, de l’imagination et de la création. L’enfant est naturellement « recycleur » ! Et l’art-récupération s’enracine dans cette tradition enfantine du collectage, collectage des petits trésors glanés sur le chemin, dans la boîte de couture de la maison, dans les tiroirs de la grand-mère ou l’établi du grand-père, dans les terrains vagues, les décharges, au cours de ces instants précieux où l’ennui devient propice à la rêverie ; ces petits trésors symboliques et chargés affectivement que l’on amasse dans une boîte pour ne pas les perdre et qui nous suivent même parfois toute la vie. « Les objets de rebut font rêver, peut-être parce qu’ils sont des fragments (des « rébus ») d’ensembles organisés que l’imagination cherche à reconstituer. »* Matériaux et objets au rebut sollicitent nos sens, provoquent des émotions, suscitent des expériences, des comparaisons, des associations parfois insolites, etc. Les différents articles de ce numéro de la revue CréAtions témoignent de perspectives que le matériau ou l’objet fait jaillir pour inventer. S’il est gratuit, son choix, lui, ne l’est presque jamais. Son véritable prix est celui du désir. Il résonne de cette poétique du quotidien très partagée, qui fabrique les images et les souvenirs à partir des « petits riens ». Il fait rêver en provoquant des émotions sensorielles inhabituelles. En effet, peu de gens ont eu, par exemple, l’occasion de toucher des copeaux d’acier aux reflets cuivrés tout droit tombés du tour ou de sauter sur de la mousse, de jouer avec ces matériaux particuliers, de les découvrir pour ce qu’ils sont, avec tous les sens et hors du contexte d’un produit fini et consommable. Le foisonnement des formes et des lignes, des couleurs, des textures, des résonances, des tailles, permet de répondre à la diversité des attirances des uns et des autres et induit des explorations multiples, des mises en correspondance. Il crée de nouvelles contraintes, nourrit le geste, implique tout le corps, remet en question les opérations plastiques ou technologiques habituelles. Certains enfants, avec le fondeur Laurent Inquimbert, agissent sur la matière elle-même, en créant leurs propres sculptures. Ils découvrent le mystère de techniques qui échappent couramment à leur monde d’enfants. Leur regard se nourrit et réactive leur compréhension du monde des objets. Des photos de magazines à la sculpture, en passant par le collage et l’exploration sonore, l’objet ou le matériau au rebut se trouve valorisé, re-socialisé, ressuscité, réemployé, métamorphosé, détourné. Il permet alors d’agir doublement sur le monde : fabriquer des images personnelles, collectives et de natures multiples, tout en imitant, en associant et en transformant ce qui, a priori, semblait n’avoir plus rien à dire ni à transmettre. CréAtions (*) Enseigner les Arts Plastiques, Daniel Lagoutte, Editions Hachette, Paris, 1994.
|