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Formation à la citoyenneté par l'exercice de la citoyenneté : le conseil municipal d'adolescents d'Aix en Provence

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Février 1997
Un exemple : le Conseil Municipal d'Adolescents d'Aix en Provence
 

 

Le texte qui suit est un extrait, réducteur, faute de place, de l'intervention de X. Nicquevert et L. Corre au Congrès de l'ICEM (Sophia Antipolis. Août 1996), dans le champ politique et social.
Impliqués dans ce projet depuis les débuts, en 1989, Xavier et Liliane ont souhaité porter témoignage, surtout sur la longue phase de gestation et sur le premier mandat, dont ils ont été acteurs acteurs.
 
 
 
Dans de nombreuses villes, le Conseil Municipal d'enfants (les Conseils d'adolescents sont beaucoup moins nombreux) sont une simple copie du Conseil Adultes, sans réels pouvoirs, ou bien, comme le note Alain VULBEAU, "les adultes ont tendance à se dire qu'il faut créer pour les enfants une sorte d'éducation civique appliquée"(1).
 Bien évidemment, pour nous l'idée d'écouter les enfants, de reconnaître leurs droits est importante et partie intégrante de la pédagogie FREINET, mais nous entrevoyions surtout la perspective d'une véritable chantier grandeur nature de formation à la citoyenneté et à la démocratie. Avec, également l'idée, et l'espoir (que nous n'osions pas vraiment formuler trop clairement), que des jeunes pourraient, ainsi qu'on peut le constater dans les classes coopératives, bousculer certains des postulats qui fondent actuellement beaucoup de fonctionnements supposés démocratiques. Quelque chose de l'ordre du fantasme d'une réinvention ou de régénération de la démocratie, en quelque sorte...
 Nous avons donc accepté de participer à ce projet à condition d'avoir des garanties sur l'authenticité de la volonté du maire et son acceptation de "jouer le jeu". Cela signifiait pour nous :
- que le Conseil Adolescents était accepté comme un contre-pouvoir possible ;
- qu'il était autonome dans son fonctionnement et notamment le choix de ses projets ;
- que les moyens lui étaient donnés de réaliser ceux qui étaient à sa mesure ;
- que les projets plus "lourds" seraient toujours examinés par le maire.
Nous avons également fait admettre - facilement - par les responsables municipaux l'idée qu'un Conseil d'enfants ou de Jeunes - fut-il dénommé “Municipal"- ne se constituait pas, ne s'élisait pas et ne fonctionnait pas forcément sur des bases et des règles analogues à celles des adultes et qu'il appartenait aux jeunes eux-mêmes de les définir.
 
La phase de mise en place
 
A partir de Janvier 1990, 25 jeunes, issus des collèges d'Aix en PROVENCE, répondent à l'appel d'un groupe de réflexion d'adultes réuni (à l'initiative du maire) autour de l'idée de la création d'un Conseil Municipal d'enfants et/ou d'adolescents et qui sera axé sur la formation à la citoyenneté s'élaborant à travers l'exercice de pouvoirs réels, avec gestion d'un budget (était affirmée l'idée que les jeunes ne devaient pas être des faire-valoir ou simplement des boites à idées).
Ce groupe de jeunes deviendra très vite "Collectif Jeunes Citoyens Aixois" (C.J.C.A.) et se réunira régulièrement avec quelques adultes pour réfléchir à ce que sera ce Conseil.
 De Janvier 1990 à Février 1991, il organisera plusieurs actions dont le but était le recueil d'informations et d'idées auprès des collégiens de la ville :
- une journée de regroupement : "Vision d'Aix par les jeunes"
- une exposition itinérante avec des réunions dans les collèges
 -une assemblée générale qui mandatera le C.J.C.A afin qu'il poursuive son action d'une manière institutionnelle.
Tout ce travail aboutira à un cahier de propositions présenté au maire par les jeunes en avril 1991.
 Par suite de tensions et de rivalités politiques entre adjoints, les élections pour le Conseil Municipal des Adolescents ne peuvent avoir lieu avant les grandes vacances, ce qui constituera une énorme déception pour les jeunes.
 
La charte
 
Cette charte s'articule autour des idées suivantes :
- l'âge des électeurs : de la 6 ème à 18 ans moins un jour (date de la majorité légale),
 ce qui permettait d'éviter une rupture dans le droit électoral.
- la durée du mandat (2 ans) avait pour conséquence que les adolescents éligibles devaient avoir 16 ans moins un jour.
- une élection à 2 tours : en effet, c'est ce mode d'élection qui avait été proposé dès octobre 90, lors des rencontres dans les collèges, autour de l'exposition. Système compliqué que cette élection à 2 tours, mais auquel les jeunes avaient travaillé soigneusement :
- dans chaque collège, une liste de candidats est établie;
- du premier tour des élections se dégage un certain nombre d'élus par collège, qui désignent les élus au Conseil Municipal des Adolescents, ainsi que les suppléants prévus. Ces derniers suivront les travaux du Conseil et animeront dans leur collège des commissions extra-municipales.
De plus, les jeunes ont insisté sur la nécessité qu'il y ait dans chaque collège 2 collèges électoraux : de la 6 ème à 14 ans, puis de 14 à 16 ans, pour que les plus jeunes ne soient pas influencés, voire dominés par les plus vieux.
- le nombre des élus : le Conseil Municipal Adultes comporte 55 membres ; ce nombre a paru difficilement gérable; il a donc été décidé 35 élus et une liste de 20 suppléants.
- le fonctionnement du C.M.A : à la demande des jeunes, les réunions seront gérées par un président tournant ; le secrétaire aussi sera tournant, de manière à impliquer le maximum d'adolescents dans l'exercice des responsabilités. Le compte-rendu des séances, rédigé par le secrétaire sera affiché dans les collèges. Il n'y aura pas de maire adolescent. Une assemblée plénière se réunira une fois par trimestre avec le maire.
- l'espace de pouvoir : le C.M.A. devra pouvoir gérer (y compris financièrement) un certain nombre de réalisations à court terme qu'il se déterminera.
Toutes ces idées étaient celles des jeunes, longuement discutées et mûries par eux.
 Les adultes les ont mises en forme (ce qui a entraîné quelques tensions avec le conseiller délégué à la communication de la ville, qui avait des tendances à "une reformulation déformante") et ont mis sur pied, avec le service technique des élections, la carte d'électeur, l'établissement des listes électorales et l'organisation proprement dite des élections.
 
Une naissance difficile
 
Il est à noter qu'un tel projet rencontre beaucoup d'oppositions : cet apprentissage de la démocratie par l'exercice du pouvoir confronté aux réalités d'une gestion municipale provoque de nombreux blocages politiques, mais aussi d'ordre plus général. Certains professeurs, principaux, parents craignent que la création d'un C.M.A. fasse entrer la politique à l'école, au collège, à la maison; ils craignent que les jeunes soient récupérés, enrégimentés par les adultes responsables.
 Il est vrai qu'une telle dérive peut avoir lieu. Le fonctionnement d'une structure de ce type exige honnêteté, loyauté, respect fondamental de la parole et du pouvoir des jeunes de la part des adultes qui en ont la responsabilité.
 
Une démarche de tâtonnement expérimental ?
 
Pour nous, cette évaluation est importante : nous pensons avoir atteint nos objectifs sur ce plan, et ce, malgré les pressions des élus que nous n'avons pas réussi à convaincre tous du bien- fondé de notre démarche.
Les jeunes, quant à eux, en avaient vite acquis l'esprit, faisant preuve de capacités à s'organiser, d'esprit critique, d'autonomie et ne s'en laissant pas compter par les adultes. Après les membres du Collectif, les conseillers à leur tour ont manifesté de plus en plus visiblement leur agacement à certaines "leçons" très didactiques de certains conseillers adultes ou de responsables de Services Techniques venant leur expliquer comment il fallait s'y prendre, ou pourquoi "c'était impossible". Ils ont même parfois renvoyé la leçon et le professeur en démontrant - par l'action - que c'était possible.
Cependant, ce contexte même de la réalité, de la vraie grandeur dans lequel nous travaillions, les enjeux et les réactions externes que nous ne maîtrisions pas, nous ont rarement permis de laisser les jeunes aller jusqu'au bout d'une voie erronée, de faire les analyses et de voir comment remédier.
Ainsi, le Groupe "Transports" s'était, à notre grande surprise, mobilisé sur le problème de la circulation des "personnes à mobilité réduite", comme disait le technicien, dans le Centre Ville d'Aix, et plus particulièrement sur des incohérences dans la distribution des "bateaux", ces espaces de trottoirs surbaissés supposés faciliter le passage des fauteuils et des poussettes. Après un exposé magistral, plans à l'appui d'un responsable des services techniques, ils se sont rendus sur place faire des relevés. A la séance publique suivante, ils mettaient sous le nez du Maire, médusé, leurs petits croquis mettant en évidence les incohérences : absences de vis-à-vis, abaissement débouchant sur des chicanes que constituaient des panneaux ou poteaux de toutes sortes, ou absence quasi totale dans des carrefours importants ! Après quoi, les jeunes ont été associés aux travaux du service chargé de la réalisation: ils ont pu voir leurs modestes croquis se transformer en plans.
  
 
Quels enseignements ?
 
Majeurs maintenant, les jeunes du C.J.C.A. sont souvent parvenus à des niveaux d'études
 élevés. Avec le recul, Sylvain, l'un des piliers de l'animation du premier mandat, actuellement en Sciences Po, souligne l'aspect formateur indéniable de la structure conseil municipal de jeunes pour les participants eux-mêmes.
 Mais il se pose des questions sur le rapport coût / résultats :
 -"si "ça ne sert" qu'à ces 20 ou même 30
 - si ça ne leur apporte que des améliorations de la prise de parole en public, des capacités au montage et à la conduite de projet, capacités que l'on devrait pouvoir acquérir ailleurs, ne serait-ce qu'en tant que délégué de classe ou membre du foyer socio- éducatif ou du C.A. d'un Club de jeunes...
- quelles sont les retombées sur les autres jeunes de la ville "?
Ce sentiment semble partagé par les deux anciens qui ont accompagné le deuxième conseil :
 "le but du C.M.A., c'est d'avoir une autre vision que celle des adultes... On dépense des sous pour donner une voix aux jeunes, qu'ils fassent des choses pour les jeunes.
 Mais il y a un problème de représentativité des membres du C.M.A... On a l'impression qu'on porte la voix des jeunes, parce qu'on est des jeunes, mais on ne prenait pas leur avis chaque fois qu'on prenait une décision".
On pourra toujours nous opposer que, sans un C.J.C.A., sans un C.M.A., des jeunes de cette trempe auraient sûrement trouvé à investir leur dynamisme et leurs forces militantes. Ce que l'on peut avoir fait de mieux pour eux, c'est de les avoir aidés à le faire en meilleure connaissance de cause et avec des outils critiques leur permettant d'éviter les pièges de l'embrigadement. Ne serait-ce pas, somme toute, une façon honorable d'appliquer la charte... de l' I.C.E.M. ?
 Liliane CORRE et Xavier NICQUEVERT
 - Chemin du Jas Blanc - 13840 ROGNES
 
(1) Alain Vulbeau, chercheur à l'Institut de l'Enfance et de la Famille. Intervention au Colloque "Enfance et citoyenneté" Saint Priest. 1991.