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Vers une correspondance scolaire avec Mostar (Bosnie)

Dans :  Principes pédagogiques › communication › 
Février 1997

Début septembre 95, Karina, à la réunion du matin, nous a apporté une carte postale du Chili, en nous expliquant qu'elle et sa famille venaient de Santiago. Nous avons sorti l'atlas géant et commencé une sorte de "voyage" sur les cartes naïves de notre livre.

Chacun s'est ouvert aux autres de ses origines ou de ses vacances lointaines. Comme la France est petite, comme le monde est vaste !
Nous avons ainsi amorcé une première enquête : "où suis-je né ? Où sont nés mes parents ? Et mes grands parents ?"
Quelques jours plus tard, Marion a reçu une carte de la Guadeloupe où se trouvait sa maman en ce moment pour son travail, Ahmed a apporté des photos du mariage de sa tante en Algérie, la papa de Romain une vidéo du Laos, Robin des images du Sénégal. Ava nous a parlé du voyage en convoi de son papa à Mostar en Bosnie : "là bas, il y a la guerre". Nous avons regardé les photos en silence.
C'est ainsi, et dans la globalité d'un projet sur "les enfants du monde" que les enfants ont commencé ce voyage d'"humanitude" (A. Jacquard).
"A Mostar, les enfants manquent d'habits, de jouets, de feutres" nous a dit Ava, si sérieuse et si grave.
-"Et ben on n'a qu'à trier nos jouets" a dit Mehdi.
La collecte s'est mise en place, le cahier de vie servait de lien avec les parents. Nous avons pu ainsi faire un carton de jouets, de cahiers et de feutres qui est parti avec le convoi civil humanitaire de décembre ainsi qu'une lettre, des photos de nous et des dessins. Noël approchait : c'est comment, Noêl, à Mostar ?...
Au retour du convoi en janvier, il n'y avait pas de courrier pour nous... sauf une photo de l'hôtel Ruza dont les caves servent d'école à des enfants handicapés.
Passée la déception, les enfants ont continué à parler de Mostar à différentes occasions : informations entendues à la télé, vues dans un journal ; des réponses à notre enquête (la papa de Malik né en Yougoslavie, la grand mère d'Anna née à Mostar ; des discussions sur le bagarre, les jeux de guerre.
En février, je leur annonce qu'un ami, Jérôme, part à Mostar pour un mois et qu'il se charge de remettre notre courrier à l'école Ruza et de nous apporter leur réponse.
La ruche s'est remise à bourdonner : lettre géante, dessins, papier et feutres.
Débu avril, un vendredi matin, nous avions une visite : Nizama, jeune étudiante de Mostar et Jérôme nous apportaient enfin un signe concret et vivant de nos amis bosniaques !
Nizama était émue et nous aussi. "Doberdan à tous !"
Elle nous a lu et traduit la grande lettre, elle a répondu à nos questions et nous a expliqué que les enfants qui nous écrivaient étaient d'une autre école primaire, l'école Sehovina. Leur courrier était enveloppé dans une grande image arrachée au calendrier montrant le célèbre vieux pont de Mostar, aujourd'hui détruit. Elle nous a raconté qu'avant la guerre, les gens plongeaient du pont dans la Neretva...
"Si vous avez le temps, je peux leur apporter votre réponse, je repars dimanche."
Un nouveau courrier encore plus joyeux est reparti. Nizama nous a appris à dire bonjour en bosniaque. Ce fut le sujet de notre nouvelle enquête : "dis moi comment tu dis bonjour dans ton pays ?"
Dans la lettre des amis, nous avons reconnu des lettres de notre alphabet, et d'autres différentes.
La maman d'Ahmed est venue nous lire un conte algérien et nous avons découvert une autre langue, d'autres signes comme des dessins.
La maman de Robin nous a prêté un livre et une cassette en chinois.
Karina nous a appris à dire bonjour en portugais...
Notre tour du monde continue. Et à chaque "voyage" nous découvrons, avec nos différences, nos ressemblances.
Nous venons de recevoir un nouveau courrier : notre correspondance est née !
Maintenant, pour nous, Mostar a une image, des prénoms, une autre réalité que celle des premières photos, une réalité solidaire, porteuse de vie et d'espérance.
Mettre en rapport une pratique coopérative et démocratique dans la classe net une action de solidarité avec un pays en guerre me paraît relever d'une même cohérence : l'éducation à la paix.
Essayer de construire au quotidien la solidarité et la coopération dans la classe ne peut qu'amener peu à peu les petits à sortir d'une conduite égocentrique, à se responsabiliser, à respecter les autres, à éprouver du plaisir à être, à bâtir des projets avec les autres.