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Education musicale

Février 1997
Création et expression enfantine en dehors des structures et systèmes musicaux traditionnels
 
Actuellement, nous sommes plus souvent auditeur qu'acteur et l'afflux des messages sonores ne facilite pas notre sélection. L'éducation musicale va, de ce fait, avoir un rôle primordial. Son objectif va naturellement être la production sonore, mais elle va aussi apparaître comme un puissant facteur d'équilibre.
Sa présence ordinaire, parmi toutes les activités de la classe, va être source de développement sur le plan de la création bien sûr, mais également sur celui de la socialisation. La voix et l'instrument deviendront des outils supplémentaires pour l'enfant et le lien direct entre la musique et le jeu permettra à l'enfant de se découvrir et de découvrir les autres.
 
Nous allons évoquer différents moments d'expression sonore en classe de cours élémentaire et voir quelles évolutions et quelles ouvertures peut permettre la pratique régulière d'activités musicales qui ne sont pas systématiquement liées à des apprentissages théoriques.
 
Des conceptions différentes
 
"Faire de la musique" en dehors du système artiste-producteur de sons face au spectateur-consommateur, c'est mettre en évidence d'autres rapports sociaux, un autre type de communication.
Deux conceptions de l'éducation musicale se révèlent ainsi.
- ou l'on considère que les enfants sont capables de créer et de développer leurs possibilités de création sans que l'adulte ait à fixer le sens de leurs progressions individuelle et collective (ce qui n'annihile pas la part du maître)
- ou ils sont considérés comme "enseignés" et doivent acquérir un langage et des connaissances dans lesquels ils ne peuvent intervenir.
En se définissant par rapport à ces conceptions, l'enseignant va, de fait, choisir une pédagogie, préciser sa façon de vivre dans le classe.
- s'il privilégie la création, il permettra aux enfants de progresser naturellement en fixant les notions qui leur permettent d'avancer. L'objectif sera alors d'acquérir des comportements musicaux : improviser musicalement et vocalement, manipuler les sons, dialoguer et jouer. Ce sont ces comportements qui marquent encore certaines musiques extra-européennes, notamment africaines et qui ont, à cause de l'arrivée d'esclaves noirs aux Etats Unis, amené la naissance du Blues.
- si l'enseignant privilégie l'apprentissage, les activités musicales serviront à acquérir des connaissances. Les blocages existant face au solfège sont certainement liés à cette conception appliquée à l'extrême.
 
Le rythme... des pieds à la tête
 
Découverte des rythmes
 
Parallèlement aux recherches et aux productions sonores dont nous reparlerons plus loin, il est important de mettre en place des bases qui pourront être réinvesties.
Afin de favoriser l'expression vocale ou musicale en début d'année scolaire, j'utilise le rythme comme point de départ de séances collectives.
Nous allons ainsi :
- écouter, les yeux fermés, quelqu'un marcher dans la classe,
- chercher différentes façons de se déplacer et écouter le bruit produit,
- respirer très fort (comme chez le médecin) ou très vite (comme après une course),
- écouter les bruits de la rue : les cloches de l'église, des engins de terrassement ou un voisin qui scie du bois...
Ces types de bruits vont mettre en évidence l'intensité, les bruits continus, les cycles, le silence..;
Nous utilisons d'autres jeux d'exploration sonore :
Jacques a dit : "faites un bruit avec la bouche, criez, grosse voix...". L'intérêt de ce jeu est, en fait, le "réflexe sonore".
Le chef d'orchestre : nous cherchons à accompagner des gestes vocalement. Les enfants qui le souhaitent viennent ensuite diriger le groupe.
Autre jeu de mime : un groupe imite le fonctionnement d'une machine. Nous détaillons ses différentes actions en fonction desquelles plusieurs groupes d'accompagnateurs se déterminent. Par ce type de jeu, l'enfant assimile le rythme. Il le voit, l'entend, le ressent.
La chaîne musicale : assis en rond, nous nous transmettons des bruits ou des rythmes frappés.
La multiplication des modèles est source d'ouverture et nombre d'entre eux pourront être repris plus tard dans des compositions ou des exercices de bruitages.
 
Le sentiment rythmique
 
L'étape suivante va avoir pour objectif la substitution de la musique au langage parlé et être une stimulation à la création.
Nous allons dans ce but proposer d'autres activités :
- des dialogues musicaux où la musique va être un moyen d'expression de sentiments, révéler un climat et servir ainsi la socialisation.
Deux groupes de musiciens sont face à face et s'interpellent. Un soliste dans chaque groupe donne le "ton" de l'interpellation et peut ainsi définir quels instruments vont intervenir.
- des recherches de rythmes sur une phrase parlée.
Naturellement, ces activités seront tout d'abord corporelles : on pourra marcher, courir, sauter, s'arrêter.
Le désir de sortir du martèlement régulier de la marche et ainsi des pulsations introduira les ruptures, les syncopes, les silences, les structures irrégulières. Le temps et l'espace s'animeront.
 
Un rythme particulier : le Blues
 
J'ai, un jour, apporté en classe un disque de Blues que nous avons écouté. Ce qui surprit tout d'abord les enfants, c'était la voix caverneuse du chanteur et le son particulier de sa guitare.
Le moment de rire passé, plusieurs petits doigts commencèrent à pianoter sur les tables...
Nous avons consacré plusieurs séances à "décortiquer" ce type de chant. Il fallait accepter cette musique si différente de nos chants et de nos auditions habituels.
La difficulté était de montrer le décalage des accents produisant le balancement si particulier du Blues.
En premier lieu, nous avons évolué en récitant des phrases et en essayant de repérer les syllabes où le pied touchait le sol. Ainsi par exemple dans la phrase :
le lapin mange une carotte
nous accentuons naturellement et selon la vitesse de la pulsation,
le   pin   un'   rott
ou le    mang'     rott
Pour la suite de cette recherche, nous avons utilisé un texte extrait d'un entretien en classee :
Roseline est tombée
dans la cour de l'école.
Elle s'est mise à pleurer.
Elle a pris son mouchoir.
On lui a mis un pansement.
Après la recherche des accents habituels, j'ai demandé aux enfants d'essayer de marcher en s'arrangeant pour poser le pied sur les syllabes indiquées dans le texte (dans la dernière phrase, il était nécessaire de prononcer "on lui a" très vite pour accentuer "a".
La difficulté était d'abord d'ordre corporel, mais plus profondément d'ordre culturel.
Le magnétophone, ici, ne suffit pas. Au cours de l'enregistrement de cette recherche, les enfants avaient trouvé un rythme corporel, marquant ce petit texte d'un balancement. Ils redécouvraient là les impulsions de leur univers sonore de tous les jours à travers les claquements de doigts et le tempo du jazz.
Le nombre de pas était le même pour chaque ligne du chant. leur durée musicale était donc identique. Nous les avons représentés sur le sol par
!    !    !    !
Ce procédé permettait également de mettre en évidence un cycle.
L'étape suivante était le repérage dans ce cycle : nous l'avons abordé en marchant sur un ou plusieurs cycles en silence et en essayant de trouver sur quelle syllabe avait eu lieu l'arrêt.
Nous venions de ressentir les pulsations. Elles n'étaient pas théoriques, mais corporelles.
 
La cellule rythmique
 
Pour mettre en évidence la cellule rythmique, nous avons ensuite travaillé sur les paroles de la première phrase du chant :
"Chez Madam' Duvivier
V'là ma jambe et mon pied."
Pour visualiser le rythme et le sentir corporellement, nous avons cherché un déplacement pouvant l'accompagner. Ce moment de tâtonnement était très important : il associait en effet la chant et la danse. Le leitmotiv chanté nous faisait oublier nos jambes. le corps était rythme.
Le rythme ressenti et observé pouvait s'expliquer par :
Trois pas courus. Arrêt sur le troisième.
Après discussion, il fut décidé de marquer cet arrêt en levant un pied, ce qui permettait de repartir directement et de créer ainsi un enchaînement.
Est-ce que ce déplacement ne pouvait accompagner que notre chant ? Nous avons fait l'essai sur les prénoms des enfants de la classe. plusieurs convenaient : Jessica, Ornella, Mickaël, Anne-Marie...
Il y avait pourtant des particularités :
- pour Jocelyne et Angélique, il fallait écourter la dernière syllabe (e muet) ;
- et pour Vincent, David, Laurent, Christelle... nous mettions là en évidence le silence musical : deux pas accompagnés de parole + un pas silencieux.
 
Tâtonnement et improvisation
 
La distinction entre ces deux formes de productions sonores est importante bien que la non connaissance de ce qui va être joué leur soit commune.
 
Le coin musique
 
Installé dans le couloir, il est un endroit de recherche, d'essais sonores. Mais dans les productions qui y sont enregistrées, il n'est pas rare d'entendre le claquement d'une porte ou un brouhaha venant d'autres ateliers.
Je considère surtout cet endroit comme une "salle d'entraînement". Or c'est tout de même là que s'échafaude la technique. On y choisit les lames du xylophone qui seront utilisées, on y recherche la place des chevalets sur l'ariel (instrument à cordes ressemblant à la cithare), on y fait des essais de voix.
J'ai remarqué que les enfants qui le fréquentent y ont rarement une attention soutenue. Le fait que le couloir soit un endroit de passage y est certainement pour beaucoup.
 
La situation d'improvisation
 
Elle nécessite une attitude totalement différente : là, plus de brouillon, il faut construire.
Dans ce jeu, le groupe prend son sens. Il est responsable de sa production. Seules l'attention et la concentration permettront d'y aboutir, sans retour en arrière possible. De cette situation de communication intime entre des individus tournés vers le même but va naître la discussion, l'analyse.
 
Le magnétophone
 
Dans ces situations de tâtonnement ou d'improvisation qui ont pourtant des structures et des objectifs différents, le magnétophone présente plusieurs intérêts :
- il va donner à la création le statut particulier de musique enregistrée, ce qui pourra former le sens critique vis à vis des musiques dont nous sommes tous auditeurs et qui sont souvent considérées comme produits finis... même si l'on peut parfois en douter.
- pour les jeunes enfants, le magnétophone pourra se substituer au codage et supprimer ainsi la fixation sur l'activité d'écriture.
- il permettra à l'enfant ou au groupe de mémoriser de qui a été créé ; la réalisation pourra alors devenir propriété de la classe et être placée au même rang qu'un chant et une musique traditionnels.
- il va surtout être un témoin fidèle de ce qui a été produit et permettre à l'acteur d'être son propre spectateur.
L'analyse pourra ainsi être source d'amélioration ou de mise au point.
 
La composition
 
C'est un aspect particulier de la création sonore, pisqu'elle recouvre, outre l'invention dont nous avons déjà parlé, la fixation, la précision et l'objectif de pouvoir reproduire.
La production est alors mémorisée. Elle peut être codée. Elle est une manifestation matérielle du groupe.
Ce type de réalisation est tout de même contraignant, car il nécessite des recherches, des choix, une organisation logique.
Pour l'enseignant, la composition permet d'avoir, à un moment donné, des indications sur l'évolution de chaque enfant du groupe à travers l'emploi ou non de stéréotypes musicaux et l'utilisation de structures mélodiques ou rythmiques vatiées.
De plus, ce travail va développer la mémorisation, ce qui naturellement servira les autres acquisitions scolaires.
 
Exemple d'une composition vocale collective
 
Lors d'une discussion sur le contenu de nos envois aux correspondants, un enfant propose de réaliser des enregistrements.
Nous avons déjà enregistré des poésies et des textes libres accompagnés par de la musique.
"On pourrait faire un chant !" lance Amaury.
Ce projet accepté avec enthousiasme, nous définissons alors quelques procédés :
- choisir un texte puis trouver un accompagnement musical,
- inventer une mélodie et chercher ensuite les paroles,
- créer les deux simultanément.
C'est cette troisième méthode qui est choisie.
Daniel : "on pourrait parler de la mer..."
Séverine, Amaury et Daniel proposent une phrase de départ qui est déjà chantée. Nous choisissons : "Dans la mer bleue, il y a des poissons".
D'autres mélodies sont alors trouvées, ce qui nécessite un nouveau choix. Tout le monde chante alors plusieurs fois le début de NOTRE chant.
Il faut s'imprégner de cette courte phrase pour que la suite en découle, tant sur le plan des paroles que sur celui de la musique.
Nous définissons ensuite un système de notation indiquant simplement les syllabes où la voix monte, celles où la voix descend, celles où la voix reste "pareille". La partition produite permettra à nos amis de Vitry sur Seine de suivre ce que nous chantons.
Cette recherche est renouvelée lors de plusieurs séances pour aboutir à ce petit chant :
"Dans la mer bleue, il y a des poissons
qui tournent en rond et qui jouent à cache-cache
en chantant et en rigolant.
La sardine argentée lance des éclats de couleurs.
Un requin bleu et rouge va au bal des sirènes."
 
Document : notre codage
 
 
Il est évident que le codage est, dans cet exemple, propre à notre classe et que son utilité dépend de la mémorisation de la mélodie et du rythme. Son intérêt est également de préparer les enfants à d'autres codages (dont l'écriture traditionnelle). Mais l'écrit n'est nécessaire que lorsque les réalisations deviennent plus longues, plus complexes, lorsque la mémoire ne suffit plus.
 
Conclusion
 
La musique recouvre un enchevêtrement complexe de notions opposant souvent la musique-théorie et la musique-plaisir.
Les adultes ont souvent oublié le temps de leur enfance, celui où spontanément, l'enfant imagine ses comptines, invente des rythmes, met des airs sur des paroles, tout cela pour son seul plaisir ; parce qu'il en a besoin, il chante et chantonne sans cesse des mélodies inédites, aussitôt et à jamais envolées, mais toujours renouvelées pour accompagner sa pensée et ses actes.
L'école se doit d'entretenir ou de rétablir les conditions favorables à ce que l'on pourrait appeler la "bain musical". Mais il faut être conscient que le point de départ n'est nullement l'application sans réserves de systèmes conçus par l'adulte et pour l'adulte, mais la pratique d'activités permettant l'évolution personnelle de chaque enfant dans le groupe. Ceci pourra amener à des recherches de moyens de transcription, mais l'enfant, quand il en aura senti le besoin et assuré la construction, y sera plus affectivement impliqué.
Dans ces objectifs, il ne faut pas isoler l'expression musicale et les activités qui y sont liées des autres activités et types d'expression en pratique dans la classe.
L'enfant ne peut apprécier un tableau que si lui-même peint et,contrairement à Goethe qui écrivait "l'individu ne peut être sensible à l'oeuvre des autres", je pense qu'après avoir vécu des actions musicales, l'enfant considèrera l'oeuvre adulte comme la suite de ses expériences.
Naturellement, le rôle du maître et ses relations avec le groupe classe seront déterminants : il sera lui-même musicien, chanteur, peintre ou écrivain. Il proposera aussi des situations mais saura, de plus, exploiter les moments privilégiés, sentir la fatigue ou l'énervement et rompre le rythme d'une journée.
Toutes les occasions, activités de courte ou de longue durée, chant, écoute d'un enregistrement, création d'un thème musical ou recherche d'un codage aboutiront alors à la musique-plaisir.
Pierre Fourrier (02)
 
DOCUMENT
 
Les chants d'Isabelle
 
Nous utilisons aussi parfois le couloir pour un atelier magnétophone. Plusieurs types d'enregistrements peuvent y être réalisés : histoires racontées, lettres pour les correspondants, bruitages.
La présence, toute proche, du matériel de bricolage, y a quelquefois provoqué des recherches intéressantes : le souffle dans un tuyau de carton enregistré par Laurent en est un exemple.
Un jour, Isabelle s'y est isolée pour enregistrer un chant : Le papillon de nuit. Sur un texte improvisé, Isabelle produit successivement de nombreuses versions en jouant avec sa vois, utilisant le magnétophone comme mémoire.
 
Premier enregistrement  
"Il est mon ami
il est tout gris
il chante avec moi quand il a de la joie mon papillon de nuit.
Il m'a dit :
je voudrais que tu voles avec moi
dans le ciel.
Il m'a dit:
que la vie est belle
avec mon soleil qui brille."
 
Dernier enregistrement
"Le papillon tout gris
Il est mon ami tout gris.
Il chante avec moi
quand il a d'la joie.
Mon papillon d'nuit
il m'a dit :
je voudrais que tu voles avec moi
dans le ciel.
Et il m'a dit :
que la vie est belle
quand le soleil brille .
L'intérêt de ce moment est que le texte devient peu à peu prétexte, ne subissant que peu de modifications du premier au dernier enregistrement. Dans cette création, c'est le jeu vocal qui prime, c'est ici un jeu sans règle.
On remarque le balancement continuel entre des structures mélodiques connues, réminiscences de chants entendus ou appris et des essais de mélodies atonales. Isabelle construit là une partie de son évolution, de son ouverture.
Dans les différentes versions de la phrase : "il m'a dit : je voudrais que tu voles avec moi", on remarque, en dehors des variations de la ligne mélodique,
- des recherches rythmiques
- des essais d'agrandissement de l'étendue vocale, qui va de         à                .
Cependant, tous ces essais, ces progressions sont effectués involontairement. Isabelle disposait seulement de l'outil magnétophone. Elle a simplement eu du plaisir à chanter et nous avons eu du plaisir à l'écouter.
 
 
Met-on les notes ?